Revue Prescrire, article en une, Publicité grand public pour les médicaments de prescription novembre 2006
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Publicité grand public pour les médicaments de prescription : abus et confusion
 
Les patients ont un droit indéniable à l'information sur les maladies et les choix thérapeutiques. Mais les firmes ne sont pas en situation d'assurer correctement cette information.
Pour en savoir plus
 


Publicité directe au public : la désastreuse expérience américaine

Rev Prescrire 2002 ; 22 (232) : 703-706.
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La publicité directe au public pour les médicaments :
une pilule pour chaque maladie ou une maladie pour chaque pilule ?

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Aux États-Unis d'Amérique, la publicité pharmaceutique destinée au grand public a connu un développement considérable dans la dernière décennie, notamment pour les médicaments de prescription. Cette publicité utilise tous les médias, des journaux à la télévision en passant par internet (1).

Une interdiction confirmée en Europe
Les firmes pharmaceutiques réclament avec insistance d'avoir ce droit dans d'autres pays, notamment en Europe, même si l'interdiction légale est déjà largement détournée dans les faits. Dans le cadre de la révision d'une Directive-clé pour la politique pharmaceutique européenne, la Commission européenne (Direction Générale Entreprises) a proposé en 2001 de lever l'interdiction de la publicité auprès du grand public pour les médicaments qui ne peuvent être obtenus que sur prescription (2). Sous la pression des citoyens, dont le Collectif Europe et Médicament, les députés européens et les ministres de la Santé ont heureusement maintenu cette interdiction (a)(3).

La Commission européenne et les firmes s'activent pour autoriser cette publicité. La Commission a obtenu d'être chargée d'élaborer un rapport sur les "pratiques actuelles en matière de communication d'information - notamment par internet - et sur leurs risques et leurs avantages pour les patients". La Commission a été chargée de formuler des propositions définissant une stratégie d'information sur les médicaments (3,4).
Dans cette optique, la Délégation générale Entreprises (DGE) et la Direction générale Santé et protection des consommateurs (DG Sanco) de la Commission ont chargé en 2005 un groupe de travail "information des patients" du "Pharmaceutical Forum" de faire des suggestions en matière de "partenariats public-privé pour l'information des patients" (5). Tout porte à craindre une large part faite aux firmes et à leurs stratégies d'"information" des patients (b).

Les États-Unis sont déjà au stade d'un retour en arrière
Alors que certains s'agitent en Europe pour abolir l'interdiction de la publicité grand public pour les médicaments de prescription, sous couvert de "partenariats public-privé pour l'information des patients", cette publicité est de plus en plus remise en cause aux États-Unis.
Les conséquences néfastes de cette publicité grand public, en termes de santé publique, ont été établies à partir de nombreuses enquêtes (6,7,8). Cette remise en question grandissante se nourrit notamment de la crise de confiance généralisée dans les firmes pharmaceutiques, aggravée par l'affaire Vioxx°. Des responsables politiques et professionnels de santé ont demandé l'interdiction de cette publicité (9,10).
Les firmes pharmaceutiques ont été contraintes de réagir, et leur syndicat Pharmaceutical Research and Manufacturers of America (PhRMA) a publié en août 2005 un "code de bonne conduite" en matière de publicité grand public (11).

"Code de bonne conduite", ou nuage de fumée ?
Le Code comprend 15 principes et des commentaires sous forme de questions-réponses, dont certains trahissent les limites de la volonté des firmes de vraiment corriger leurs pratiques promotionnelles (11). Par exemple, les firmes s'engagent à ne pas démarrer de campagne de publicité auprès du public avant d'avoir passé "un laps de temps approprié à éduquer les professionnels de santé sur un nouveau médicament ou une nouvelle indication" (principe 6), mais restent libres de déterminer ce que représente un temps "approprié" (11). Les firmes s'engagent à mentionner des alternatives à leurs médicaments, telles qu'un régime ou un changement de style de vie (principe 9), mais sans obligation de mentionner un médicament ayant la même indication (11). Etc.
Pour l'association de consommateurs étatsunienne Public Citizen, ces principes sont insuffisants et toute la publicité faite autour du guide de PhRMA est "une tentative dérisoire pour faire croire aux gens que les principes sont plus forts qu'ils ne sont en réalité" (12,13). L'association Prescription Access Litigation a délivré à PhRMA, pour son code de bonne conduite, l'une de ses "Pilules amères 2006" : la récompense "Le renard gardien du poulailler" (14). Par ailleurs, des responsables politiques continuent de réclamer l'interdiction de la publicité pour des médicaments de prescription auprès du grand public, ou le renforcement de son contrôle par l'agence du médicament étatsunienne, la Food and Drug Administration (FDA) (12,13).

En Nouvelle-Zélande : marche arrière également
Après quelques années d'expérience de publicité grand public pour des médicaments de prescription, la Nouvelle-Zélande a entamé un processus de révision de sa réglementation, sur la base d'un rapport universitaire montrant toutes les conséquences négatives d'une telle publicité pour la relation professionnel de santé - patient et surtout pour la qualité des soins (c)(1,15).

