Transposition de la directive 2004/27/CE sur le médicament :
la France en retard
Selon l'article 249 du Traité instituant la
Communauté européenne, une directive « lie tout État
membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant
aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens » (1).
La "transposition" consiste à incorporer dans le droit national
de chaque État les obligations, les droits et les devoirs prévus
dans les directives, en modifiant, en abrogeant, voire en créant des dispositions
nationales (2). Des mesures intéressant surtout
firmes et agences Pour la Directive 2004/27/CE sur le médicament,
qui modifie de manière notable le cadre législatif européen
du médicament, la date limite de transposition était fixée
au 30 octobre 2005 (3). Mais au 7 novembre 2005, seules quelques dispositions
intéressant firmes et agences ont été prises, en France,
dans le sens de la Directive.
Une
définition plus détaillée et pourtant vague du médicament
générique La loi du 13 août 2004 relative à
l'assurance maladie a complété la définition du médicament
générique qui figure dans l'article L.5121-1- 5e du Code de la santé
publique (CSP). Désormais, pour l'application de cet article, « les
différents sels, esters, éthers, isomères, mélange
d'isomères, complexes ou dérivés d'un principe actif sont
considérés comme un même principe actif, sauf s'ils présentent
des propriétés sensiblement différentes au regard de la sécurité
ou de l'efficacité. Dans ce cas, des informations supplémentaires
fournissant la preuve de la sécurité et de l'efficacité des
différents sels, esters ou dérivés d'une substance active
autorisée doivent être apportées » (4). Cette
définition, qui correspond bien à l'article 10-2-b de la Directive
2004/27/CE, est le résultat contourné d'un compromis entre partisans
des firmes pharmaceutiques qui commercialisent des génériques et
partisans des autres firmes. Nous avons déjà eu l'occasion de souligner
que cette définition pourra donner lieu à des interprétations
variées sur fond de protectionnisme industriel (5).
Des
ruptures de stock mieux maîtrisées ? Sans que l'on
sache s'il s'agit d'un effet de la Directive 2004/27/CE (article 23 bis), la loi
du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique a
complété, dans l'esprit de la Directive, l'article L.5124-6 du CSP
relatif au signalement des arrêts de commercialisation par les firmes à
l'Agence des produits de santé (Afssaps). Désormais, les firmes
doivent « en outre informer l'Agence (
) de tout risque de rupture
de stock sur un médicament ou produit sans alternative thérapeutique
disponible (
) ainsi que tout risque de rupture de stock (
) lié
à l'accroissement brutal et inattendu de la demande » (6).
On note que, selon l'article 23 bis de la Directive, la notification des arrêts
de commercialisation ou ruptures de stock doit avoir lieu « hormis
dans des circonstances exceptionnelles » au plus tard deux mois avant
l'interruption. En France, l'article L.5124-6 du CSP ne fixe pas de délai. Un
cadre plus précis pour les modifications des autorisations de mise sur
le marché Un décret du 18 février 2005 a modifié
le chapitre du CSP relatif aux autorisations de mise sur le marché (AMM)
(7). On trouve désormais dans les articles R.5121-41-1 à 7 du CSP
la définition des différentes modifications d'AMM, alias "variations",
selon leur importance croissante (IA, IB et II). Y apparaît aussi le concept
d'AMM globale regroupant les autorisations de toutes les formes, tous les dosages,
toutes les présentations, mais aussi toutes les indications concernant
une même substance active. Cette nouveauté aura notamment des conséquences
sur les AMM octroyées à des médicaments génériques :
une fois écoulé le délai de protection des données
relatives à un "princeps", des génériques pourront
être commercialisés sous les mêmes formes, dosages, etc., et
avec les mêmes indications que le "princeps".
Des
mesures de restriction d'urgence pour raisons de sécurité Le
décret du 18 février 2005 a également précisé
comment une AMM peut être modifiée par une "mesure de restriction
urgente" pour des raisons de sécurité ou en cas de risque pour
la santé publique (7). Il peut s'agir de restrictions des indications ou
de la posologie, ou de l'ajout d'une mise en garde, d'une précaution d'emploi,
etc. Selon l'article R.5121-41-6, ces mesures peuvent être prises par la
firme, qui doit en informer l'Afssaps, ou par le Directeur général
de l'Afssaps. Ces dispositions vont bien dans le sens de la Directive 2004/27/CE,
mais on peut remarquer que le Directeur général de l'Afssaps avait
déjà auparavant la possibilité de « modifier d'office,
suspendre (
) ou retirer une autorisation de mise sur le marché »
selon l'article R.5121-47 (ex-article R.5139) du CSP. En cas d'urgence, il pouvait
même déjà le faire sans que le titulaire de l'AMM soit invité
à fournir des explications. Pour l'instant, ce renforcement des textes
surprotégeant l'Afssaps dans les cas où elle agirait sur une AMM
n'a pas conduit à beaucoup de mesures de restriction spectaculaires.
