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Sécurité des soins : la réponse de l'IMSN
à la consultation européenne de 2008
   
La protection des patients par la prévention des erreurs liées aux soins n'attend pas.
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Sécurité des soins :
la réponse de l'IMSN
à la consultation européenne de 2008

Rev Prescrire 2009 ; 29 (303) : 64-67.
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La Commission européenne enfin concernée par la sécurité des soins
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Sécurité des soins :
les recommandations
du Conseil de l'Europe
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Patient Safety in Europe: Time for Action
International Medication Safety Network
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Sécurité des soins :
place à l'action

Collectif Europe et Médicament et al
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Toute initiative de la Commission européenne en matière de sécurité des soins ne peut qu'être favorablement accueillie par les patients et les soignants, tant le retard de l'Union européenne est patent en ce qui concerne la mise en œuvre de stratégies adaptées dans ce domaine.

Aussi, l'annonce d'une "Consultation ouverte sur la sécurité des patients dans l'Union européenne" suscite l'intérêt des soignants concernés par l'amélioration de la qualité des soins (1,2).

Quelles perspectives la Commission européenne offre-t-elle dans ses actions à venir en matière de sécurité des soins ? Quelle contribution les citoyens européens peuvent-ils apporter dans le cadre de cette consultation, pour progresser vers des soins plus sûrs ?

Un simple sondage : dommage !

Souvent, lors des consultations lancées par la Commission européenne, les parties intéressées sont encouragées à faire part de leurs observations sur les principes généraux et sur les orientations proposées dans un document de consultation (3). Ce n'est pas le cas pour cette "Consultation ouverte sur la sécurité des patients dans l'Union européenne", initiée par la Direction Santé et consommateurs de la Commission européenne.

Des intentions floues. Peu de choses sont indiquées à propos du projet proprement dit, annoncé pour la fin 2008. Deux objectifs globaux sont énoncés sommairement (a) :
• aider les États membres à réduire la gravité des effets indésirables évitables infligés aux patients en les incitant à prendre les décisions appropriées ;
• garantir aux citoyens européens qu'ils disposeront d'une information suffisante sur les niveaux de risque et les possibilités de réparation des dommages (2).

Un sondage insuffisant. Un sondage public sur la perception « des types de règles, stratégies, systèmes et processus déjà en place et sur les actions souhaitées a été mis en place pour répondre à la question « Les citoyens européens reçoivent-ils les soins les plus sûrs ? » (b)(2).

Sur 61 questions au total, seulement 2 questions ouvertes permettent d'adresser d'éventuelles propositions aux autorités locales ou européennes (2). L'introduction aux questions 35-38 (section 8) prétend qu'il n'existe pas de terminologie appropriée, alors que des travaux ont été conduits par le Conseil de l'Europe et dans le cadre du programme Simpatie (voir plus loin) (2). Au-delà du mélange entre sujets de nature très différente, trop peu de place est laissée pour des observations pertinentes.

En somme, ce cadre de réponse ne permet pas de s'y retrouver et de contribuer efficacement pour faire progresser vers des soins plus sûrs en Europe.

Les citoyens européens déjà préoccupés

Le sondage lancé en mars 2008 est d'autant plus surprenant que la Commission européenne a publié récemment, en 2006, les résultats d'une enquête "Eurobaromètre" sur la perception des erreurs médicales par les européens (4). Cette enquête avait eu lieu à l'initiative de la Direction générale Développement et été coordonnée par la Direction générale Presse et communication de la Commission européenne, en 2005, dans les vingt-cinq États membres, dans les pays adhérents et candidats, et dans la communauté chypriote turque, collectant près de 25 000 réponses (4).

Des dégâts déjà perçus par la population européenne. Selon l'enquête de 2005, 23 % des européens interrogés ont été les victimes ou les témoins d'une erreur liée aux soins. 18 % d'entre elles indiquaient que cela s'était produit en milieu hospitalier et 11 % évoquaient une erreur de prescription (4). Les victimes d'une erreur liée aux soins avaient davantage tendance à s'inquiéter d'être victimes à nouveau d'une erreur éventuelle et à perdre confiance dans le système de santé de leur pays (4).