Rester vigilant en Europe
Comme dans beaucoup d'autres domaines, l'Europe est dans le sillage des États-Unis, avec plusieurs années de retard. Dans le domaine de la publicité sur les médicaments, la Commission européenne cherche encore à donner plus de libertés aux firmes pharmaceutiques, alors même que celles-ci sont obligées de renoncer à une partie de leur liberté aux États-Unis, pour éviter un plus grand contrôle par l'État.
Professionnels de santé et citoyens doivent rester vigilants en Europe pour que la publicité grand public pour les médicaments de prescription ne devienne autorisée, insidieusement et progressivement, sous couvert d'information sur les pathologies, de partenariat public-privé pour l'"information" sur les médicaments, ou encore de programmes d'"aide à l'observance" des traitements (16).
Les patients ont un droit indéniable à l'information sur la santé, les maladies et les différentes options thérapeutiques. Mais ce n'est pas en autorisant les firmes à "communiquer" auprès des patients en vue de développer les ventes, que l'on servira au mieux ce droit.

©La revue Prescrire 1er novembre 2006
Rev Prescrire 2006 ; 26 (277) : 777-778.

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Notes
a- En France, en 2006, le Code de la santé publique précise que " La publicité auprès du public pour un médicament n'est admise qu'à la condition que ce médicament ne soit pas soumis à prescription médicale, qu'il ne soit pas remboursable par les régimes obligatoires d'assurance maladie et que l'autorisation de mise sur le marché ou l'enregistrement ne comporte pas de restrictions en matière de publicité auprès du public en raison d'un risque possible pour la santé publique. Toutefois, les campagnes publicitaires pour des vaccins ou les médicaments mentionnés à l'article L. 5121-2 [produits présentés comme supprimant l'envie de fumer ou réduisant l'accoutumance au tabac] peuvent s'adresser au public " (réf. 17). Cette publicité grand public est soumise actuellement à une autorisation préalable de l'Afssaps (réf. 18).
b- Le Pharmaceutical Forum a été mis en place par la Commission européenne en 2005. Il comprend un comité d'orientation et trois groupes de travail (information des patients, prix des médicaments, efficacité comparée). Le Pharmaceutical Forum devait rendre ses premières conclusions à l'automne 2006 (réf. 5). À suivre.
c- Le ministère de la santé néo-zélandais a finalement lancé en 2006 une consultation publique sur l'opportunité de réviser la réglementation sur la publicité, consultation à la laquelle ont participé de nombreux individus et associations du monde entier, dont le Collectif Europe et Médicament (réf. 19). La décision du ministère, qui s'inscrit dans le contexte d'un rapprochement des agences du médicament néo-zélandaise et australienne, n'était pas connue à la date du 25 septembre 2006.
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Références
1- Prescrire Rédaction "Redresser le cap de la politique du médicament (suite). Publicité directe au public : la désastreuse expérience américaine" Rev Prescrire 2002 ; 22 (232) : 703-706.
2- Prescrire Rédaction "Euphémismes et faux-semblants en Europe" Rev Prescrire 2002 ; 22 (232) : 704.
3- Prescrire Rédaction "Europe et médicament : les succès obtenus par les citoyens" Rev Prescrire 2004 ; 24 (252) : 542-548.
4- "Article 63 de la Directive 2004/27/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 modifiant la directive 2001/83/CE instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain" Journal Officiel de l'Union européenne du 30 avril 2004 : L 136-51.
5- "Pharmaceutical Forum". Site internet http://ec.europa.eu/health consulté le 17 septembre 2006 : 5 pages.
6- Hollon MF "Direct-to-Consumer Advertising - A haphazard approach to health promotion" JAMA 2005 ; 293 (16) : 2030-2033.
7- "Taking a closer look at drug advertisements" Lancet 2005 ; 366 : 522.
8- Mansfield PR et coll. "Direct to consumer advertising" BMJ 2005 ; 330 : 5-6.
9- Lenzer J "Professors speak out against advertising directly to consumers" BMJ 2005 ; 331 : 1040.
10- Lenzer J "FDA investigates direct to consumer adverts" BMJ 2005 ; 331 : 1102.
11- "PhRMA Guiding Principles - Direct to consumer advertisements about prescription medicines". Site internet http://www.phrma.org consulté le 27 février 2006 : 11 pages.
12- Macilwain C "Drug firms back-pedal on direct advertising" Nature 2005 ; 436 : 910-911.
13- "Companies agree to PhRMA's voluntary DTC guidelines" Scrip 2005 ; (3078) : 12.
14- PAL "The fox guarding the henhouse award : for pushing toothless "guiding principles" on drug advertising". Site internet http://www.bitterpillawards.org consulté le 24 août 2006 : 2 pages.
15- Toop L et coll. "Direct to consumer advertising of prescription drugs in New Zealand : for health or for profit ?" Christchurch, Dunedin, Wellington and Auckland schools of medicine 2003 : 95 pages.
16- "Programmes des firmes pharmaceutiques d'"aide à l'observance" : l'imposture" Rev Prescrire 2006 ; 26 (271) : 300.
17- Article L. 5122-6 du Code de la Santé publique.
18- Article L. 5122-8 du Code de la Santé publique.
19- Ministère néo-zélandais de la santé "Direct-to-consumer advertising of prescription medicines in New Zealand : consultation document". Site internet http://www.moh.govt.nz consulté le 17 septembre 2006 : 2 pages.