À
quand la transposition de ce qui intéresse directement patients et soignants ?
Au
2 novembre 2005, il reste beaucoup à faire pour que l'ensemble de la Directive
2004/27/CE soit intégré dans le droit français. Ainsi, dans
des domaines aussi importants que la transparence de l'Agence française
des produits de santé ou l'information des patients, tout reste à
faire.
Toujours
pas d'obligation de transparence pour l'Afssaps dans le droit français Selon
l'article 21 de la Directive : « Les autorités compétentes
[NDLR : en France, l'Afssaps] rendent sans retard l'autorisation de mise
sur le marché publiquement accessible (
) » et elles « mettent
sans retard à la disposition du public le rapport d'évaluation et
les raisons justifiant leur avis (
). Les motifs sont indiqués séparément
pour chaque indication demandée » (3). Pour le moment,
l'article L.5311-1 qui liste les missions de l'Afssaps est beaucoup moins précis. Quant
aux dispositions de l'article 126 ter de la Directive : « (
)
les États membres veillent à ce que l'autorité compétente
rende accessible au public (
) l'ordre du jour de ses réunions, les
comptes rendus assortis des décisions prises, des détails des votes
et des explications de vote, y compris les opinions minoritaires »,
elles restent à créer en France (3).
Toujours
pas de disposition visant à améliorer les notices et l'étiquetage Selon
l'article 56 bis de la Directive, « le nom du médicament [NDLR :
nom de marque, dosage, forme, DCI] doit (
) figurer en braille sur l'emballage
(
) ". Et selon l'article 59-3, « la notice doit refléter
les résultats de la consultation de groupes cibles de patients, afin de
garantir sa lisibilité, sa clarté et sa facilité d'utilisation ».
L'article 61-1 précise que sont fournis à l'autorité compétente
« les résultats des évaluations [NDLR : des conditionnements]
réalisées en coopération avec des groupes cibles de patients » (3).
Aucune obligation de ce type n'existe pour le moment dans la réglementation
française.
Des mesures novatrices, concernant directement les professionnels
de santé et les patients, sont toujours attendues. Certes, la France est
souvent en retard en matière de transposition de Directives européennes,
et pas seulement dans le domaine du médicament (a)(8). Mais il ne s'agit
pas que les autorités françaises "oublient" qu'elles ont
un devoir de transposition, en particulier quand les mesures à prendre
vont dans le sens de la santé publique.©La revue
Prescrire 1er décembre 2005 Rev Prescrire 2005 ; 25 (267) :
817-818. _________ Notes a- La création
par un décret du 17 octobre 2005 du Comité interministériel sur l'Europe et du
Secrétariat général des affaires européennes, chargé notamment du suivi interministériel
de la transposition des directives, devrait stimuler un peu les ministres concernés
(réf. 9). Avant ce décret, les structures administratives françaises chargées
de la transposition des directives avaient été mises en place et organisées au
moyen de circulaires successives (réf. 2). _________ Références
1- Union européenne "Versions consolidées du traité
sur l'Union européenne et du traité instituant la Communauté
européenne" février 2003 : 132. 2- "La transposition
des normes communautaires en droit national : un mécanisme administratif
et juridictionnel". In : Sauron J-L "L'application du droit de
l'Union européenne en France" La documentation française, Paris
2000 : 41-68. 3- "Directive 2004/27/CE du Parlement européen
et du Conseil du 31 mars 2004 modifiant la Directive 2001/83/CE instituant un
code communautaire relatif aux médicaments à usage humain"
Journal Officiel de l'Union européenne du 30 avril 2004 : L136/34
- L136/57. 4- "Loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à
l'assurance maladie" Journal Officiel du 17 août 2004 : 14598-14626. 5-
Prescrire Rédaction "Génériques : quelles limites
tolérées à la bioéquivalence ?" Rev Prescrire
2005 ; 25 (257) : 75-76. 6- "Loi n° 2004-806 du 9 août
2004 relative à la politique de santé publique" Journal Officiel
du 11 août 2004 : 14277-14336. 7- "Décret n° 2005-156
du 18 février 2005 relatif aux modifications d'autorisation de mise sur
le marché de médicaments à usage humain et modifiant le code
de la santé publique (deuxième partie : partie Réglementaire)"
Journal Officiel du 23 février 2005 : 3000-3002. 8- Assemblée
nationale "Rapport d'information déposé par la Délégation
de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne sur la transposition
des directives européennes" 6 juillet 2005 : 201 pages. 9-
"Décret n° 2005-1283 du 17 octobre 2005 relatif au comité
interministériel sur l'Europe et au secrétariat général
des affaires européennes" Journal Officiel du 18 octobre 2005 :
16488. |