Depuis le 2 juillet 2006, le bénéfice du congé
de maternité est accordé dès le premier jour de l'arrêt
de travail aux femmes exposées in utero au diéthylstilbestrol, alias
DES (Distilbène°). Cette mesure intervient près de 30 ans après
l'arrêt des prescriptions et la mise en évidence d'anomalies utérines,
sources de risques obstétricaux chez les filles exposées au DES
in utero. L'histoire du DES est toujours à rappeler et à enseigner
pour réfléchir aux conséquences du manque de rigueur de l'évaluation
clinique avant la mise sur le marché, et de la lenteur à prendre
en compte des effets indésirables après commercialisation. Après
la parution en 1983 dans le journal Le Monde d'un article marquant intitulé
"Une monumentale erreur médicale. Les enfants du distilbène",
la toute jeune revue Prescrire a consacré un premier dossier à "L'affaire
Distilbène°". D'autres textes ont suivi ; celui du numéro
109 de 1991 se concluait par cette recommandation : " l'exemple du DES devra
encore être enseigné et médité dans l'avenir ".
Cette remarque est toujours d'actualité. Utilisé
pour prévenir les complications de la grossesse Très
vite, la synthèse aisée des stilbestrols, alliée à
un prix de revient réduit, poussa de nombreuses firmes pharmaceutiques
à en commercialiser et les médecins à les essayer dans différentes
situations, telles que, selon la terminologie de l'époque, la carence folliculinique
après la ménopause, les phénomènes d'insuffisance
estrogène, l'inhibition de la fonction galactogène, etc. En 1946,
un couple de chercheurs de Boston, les Smith, publient dans The American Journal
of Obstetrics and Gynecology les résultats favorables qu'ils ont obtenus
en administrant le DES à des femmes enceintes pour diminuer la fréquence
de certaines complications de la grossesse : avortements, accouchements prématurés,
morts in utero. Dès 1947, des études menées par d'autres
scientifiques ne confirment pas les travaux des Smith. Mais les Smith persistent
et, en 1948, publient de nouveaux résultats favorables à l'utilisation
du DES. Malgré une étude négative
bien menée, l'usage du DES pendant la grossesse continua En
1953, une équipe universitaire de Chicago publie, également dans
The American Journal of Obstetrics and Gynecology, les résultats d'un essai
comparatif randomisé et en double aveugle. C'est la première
étude rigoureuse sur l'utilisation du DES pendant la grossesse. Non seulement
elle ne confirme pas la thèse des Smith, mais elle révèle
que certaines complications de la grossesse sont plus fréquentes chez les
femmes qui ont pris du DES que chez les femmes du groupe placebo (avortement,
prématurité, surmortalité périnatale). Pourtant,
le "schéma des Smith", un calendrier des doses de DES à
administrer au cours de la grossesse, continua à être enseigné
dans les universités, et l'utilisation du diéthylstilbestrol resta
recommandée par les autorités médicales. À la
fin des années 1950, une publicité pharmaceutique n'hésita
pas à présenter le DES comme un remède miracle recommandé
"pour une prophylaxie de routine dans toutes les grossesses". Beaucoup
de temps perdu En 1971, une équipe de gynécologues de
Boston émit l'hypothèse d'un lien entre l'administration de DES
et la survenue, chez les filles issues de ces grossesses, d'adénocarcinomes
à cellules claires du vagin à un âge se situant entre 15 ans
et 22 ans. C'est la mère de l'une des jeunes filles qui les avait mis sur
la voie. Le lien DES-cancer du vagin fut confirmé, notamment grâce
à un registre mis sur pied aux États-Unis d'Amérique pour
colliger tous les cas d'adénocarcinomes du vagin survenant chez les jeunes
femmes. La survenue d'un adénocarcinome du vagin se révéla
heureusement rare, le risque étant estimé de l'ordre de 1/1 000
à 1/10 000 filles exposées, de la naissance à l'âge
de 34 ans. Des grossesses à haut risque En
1977, une nouvelle publication dans The American Journal of Obstetrics and Gynecology
signala, chez les jeunes filles exposées in utero au DES, une fréquence
élevée d'anomalies morphologiques au niveau de l'utérus.
Ces anomalies furent confirmées par plusieurs études ultérieures
: hypoplasie du col ou de l'utérus, utérus en T. Les femmes
exposées au DES in utero voient également leur fécondité
affectée, comme leur avenir obstétrical : accroissement du risque
de grossesse extra-utérine, d'avortement spontané et d'accouchement
prématuré. La France fut lente à
réagir Aux États-Unis d'Amérique, l'usage du DES
fut contre-indiqué pendant la grossesse, dès 1971, par la Food and
Drug Administration (FDA). Il a fallu attendre 6 ans de plus avant que la mention
de la contre-indication pendant la grossesse n'apparaisse dans le dictionnaire
Vidal. En France, les prescriptions de Distilbène° se sont étalées
de 1948 à 1981 et on estime qu'environ 160 000 enfants y ont été
exposés in utero. Le premier cas de cancer du vagin lié au DES a
été publié en France en 1975. Les femmes exposées
in utero doivent bénéficier d'une surveillance gynécologique
et d'une prise en charge obstétricale adaptée. Suite au décret
de juillet 2006, elles peuvent bénéficier d'un congé de maternité
plus précoce. Mieux vaut tard que jamais.
©La
revue Prescrire 15 septembre 2007 Rev Prescrire 2007 ; 27 (287) :
700-702 (24 références). |