Les erreurs liées aux soins déjà considérées comme un problème majeur. Près de 4 citoyens européens sur 5 (78 %) jugeaient que les erreurs médicales posent un problème important dans leurs pays respectifs (4).

Les avis s'avéraient très variables d'un pays à l'autre. Les citoyens d'Europe du Sud et des pays baltes semblaient un peu plus préoccupés par la sécurité des patients hospitalisés que ceux d'Europe occidentale et, surtout d'Europe du Nord, qui paraissaient faire davantage confiance à leur système de santé (c)(4).

En somme, les résultats de cette enquête laissent peu de place au doute. L'intérêt d'un sondage supplémentaire, redondant et moins précis, est difficile à comprendre, d'autant qu'il s'écarte de la méthode employée dans le précédent, interdisant toute comparaison (d). Il est donc très surprenant que la Commission européenne n'ait pas pris en compte les résultats de cet "Eurobaromètre" dans ses projets de propositions sur la sécurité des patients. Pourquoi donc repartir à zéro ?

S'appuyer sur les propositions déjà existantes

De nombreuses initiatives internationales et européennes ne sont pas mentionnées dans le préambule de la "consultation ouverte" organisée en mars 2008. Ceci ne doit pas conduire à en omettre l'existence.

Le "big bang" de la sécurité des soins : depuis plus de 15 ans. Aux États-Unis d'Amérique, l'extrapolation des résultats de la "Harvard Medical Practice Study", publiés en 1991, a conduit à estimer que plusieurs dizaines de milliers de personnes y décèdent chaque année à la suite d'une erreur liée aux soins (5,6). L'Institute of Medicine a alors engagé une réflexion approfondie sur la qualité des soins. La publication, à la fin 1999, d'un rapport intitulé "L'erreur est humaine - Bâtir un système de santé plus sûr", a eu un retentissement considérable (e)(7).

Des études analogues entreprises ailleurs ont confirmé l'ampleur du problème, et suscité des plans d'action gouvernementaux incluant le renforcement ou la création d'agences ou d'instituts chargés d'améliorer la sécurité des patients, en particulier à partir du recueil de déclarations d'événements indésirables ou d'erreurs, aux États-Unis d'Amérique, en Australie, au Canada, au Danemark, au Royaume-Uni, en Espagne, et en Irlande (f).

Un mouvement d'ampleur internationale pour la sécurité des soins. Adoptée lors de la 55e Assemblée mondiale de la santé en mai 2002, la résolution "Qualité des soins : sécurité des patients" invitait les pays à accorder la plus grande attention à ce sujet et incitait l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à promouvoir le développement d'une politique de sécurité des patients en établissant notamment des standards internationaux, en encourageant la recherche et en appuyant les efforts des États membres (8).

Dans ce contexte, l'OMS a proposé notamment : l'implication des patients et usagers, le développement d'une taxonomie internationale (Classification internationale de la sécurité des patients (CIPS)), la recherche et la mise en place de "solutions" pour améliorer la sécurité des patients, etc.

Des recommandations relatives aux systèmes de déclaration et d'apprentissage des événements indésirables liés aux soins ont été diffusées aux États membres lors du sommet de Londres fin 2005 (9) ; sommet au cours duquel a été lancé le programme d'association des patients à la sécurité des soins (10).

Le Conseil de l'Europe : engagé de longue date dans la protection des patients. Au sein du Conseil de l'Europe, le Comité européen de la santé (CDSP), créé en 1954, est chargé d'encourager une coopération européenne plus étroite dans la promotion de la santé (g). Le Comité européen de la santé élabore des recommandations sur la base des travaux menés par des comités d'experts, qu'il soumet au Comité des ministres (organe décisionnaire du Conseil de l'Europe) pour adoption. Ces lignes directrices ne sont pas contraignantes au sens juridique strict, mais ont vocation à susciter le changement dans les 47 États membres.

En novembre 2002, le Comité européen de la santé a créé un Comité d'experts sur la gestion de la sécurité et de la qualité des soins de santé (2002-2005), dont les travaux ont conduit en 2006 à une recommandation sur la gestion de la sécurité des patients et de la prévention des événements indésirables dans les soins de santé (lire pages 67-68) (h)(11).

