Le 9 juillet 1980, a été publiée la "loi
Talon", du nom de son rapporteur (1). Elle comportait deux articles :
le premier donnant une base légale à l'organisation de la pharmacovigilance
en France ; le second permettant d'interdire l'incorporation dans des préparations
de certaines substances. Deux décrets d'application concernant ce second
point ont été publiés en 1982 (2,3).
Le premier
décret a interdit « la prescription sous forme de préparation
magistrale et l'incorportation dans une même préparation de substances
vénéneuses figurant sur liste annexée (
) » (2).
Cette liste comprend 32 diurétiques, 66 psychotropes, 42 anorexigènes
et des extraits thyroïdiens : acide thyropropique, acide triiodothyroacétique,
hormones thyroïdiennes iodées, thyroïde (poudre et extraits
de, modifiés ou non), thyroxine, triiodothyronine (2).
Dans
l'esprit du législateur, l'intention a bien été de faire
cesser la prescription et la réalisation de préparations à
visée amaigrissante et connues comme dangereuses pour la santé.
Le rapporteur écrivait alors : ces « prescriptions anormales (
)
restent le fait d'un petit nombre de gros prescripteurs géographiquement
bien localisés, mais dont le nombre est en progression. Cette multiplication
des prescripteurs a abouti à la spécialisation de certaines pharmacies,
voire à des compérages (
) » (4). Le communiqué
de presse du Ministère de la santé du 10 février 1982 était
également clair : « la loi du 7 juillet 1980 a pour objet
de mettre fin aux prescriptions aberrantes de certains médecins spécialisés
dans les traitements amaigrissants » (5). En pratique, l'application
de ces dispositions, bienvenues, de même que l'application du second décret,
interdisant le déconditionnement des spécialités pour les
incorporer dans une préparation (sauf préparation pour application
cutanée) (3), ont été laborieuses. Des spécialistes
de divers domaines, revendiquant de pouvoir prescrire certaines préparations (plus
ou moins justifiées), y ont vu une atteinte à leur "liberté
de prescription". Des dérogations ont été permises,
notamment pour l'adaptation de certaines spécialités à une
utilisation en pédiatrie (6).
Des "obésologues"
ont contourné la réglementation pendant deux décennies Mais
surtout, des "obésologues", ceux-là mêmes qui étaient
visés par la réglementation, ont été les plus prompts
à la contourner habilement en prescrivant les anorexigènes, diurétiques,
psychotropes, et autres hormones thyroïdiennes sous forme de préparations
séparées. En dépit des risques d'effets indésirables
de ces préparations, prises simultanément ou séparément (a),
certains pharmaciens les ont réalisées et vendues. Certaines substances
ont été moins prescrites, mais d'autres les ont remplacées.
L'intérêt porté par les autorités aux préparations
magistrales ou officinales a été quasi inexistant, et en l'absence
de scandale rendu visible, les contrôles se sont relâchés.
Comment expliquer autrement la triste affaire parisienne des préparations
d'extraits thyroïdiens du printemps 2006 (7) ? 172 personnes
ayant utilisé ces préparations (provenant d'une même
pharmacie) ont pu être retrouvées, 18 ont été hospitalisées,
1 est décédée et 7 ont été placées sous
surveillance ou en réanimation, selon le bilan du Ministère de la
santé au 18 mai 2006 (7). Quelles que soient les causes précises
de ces dégâts : erreur de dose lors de la préparation,
substances de provenance et de composition incertaines, etc., les leçons
à tirer sont multiples. Les réactions des autorités sanitaires
et de la profession pharmaceutique ont été rapides et vont, pour
le moment, dans le bon sens.
Les leçons d'une
affaire grave en 2006 Le Ministère de la santé a demandé
le 2 mai 2006 à la Haute autorité de santé de produire une
recommandation destinée aux professionnels de santé sur "la
réponse à une demande d'amaigrissement" (7). Il a dans
le même temps promis " un large débat sur le marché de
l'amaigrissement " [NDLR : y compris hors médicament], consultant
notamment les associations de personnes concernées. L'essentiel est effectivement
d'arrêter de laisser les patients croire aux vertus de substances en réalité
dangereuses. L'Agence française des produits de santé (Afssaps)
a déclenché l'alerte et les enquêtes nécessaires et,
le 17 mai 2006, son Directeur général a interdit « l'importation,
la préparation, la prescription et la délivrance de préparations
officinales et hospitalières (
) contenant de la poudre de thyroïde,
des extraits de thyroïde, des hormones thyroïdiennes ou des dérivés
d'hormones thyroïdiennes (
) » (8,9). L'Afssaps
a rappelé les risques graves de l'administration de ces substances à
des patients à fonction thyroïdienne normale (risque d'hyperthyroïdie,
voire de thyréotoxicose). Elle a précisé que des spécialités
pharmaceutiques appropriées sont disponibles pour les patients ayant de
véritables troubles thyroïdiens (9). La réglementation
et les référentiels de bonnes pratiques sur les préparations
magistrales seront revus, selon le Ministère de la santé (7).
