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Mainmise des firmes sur l'information-santé :
une mascarade européenne
 
La Commission européenne soutient la volonté des firmes de faire de la publicité directement auprès du public, y compris pour les médicaments soumis à prescription médicale. Une consultation biaisée a été orchestrée au niveau européen en vue de préparer des modifications du cadre législatif communautaire. Le Collectif Europe et Médicament adresse une lettre ouverte destinée aux Commissaires européens en charge du dossier.
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Une information santé pertinente pour des citoyens responsables
Déclaration du 3 octobre 2006
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Information santé : Chacun à sa place pour préserver
la liberté des patients-citoyens

mars 2007
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“Information” du public par les firmes pharmaceutiques :
une logique commerciale

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Mi-mars 2007, le groupe de travail sur l'information-patient du Forum pharmaceutique européen a mis en consultation publique deux documents : une liste de "critères de qualité" et un "modèle" d'information-patient sur le diabète.
Nous considérons que les questions accompagnant cette consultation pré-orientent les réponses et ne permettent pas de débat démocratique. Elles font de cette consultation un faux-semblant parmi d'autres destiné à justifier un projet législatif, préparé de longue date, de dérégulation de la communication des firmes pharmaceutiques avec le public.
Le Collectif Europe et Médicament ne peut en conscience participer à cette consultation. Faisant partie des acteurs incontournables sur cette question, il souhaite toutefois assumer ses responsabilités en apportant, par cette lettre ouverte, sa contribution en faveur d'un débat honnête et équilibré. Health Action International* (HAI) Europe et l'International Society of Drug Bulletins** (ISDB) s'associent à cette démarche et partagent les préoccupations exprimées par le Collectif Europe et Médicament.

L'opacité et l'absence de méthode du Forum pharmaceutique restent inadmissibles
Le Collectif Europe et Médicament, avec HAI et l'ISDB, déplore que le Forum pharmaceutique fonctionne depuis sa création dans une opacité quasi totale (1). Cette consultation en est une preuve supplémentaire : deux documents sont soumis à consultation publique sans que leur méthode d'élaboration soit explicitée, ni que les auteurs et leurs conflits d'intérêts éventuels soient connus. À écouter les témoignages de nombreux participants au Forum pharmaceutique, il n'y a même pas eu de méthode d'élaboration digne de ce nom, ce qui est encore plus grave. On comprend dans ce contexte l'indigence du résultat.

Les critères de qualité proposés sont flous et loin des patients
La liste de critères proposée est longue, utilisant des termes suffisamment flous pour être interprétés de manière "flexible". Et surtout, son titre tend à créer une confusion entre "information-santé" et "information sur les maladies et les médicaments".
Rappeler ici le but unique de l'information des patients n'est peut-être pas inutile. L'information attendue par les patients doit leur permettre de répondre aux questions qu'ils se posent. Elle doit les aider à analyser ce qui les préoccupe, leur donner une idée réaliste de l'évolution de leur état de santé, les aider à comprendre les investigations et les traitements, les résultats qu'ils peuvent en attendre, les choix parmi les options et les services disponibles. Elle doit les aider à supporter l'épreuve de la maladie, à obtenir de l'aide (2).
Pour prendre une décision éclairée, il faut disposer d'informations comparatives, qui présentent l'ensemble des options existantes et, pour chacune des options, les bénéfices attendus, mais aussi les risques encourus. Les dramatiques affaires récentes, telles l'affaire Vioxx° ou l'actuelle affaire Zyprexa°, rappellent que les effets indésirables sont souvent minimisés voire dissimulés par les firmes pharmaceutiques.

L'information-santé doit répondre avant tout à trois critères très simples
Elle doit être :
- fiable : étayée par des données probantes (mentionnant les sources de données au niveau de chaque assertion) ; totalement transparente sur les auteurs et leurs conflits d'intérêts; mise à jour ;
- comparative : présentant les bénéfices et les risques de l'ensemble des options thérapeutiques existantes (y compris, le cas échéant, celle de ne pas traiter) et expliquant l'évolution naturelle de la maladie ou du symptôme ;
- adaptée aux utilisateurs : compréhensible, adaptée au contexte social, linguistique et culturel du patient, et facile d'accès.
Dans un environnement très concurrentiel, les firmes pharmaceutiques sont logiquement responsables devant leurs actionnaires des profits engendrés par les ventes. Elles sont donc tenues de défendre leurs médicaments au détriment des autres moyens préventifs ou curatifs. Cela les rend totalement incapables de délivrer l'information comparative fiable dont les patients ont besoin.

