La publicité directe au public pour les médicaments sur
prescription est légale seulement aux États-Unis d'Amérique
et en Nouvelle-Zélande.
Depuis 1990, on note une croissance rapide
de ces dépenses publicitaires. L'Agence étatsunienne du médicament
(Food and Drug Administration (FDA)) a assoupli les règles en 1997 pour
les publicités à la radio et à la télévision.
En octobre 2001, un mois après l'attaque des tours jumelles à New
York, on a pu voir par exemple dans une publicité : « Des
millions de personnes souffrent d'inquiétude chronique »,
avec "la solution" : Paxil° (paroxétine ; Deroxat°
ou autre, en France), un antidépresseur. Dans cette publicité, étaient
mis en avant comme symptômes de cette « inquiétude
chronique » : la fatigue, la tension musculaire, les soucis,
les problèmes personnels, etc. Une autre publicité concernant Aricept°
(donépézil), préconisé dans la maladie d'Alzheimer,
suggère une efficacité plus importante que l'efficacité démontrée
par les études cliniques, en ces termes : « Les troubles
de la mémoire de maman étaient causés par la maladie d'Alzheimer.
Nous ne sommes pas restés passifs. Elle a vu un médecin très
rapidement et il lui a prescrit de l'Aricept°. Maintenant elle va mieux ».
La firme pharmaceutique affirme ainsi avoir la solution face à ce diagnostic
terrible (a).
En Europe, une légalisation de la publicité
de médicaments pour le grand public a été proposée
par la Commission européenne dans un projet pilote concernant les médicaments
pour l'asthme, le diabète et l'infection par le HIV. Ce projet a été
refusé par un vote du Parlement européen en octobre 2002, par 494
voix contre et 42 pour.
Pourquoi faut-il interdire
la publicité directe au grand public ? Pour les médicaments
prescrits sur ordonnance, la firme n'a le droit ni de vendre ni de faire de la
publicité directement au public. Par rapport aux médicaments en
vente libre, il s'agit en effet de médicaments comportant plus de risques
ou des risques moins bien cernés. Ces médicaments concernent les
traitements de problèmes sérieux nécessitant un suivi médical.
Et il y a un risque de prescriptions inadéquates.
L'interdiction
de la publicité directe en Europe a entraîné une réaction
d'un dirigeant de la firme Merck, en ces termes : « L'interdiction
de la publicité directe en Europe a amené une nouvelle pathologie :
le syndrome de manque d'information. Ce syndrome a une ampleur "épidémique"
causant beaucoup de souffrances et de morts
» (Per Wold-Olsen,
cité dans Scrip du 31 août 2004).
Un mois plus tard, en septembre
2004, éclatait l'affaire du Vioxx° (rofécoxib) vendu dans le
monde entier de 1999 à 2004. En fait, les premières données
publiées sur les risques cardiaques sont apparues en 2000 (étude
Vigor), soit un an après la mise sur le marché. Vioxx° n'est
pas plus efficace que les médicaments comparables : il est plus cher,
mais il a fait l'objet d'une publicité directe extraordinaire, représentant
cinq cents millions de dollars en cinq ans, soit plus que Pepsi-Cola ! En
2005, David Graham, de la FDA, a estimé que ce produit avait provoqué
entre 88 000 et 139 000 crises cardiaques supplémentaires.
Cette
affaire a-t-elle marqué la fin de la discussion sur la légalisation
de la publicité directe en Europe ?
Oui et non. Oui, car il
y a peu de possibilité de voir bientôt être ratifiée
une nouvelle loi européenne légalisant cette publicité. Non,
car la publicité directe est en fait implantée, et particulièrement
rentable.
Pour la publicité, des dépenses
considérables Ces dépenses publicitaires, un peu plus
de 1 milliard de dollars en 1997 et plus de 4 milliards en 2004, ont évidemment
un effet sur les ventes des médicaments aux États-Unis d'Amérique.
L'augmentation de ces ventes représente 20,8 milliards de dollars en un
an, de 1999 à 2000. En effet 48 % de l'augmentation sont liés à
la vente de cinquante médicaments promus par cette publicité, et
52 % à la vente des 10 000 autres médicaments.
D'après
la réglementation en vigueur aux États-Unis d'Amérique, il
existe trois types de publicités pour les médicaments : -
la publicité "complète", avec le nom commercial et les
indications (problèmes de santé pour lesquels le médicament
est prescrit) ; - la publicité dite "de rappel", avec
le nom commercial seulement. Les indications ou problèmes de santé
ne sont pas mentionnés ; - la publicité dite "de demande
d'aide", qui mentionne le problème de santé mais pas le nom
commercial, et suggère de consulter un médecin.