Et l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) travaillait
déjà, avant cette affaire, à un rapport et à des propositions
sur les préparations magistrales (10). L'Ordre national des pharmaciens
a rappelé les obligations des pharmaciens, approuvé les initiatives
annoncées, et s'est porté partie civile dans l'affaire de la pharmacie
concernée. Une plainte du Conseil Central A (officine) a été
déposée auprès de l'instance disciplinaire régionale (b)(11). Si
les dispositions annoncées sont mises en uvre, avec une information
régulière du public, cette affaire navrante aura permis de progresser,
enfin, dans l'esprit de la "loi Talon" qui a déjà 26 ans.
©La
revue Prescrire 1er juillet 2006 Rev Prescrire 2006 ; 26 (274) :
493-494. ________ Notes a- Pris à
fortes doses et/ou de manière prolongée, hors indications appropriées,
des diurétiques non associés peuvent avoir des effets indésirables
graves, tout comme des extraits thyroïdiens ou d'autres substances non associées.
Les associations de plusieurs substances à visée amaigrissante ne
sont pas seules en cause. b- L'Ordre national des médecins ayant jusqu'ici
réagi fort discrètement, on peut craindre que certains médecins
oublient trop vite cette affaire. Rappelons que l'article R.4235-61 du Code de
la santé publique permet au pharmacien de refuser de réaliser et
de dispenser une préparation : « lorsque l'intérêt
de la santé du patient lui paraît l'exiger, le pharmacien doit refuser
de dispenser un médicament. Si ce médicament est prescrit sur une
ordonnance, le pharmacien doit informer immédiatement le prescripteur de
son refus et le mentionner sur l'ordonnance ». ________ Références 1-
"Loi n° 80-512 du 7 juillet 1980 complétant l'article L.605 et
modifiant l'article L.626 du code de la santé publique et relative à
l'innocuité des médicaments et à l'usage des substances vénéneuses"
Journal Officiel du 9 juillet 1980 : 1703-1704. 2- "Décret
n° 82-200 du 25 février 1982 portant application de l'article L.626
du code de la santé publique relatif à l'usage des substances vénéneuses"
Journal Officiel du 27 février 1982 : 695-696. 3- "Décret
n° 82-818 du 22 septembre 1982 portant application de l'article L.626 du code
de la santé publique relatif à l'usage des substances vénéneuses"
Journal Officiel du 26 septembre 1982 : 2871. 4- Sénat "Rapport
fait au nom de la Commission des Affaires sociales sur la proposition de loi de
M. Bernard Talon relative à l'innocuité des médicaments et
à l'usage des substances vénéneuses, présentée
par M. Bernard Talon" Séance du 22 mai 1980 : 16 pages. 5-
Ministère de la santé - Direction de la pharmacie et du médicament
"Communiqué de presse" 10 février 1982 : 2 pages. 6-
Prescrire Rédaction "Règles juridiques de prescription et de
préparation d'un médicament magistral" Rev Prescrire 1988 ;
8 (76) : 295-299. 7- Ministère de la santé et des solidarités
"Communiqué de presse" 18 mai 2006 : 2 pages. 8- Afssaps
- Ministère de la santé et des solidarités "Communiqué
de presse. Cas de thyréotoxicose" 20 avril 2006 : 1 page. 9-
Afssaps "Décision du 17 mai 2006 portant interdiction d'importation,
de préparation, de prescription et de délivrance de préparations
magistrales, officinales et hospitalières définies à l'article
L.5121-1 du code de la santé publique, y compris les préparations
homéopathiques à des dilutions inférieures à la deuxième
dilution centésimale hahnemannienne, contenant de la poudre de thyroïde,
des extraits de thyroïde, des hormones thyroïdiennes ou des dérivés
d'hormones thyroïdiennes" : 2 pages. Publiée au Journal
Officiel du 13 juin 2006. 10- Fontenelle N et Silvan F "Préparations
magistrales. Le pharmacien est responsable" Le Moniteur des Pharmacies 2006 ; (2627) :
8-9. 11- Parrot J "Pour de bonnes préparations magistrales"
Les Nouvelles Pharmaceutiques 2006 ; (319) : 1-2. |