L'Union européenne ne part pas de zéro. Au sein de la Commission européenne, la Direction Santé et protection des consommateurs a mis en place un groupe de réflexion appelé "Groupe de haut niveau sur les services de santé et les soins médicaux" (2004-2006) afin que les États membres puissent partager leur expérience, comparer leur politique et leur performance, et développer en commun des actions concrètes (12).

Organisée en avril 2005 sous la Présidence luxembourgeoise de l'Union européenne, la conférence "La sécurité des patients - En faire une réalité" a permis l'adoption d'une déclaration, dite déclaration de Luxembourg, comportant des recommandations aux autorités nationales, aux professionnels de santé, et surtout aux institutions européennes (lire en encadré ci-contre) (13).

Dans le cadre du programme Simpatie (Safety Improvement for Patients In Europe) pour la période 2005-2007, des échanges ont eu lieu avec le Conseil de l'Europe pendant la phase préparatoire de la recommandation de 2006, notamment des travaux concernant le vocabulaire appliqué à la sécurité des patients (13,14).

À ce projet a succédé en février 2008 un réseau européen pour la sécurité des patients (EUNetPaS, pour European Network for Patient Safety), coordonné par la Haute autorité de santé (HAS) française (15). Ses objectifs sont de : promouvoir la culture de la sécurité des patients, structurer la formation initiale et la formation continue en matière de sécurité des patients, contribuer à la mise en œuvre de systèmes de recueil en fournissant les outils nécessaires aux États membres, mettre en œuvre des expériences pilotes d'amélioration des soins médicamenteux hospitaliers (15).

La protection des patients n'attend pas

En somme, la "consultation ouverte" organisée par la Commission européenne en mars 2008 ne semble pas en cohérence avec les initiatives européennes relatives à la sécurité des patients déjà mises en œuvre. Et sa forme ne permet pas aux organisations signataires d'y répondre de manière constructive.

Il ne faudrait pas que, sous couvert de "démocratie participative", cette initiative diffère la mise en œuvre de mesures déjà préconisées par l'Organisation mondiale de la santé et par le Conseil de l'Europe. Pendant ce temps, les patients demeurent exposés aux erreurs liées aux soins sans perspective d'amélioration tangible.

L'International Network of Safe Medication Practice Centers (Insmpc) demande à la Commission européenne de se ressaisir pour mettre en œuvre sans attendre des incitations auprès des États membres, afin de protéger sans délai les patients européens vis-à-vis des erreurs liées aux soins.

©Insmpc, dénommé depuis IMSN
Traduction ©Prescrire 15 janvier 2009
Rev Prescrire 2009 ; 29 (303) : 64-67.