Le "modèle" diabète est un contre exemple d'information-patient
Les acteurs du système de santé (professionnels de santé, associations de consommateurs et de patients indépendantes des firmes, autorités de santé et organismes payeurs) n'ont pas attendu que les firmes s'intéressent à l'"information-patient" pour produire de l'information pertinente pour les patients.
Beaucoup de sources d'information de qualité sont d'ores et déjà à la disposition du public, en Europe et dans le monde (2). Certes, des progrès restent à faire, en particulier pour aider le public à aborder de manière critique le volume d'information qui ne cesse d'augmenter, et à faire le tri (a).
Avec le "modèle" d'information-patient sur le diabète, le Forum pharmaceutique demande aux citoyens de se prononcer sur un document dont on ne sait pas comment il a été élaboré. La transparence sur les modalités d'élaboration est un préalable indispensable, si on considère ceux à qui on demande leur avis de façon respectable et responsable.
Nous avons toutefois pris la peine de lire le document et sommes obligés de constater l'indigence de son contenu. Il ne répond pas aux questions basiques que se posent les patients, ne hiérarchise pas les informations, ne compare pas les options thérapeutiques existantes au regard de leur évaluation et du recul d'utilisation, ne référence pas ses assertions, etc. C'est l'ensemble de ce document qui serait à reprendre s'il voulait effectivement répondre à un besoin des patients, ce qui n'est manifestement pas le cas.
Ce "modèle" démontre, s'il en était besoin, qu'une "information" standard élaborée au niveau européen, dans le contexte d'un partenariat privé-public, sans méthode documentaire et rédactionnelle rigoureuse, n'est d'aucun service aux patients.

Nous voulons croire, Messieurs les Commissaires, que la Commission européenne saura remettre ce processus en question, et renoncera à financer ce type de projets, inadaptés aux réalités des citoyens européens.

Nous demandons que cesse la confusion des rôles savamment entretenue
Au prétexte de défendre le droit des patients à l'information, quelques députés s'efforcent depuis plusieurs mois, à grand renfort de communications en tous genres (séminaires, animation de workshops, conférences de think-tanks opportunément créés) de désinformer l'opinion en laissant croire que l'Europe serait un désert en termes d'information de qualité sur la santé, et que seules les firmes pharmaceutiques seraient en mesure de remédier à cette situation.
Le Collectif Europe et Médicament, avec HAI et l'ISDB, rappelle à nouveau que les "informations" que sont à même de fournir les firmes pharmaceutiques sont par nature promotionnelles, et que l'emploi du terme "information" dans ce contexte relève d'une utilisation abusive, pour qualifier ce qui n'est in fine que publicité. La capacité des patients-citoyens à décider de leurs soins doit être d'autant plus protégée de l'influence de la publicité déguisée en "information", qu'ils sont affaiblis par la maladie.
Les besoins en information sont complexes, diffèrent et évoluent selon les personnes. Les différences de capacités physiques et/ou mentales, de niveau de formation et de moyens économiques déterminent le type d'information attendue par les patients et la façon dont ils vont l'utiliser. Informer les patients, en s'adaptant au plus près de leurs attentes, implique une relation de confiance qui s'inscrit dans le travail quotidien des professionnels de santé, des associations de malades indépendantes, de l'entourage du patient et dans la mission des bulletins indépendants destinés au public (2).
Les firmes pharmaceutiques ont un rôle différent à jouer, bien spécifique : la législation les oblige à fournir des médicaments correctement étiquetés et accompagnés d'une notice informative à l'intention des patients. La Directive 2004/27/CE exige que ces notices soient évaluées par les patients (3). Cette disposition importante faisait cruellement défaut. La mise au point, par les firmes, de conditionnements informatifs et sécurisés, et de notices pertinentes peut contribuer à un meilleur usage des médicaments et à la prévention des erreurs médicamenteuses (4). Il y a beaucoup de progrès à faire dans ce domaine, et certaines firmes semblent s'engager dans cette voie.
Toute confusion des rôles de ces différents acteurs expose au risque de nuire à la qualité des soins et à la liberté pour chacun de choisir au mieux selon ses besoins.