Un exemple
de publicité complète est celle de Zoloft° (sertraline), qui
préconise le traitement du syndrome prémenstruel par cet antidépresseur
en ces termes : « Are you giving up days to what you think
is P.M.S. ? ». L'indication promue, le syndrome dysphorique
prémenstruel, a été refusée par l'Agence européenne.
Un
exemple de publicité "de rappel" est celle de Vioxx° (rofécoxib)
où l'on voit, image axée sur l'efficacité, une patineuse
célèbre.
Un exemple de publicité de "demande
d'aide" est celle de la firme Merck, productrice de Fosamax° (acide alendronique)
pour le traitement de l'ostéoporose, et qui conseille vivement aux femmes,
après la soixantaine, de pratiquer une ostéodensitométrie.
Ces
trois types de publicités sont autorisés aux États-Unis d'Amérique.
La publicité dite "de rappel" commence à apparaître
au Canada par le biais d'une nouvelle interprétation de la loi, et la publicité
dite de "demande d'aide" se développe au Canada, en Australie,
en Europe et ailleurs. Elle est mal contrôlée et difficile à
réglementer. Elle existe aussi en France, notamment à la télévision.
De nombreux exemples peuvent être donnés Ainsi
celui d'une publicité "de rappel" concernant Levitra° (vardénafil),
médicament des troubles de l'érection, vue à Toronto en 2005 :
« Parce que la vie doit être spontanée, voyez votre
médecin (Because life should be impulsive
ask your doctor !) ».
Au Canada, les publicités "de rappel" sont en évidence
depuis 2000, à la suite d'une nouvelle interprétation élargie
d'un règlement concernant les publicités pour les prix des médicaments.
Ou
encore la publicité préconisant la prise d'Accutane° (isotrétinoïne
orale ; Roaccutane° ou autre, en France) pour traiter l'acné avec
ces mots : « Stop hiding ! » et conseillant
de s'informer auprès de son médecin. Alors que ce médicament
est contre-indiqué pendant la grossesse en raison de risques sérieux
de malformations.
Une publicité grand public, du type "demande
d'aide", concerne Xenical° (orlistat) indiqué, au Canada, dans
l'obésité (indice de masse corporelle (IMC) = 30 kg/m2 ou > 28
kg/m2 + facteurs de risque cardiovasculaire), avec cette phrase : « Demandez
à votre médecin l'histoire de Julie », accompagnée
de quatre images d'une femme non obèse qui voudrait simplement perdre quelques
kilos, sans mentionner le nom du produit. Le médecin est sensibilisé
lui aussi par une lettre intitulée « Je suis Julie ».
En
réalité, ce médicament est autorisé pour les obésités
(avec indice de masse corporelle = trente kilos par mètre carré)
avec risque cardiovasculaire. De plus, il est cher et pas très efficace,
et n'a pas été testé chez les non obèses. Il a aussi
des effets indésirables, de nature gastro-intestinale : selles graisseuses,
flatulence, écoulement graisseux, etc. Dans un autre domaine, une publicité
canadienne de type "demande d'aide" incite à faire un dosage
du cholestérol : l'image représente les pieds d'un homme décédé,
allongé dans une morgue, portant une étiquette accrochée
au gros orteil gauche, sur laquelle on peut lire : « crise
cardiaque, 52 ans ». À côté, on peut lire :
« Dire qu'un simple test de cholestérol aurait pu lui éviter
ça ». À propos de cette publicité, J. Quick
et ses collègues de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), écrivent
dans le Lancet le 30 août 2003 : « L'information présentée
comportait des propositions fallacieuses et a omis des faits importants. Cela
pourrait mener à une utilisation médicamenteuse sans justification
médicale ou à des risques qui auraient pu être évités ».
Suite à une plainte canadienne contre cette publicité, le ministre
de la Santé a répondu le 16 juin 2004 : « Ce
message ne suggère ni l'utilisation d'un médicament anticholestérol
spécifique, ni l'utilisation d'un médicament quelconque. Donc, on
ne peut dire que ce message soit une publicité. Ce message devrait mener
à une consultation médicale où un traitement approprié
sera recommandé au patient » (b). Enfin une publicité
étatsunienne pour Lipitor° (atorvastatine ; Tahor°), le médicament
le plus vendu dans le monde, dit que « High cholesterol comes in
all shapes and sizes ». Mais le taux élevé de cholestérol
est-il une maladie ou un facteur de risque ? Parfois le risque du médicament
est plus élevé que le risque cardiaque que l'on veut éviter.
Le
champ de la santé mentale n'est pas épargné La
santé mentale est-elle une question de chimie, avec une solution chimique ?
Une publicité pour Zoloft° (sertraline) indique que la dépression
pourrait être le produit d'un déséquilibre chimique et que
ce produit « corrige ce déséquilibre (works to correct
the imbalance ?) » au niveau des neurones (effet inhibiteur
de la recapture de la sérotonine). Mais d'après J. Lacasse et J.