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Notes
a- Il est indiqué laconiquement que le projet de la Commission européenne concernerait des questions d'ordre systémique, telles que : « la culture, le leadership, la formation, l'information, le signalement et la réparation » (réf. 2).
b- Ce sondage comporte 61 questions réparties en 11 groupes : le vécu personnel d'un effet indésirable évitable ; la priorité politique réservée à la sécurité des soins au niveau national ; les budgets correspondants ; l'implication des patients dans l'amélioration de la sécurité ; le management des structures de soins ; les professionnels de santé ; les systèmes de signalement et d'apprentissage ; les échanges d'information ; les standards et l'évaluation des pratiques ; la recherche et le développement ; les plaintes et les indemnisations (réf. 2).
c- Plus de la moitié des européens (51 %) pensaient ne pouvoir éviter d'être victimes d'erreurs médicales en milieu hospitalier, s'estimant incapables d'exercer une quelconque influence sur les décisions d'ordre médical qui les concernent (réf. 4).
d- La Commission européenne se prive ainsi d'informations utiles sur l'évolution des mentalités en Europe à l'égard des erreurs liées aux soins.
e- Il a été suivi de plusieurs autres rapports : "Crossing the quality chasm : a new health system for the 21st century" (2001) ; "Patient safety : achieving a new standard for care" (2003) ; "Keeping patients safe : transforming the work environment of nurses" (2006) ; "Preventing medication errors" (2007). Publié presque simultanément, ce dernier complète utilement le rapport du Conseil de l'Europe sur la prévention des erreurs médicamenteuses (réf. 16,17).
f- Il s'agit de : l'Agency for Healthcare Research and Quality aux États-Unis d'Amérique, l'Australian Council for Safety and Quality in Health Care en Australie, l'Institut Canadien sur la Sécurité des Patients au Canada ; et en Europe, de : la DanskPatientSikkerhedsDatabase au Danemark, la National Patient Safety Agency (NPSA) au Royaume-Uni, la Agencia de Calidad del Sistema Nacional de Salud en Espagne, le Clinical Indemnity Scheme (CIS) en Irlande.
g- Parmi les initiatives du Conseil de l'Europe en matière de sécurité des patients, on peut citer notamment les recommandations relatives à la transfusion sanguine (hémovigilance), aux transplantations d'organes (biovigilance), et la création de la Direction européenne pour la qualité des médicaments (DEQM).
h- L'annexe E de cette recommandation du Conseil de l'Europe, intitulée "Sécurité de la médication - Une stratégie spécifique en vue de promouvoir la sécurité des patients", résume les grands principes qui ont guidé la préparation d'un rapport complémentaire sur la prévention des erreurs médicamenteuses (réf. 17). Ce rapport comporte notamment un glossaire de l'ensemble des termes relatifs à la sécurité des patients (réf. 17).
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Références
1- European Commission "Launch of an Open Consultation on Patient Safety" 25 March 2008. Site ec.europa.eu/health/ consulté le 18 septembre 2008 : 1 page.
2- European Commission "An open consultation on patient safety in the European Union" : 16 pages.
3- Commission européenne "Communication de la Commission - Vers une culture renforcée de consultation et de dialogue - Principes généraux et normes minimales applicables aux consultations engagées par la Commission avec les parties intéressées" COM(2002) 704 final. Bruxelles, le 11 décembre 2002. Site ec.europa.eu consulté le 18 septembre 2008 : 27 pages.
4- Commission européenne "Les erreurs médicales" Eurobaromètre Spécial 241 / Vagues 64.1 & 64.3 – TNS Opinion & Social. Janvier 2006 : 66 pages.
5- Brennan TA et coll. "Incidence of adverse events and negligence in hospitalized patients. Results of the Harvard Medical Practice Study I" N Engl J Med 1991 ; 324 (6) : 370-376.
6- Leape LL et coll. "The nature of adverse events in hospitalized patients. Results of the Harvard Me-
dical Practice Study II" N Engl J Med 1991 ; 324 (6) : 377-384.
7- Kohn LT et coll. "To err is human. Building a safer health system" National Academy Press, Washington 2000 : 239 pages.
8- Organisation Mondiale de la Santé "Qualité des soins : sécurité des patients" 55e assemblée mondiale de la santé WHA55.18, 18 Mai 2002 : 2 pages.
9- World Health Organization "WHO Draft guidelines for adverse event reporting and learning systems. From information to action" 2005 : 76 pages.
10- WHO World Alliance for Patient Safety "London Declaration. Patients for Patient Safety" 17
January 2006 : 1 page.
11- Conseil de l'Europe "Recommandation Rec(2006)7 du Comité des Ministres aux États membres sur la gestion de la sécurité des patients et de la prévention des événements indésirables dans les soins de santé" 24 mai 2006 : 15 pages.
12- European Commission "Documents of the High Level Group (2004-2006)". Site ec.europa.eu/health/ consulté le 12 septembre 2008 : 2 pages.
13- Commission européenne "Sécurité du patient. En faire une réalité - Déclaration de Luxembourg sur la sécurité du patient" 5 Avril 2005. Site www.simpatie.org consulté le 12 septembre 2008 : 3 pages.
14- "Safety Improvement for Patients In Europe (Simpatie project)". Site www.simpatie.org consulté le 12 septembre 2008 : 4 pages.
15- "European Union Network for Patient Safety (EUNetPaS)". Site www.eunetpas.eu consulté le 12 septembre 2008 : 1 page.
16- Aspden P et coll. "Preventing medication errors" National Academy Press, Washington 2006 : 392 pages.
17- Council of Europe - Expert Group on Safe Medication Practices "Creation of a better medication safety culture in Europe : Building up safe medication practices" 2007: 278 pages.