Nous vous rappelons votre mission de protection de la santé publique
Après un premier échec législatif en 2002 par le rejet massif par le Parlement de l'introduction de la communication directe des firmes avec le public, il semble que la Commission européenne et les firmes, avec le soutien actif de quelques députés, reprenne l'initiative, en profitant du fait que plus de 70 % des membres du Parlement européen ont été renouvelés. Ce petit jeu, qui consiste à remettre régulièrement en cause des choix démocratiques pour les intérêts de quelques-uns, doit-il se reproduire à chaque renouvellement du Parlement européen ? Nous ne le souhaitons pas.
Le Collectif Europe et Médicament déplore que la Commission européenne, chargée simplement par le Parlement de présenter un rapport en 2007 sur les bénéfices et les risques de l'information mise à la disposition du public, y compris via internet, et de faire éventuellement des propositions (Directive 2004/27/CE - article 88a), outrepasse son rôle (b). Elle biaise le débat en prenant clairement position en faveur de la communication des firmes auprès du public, sous couvert de partenariats privé-public qui ne trompent personne (5,6,7). Ces prises de position ne tiennent pas compte des données internationales sur les nuisances de la communication des firmes avec le public, et du travail mis en œuvre depuis longtemps par les acteurs du système de soins en matière d'information-patient dans un objectif de santé publique.
Le marché des produits de santé n'est pas un marché comme les autres. Les patients ne sont pas des consommateurs. Soutenir la compétitivité des firmes pharmaceutiques ne doit pas faire oublier à la Commission sa responsabilité majeure dans la protection de la santé publique des citoyens européens (article 152 du Traité instituant la Communauté européenne).

Nous vous rappelons quelques propositions simples pour améliorer l'accès des citoyens à une information pertinente

En pratique, l'amélioration de l'accès des citoyens européens à une information pertinente sur la santé suppose de :
- garantir la transparence des agences des produits de santé pour faire en sorte que le public puisse effectivement accéder aux données d'évaluation de l'efficacité et des risques, avant et après mise sur le marché des médicaments et produits de santé ;
- faire en sorte que les firmes pharmaceutiques respectent leurs obligations en matière de conditionnement des médicaments ;
- développer et renforcer, au niveau de chaque État membre, les sources d'information fiable et comparative sur les options thérapeutiques ;
- permettre aux patients de participer directement à la notification des effets indésirables des médicaments, contribuant ainsi à un meilleur usage des médicaments ;
- faire intégralement appliquer la réglementation européenne sur la publicité pour les médicaments ;
- et surtout mettre fin à la confusion des rôles entre les firmes pharmaceutiques et les autres acteurs.

Le Collectif Europe et Médicament, Health Action International Europe et l'International Society of Drug Bulletins appellent, Messieurs les Commissaires, la Commission européenne à prendre ses responsabilités en intégrant ces propositions dans le rapport sur l'information-patients en Europe prévu par la Directive 2004/27/CE et dont la version provisoire vient d'être mise en consultation (b).

Le Collectif Europe et Médicament, HAI Europe et l'ISDB vous remercient de porter attention à ces préoccupations, qui sont celles d'un grand nombre de citoyens européens inquiets de la marchandisation du domaine de la santé.

©Collectif Europe et Médicament 3 mai 2007
à l'exception des membres du Collectif qui participent aux travaux du Forum pharmaceutique : ils souhaitent, en cohérence avec leur engagement, adresser leurs objections et propositions à la Commission dans le cadre des groupes de travail du Forum.

* HAI Europe envoie aussi, à titre individuel, une réponse à la consultation.
** L'ISDB a aussi produit un communiqué de presse sur le sujet "Patient-'information' by Big Pharma : A threat to public health" (www.isdbweb.org).

________
Notes
a- Pour ce faire, de nombreux outils spécifiques d'évaluation et de mesure de la qualité de l'information sur la santé ont été élaborés pour aider à bien repérer l'information de qualité disponible (ref. 2).
b- Nous vous adresserons une seconde lettre ouverte à propos du rapport provisoire sur l'état de l'information-patient dans l'Union européenne, mis en consultation jusqu'au 30 juin 2007.
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Références
1- Position conjointe du Collectif Europe et Médicament, de l'International Society of Drug Bulletins, de Health Action International Europe "Information-santé : chacun sa place" mars 2007 : 4 pages.
2- Déclaration conjointe de HAI Europe, de l'ISDB, du BEUC, de l'AIM et du Collectif Europe et Médicament "Une information-santé pertinente pour des citoyens responsables" 3 octobre 2006. Site internet www.prescrire.org : 9 pages.
3- European Commission "Guidance concerning consultations with target patient groups for the package leaflet" May 2006 : 5 pages.
4- European Commission Notice to applicants "Guideline on the packaging information of medicinal products for human use authorised by the Community" March 2007 : 34 pages.
5- Verheugen G " Pharmaceutical Forum : delivering better information, better access and better prices" Brussels 29 September 2006. Site internet http://europa.eu consulté le 23 octobre 2006 : 4 pages.
6- Kyprianou M "Pharmaceutical Forum : delivering better information, better access and better prices" Brussels 29 September 2006. Site internet http://europa.eu consulté le 23 octobre 2006 : 5 pages.
7- European Commission "Draft report on current practices with regard to provision of information to patients on medicinal products, in accordance with article 88a of Directive 2001/83/EC, as amended by Directive 2004/27/EC on the community code relating to medicinal products" 19 April 2007 : 27 pages.