Leo, après une recherche systématique de la littérature scientifique
concernant le lien entre la dépression et la sérotonine « il
n'existe pas d'évidence scientifique de la théorie du rôle
de la sérotonine. On trouve toutefois une base de données considérables
mais contradictoires
Il n'y a pas une seule étude scientifique qui
pourrait soutenir directement l'idée que n'importe quel désordre
psychiatrique vient d'un déficit de sérotonine
».
Un
test effectué aux États-Unis d'Amérique au sujet de l'influence
des patients sur la prescription d'antidépresseurs est très significatif.
Des "patients standardisés", des actrices, ont joué le
rôle de patients déprimés, demandant un traitement pour dépression
ou pour trouble de l'adaptation, en effectuant trois cents visites non annoncées
auprès de cent cinquante médecins. Plusieurs scénarios ont
été utilisés : symptômes de la dépression
majeure ; troubles de l'adaptation ; demande ou non ; nom commercial
ou non. Les médecins sollicités ont-ils prescrit des antidépresseurs ?
Pour les patients avec symptômes de dépression sans demande précise,
trois médecins sur dix ont prescrit ; en cas de demande de Deroxat°
(paroxétine), plus de la moitié l'ont prescrit ; pour les patients
se plaignant d'un "trouble de l'adaptation" sans demande particulière,
un médecin sur dix a prescrit, et un peu plus de la moitié en cas
de demande de Deroxat° (paroxétine).
Quelle
est la valeur éducative des publicités ? Une enquête
en médecine générale a été effectuée
comparativement à Sacramento et à Vancouver, incluant 1 431 patients
de 78 médecins, utilisant un questionnaire avant et après la consultation :
7 % des patients étatsuniens ont demandé un médicament promu
par la publicité directe au public, contre 3 % des patients canadiens.
Si un patient demandait un tel médicament, il le recevait : les médecins
ont prescrit trois fois sur quatre les médicaments demandés, sans
différence entre les médecins étatsuniens et canadiens.
Une
étude sur 320 publicités dans 18 grandes revues américaines
entre 1989 et 1998 a montré que l'information (ou les données les
plus importantes pour une décision éclairée et partagée
(« shared informed treatment choices »)) était
absente dans la majorité des cas. Neuf fois sur dix la publicité
ne mentionnait pas la probabilité de réussite du traitement, ni
sa durée ; huit fois sur dix, elle ne mentionnait pas d'autres possibilités
d'aide à la guérison ; sept fois sur dix, elle ne mentionnait
pas les autres traitements possibles, et six fois sur dix, elle ne précisait
pas le mode d'action.
Beaucoup de publicités incluent des offres
gratuites ou des baisses de prix, ce qui pourrait inciter un patient à
utiliser un médicament spécifique. Une publicité aux États-Unis
d'Amérique offre un essai gratuit de sept jours pour Ambien CR° (zolpidem ;
Stilnox° ou autre), alors que ce médicament est susceptible de créer
une dépendance ! Une pétition effectuée en octobre 2005,
demandant l'interdiction de la publicité directe a été signée
par plus de deux cents professeurs de médecine étatsuniens, affirmant
que la publicité directe « n'aide pas la santé publique.
Elle ajoute aux coûts des médicaments et au nombre d'ordonnances
qui ne sont pas nécessaires, ce qui est cher pour l'État et peut
être dangereux pour les patients ».
Quel est l'avenir
de la publicité directe auprès du public en Europe ? En réalité,
le public a besoin d'une information fiable, comparative et indépendante
concernant les problèmes de santé et tous les traitements disponibles,
y compris le choix de ne pas traiter. Ceci ne peut pas venir de la publicité,
qui vise à stimuler la vente d'un produit.
Barbara
Mintzes Centre de recherche en Politique et Services de santé - Vancouver
(Canada) (c) Rev Prescrire 2006 ; 26 (272) : 391-393.
________ Notes a- Deux exemples étatsuniens
de publicité directe au public sont présentés en page III
de couverture du n° 232 de la revue Prescrire. b- Cette campagne a aussi
eu lieu en France : voir les pages III de couvertures des n° 238 et 250
de la revue Prescrire. c- Résumé réalisé par G.
Lafue et J.-C. Bourdier d'une conférence tenue aux Septièmes rencontres
de pharmacologie sociale le 23 novembre 2005, organisées par le Collectif
de pharmacologie sociale de Toulouse et le Service de pharmacologie clinique de
la Faculté de médecine et du Centre hospitalier universitaire (CHU)
de Toulouse ; avec le soutien de l'Union régionale des caisses d'assurance
maladie (URCAM), de la revue Prescrire et de l'Institut de recherche fédératif
(IFR) 126 "Santé, Société". |