Revue Prescrire, article en une, plan gestion des risques avril 2007
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"Plans de gestion des risques" :
pas rassurants du tout

 
Après une année d'opacité, les "plans de gestion des risques", supposés renforcer la pharmacovigilance, commencent à apparaître au grand jour. Où est donc l'amélioration ?
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"Plans de gestion des risques" : pas rassurants du tout

Rev Prescrire 2007 ; 27 (282) : 259-260.
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Depuis les années 1990, aux États-Unis d'Amérique puis en Europe, de multiples dérogations à la réglementation de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) ont été adoptées pour accélérer l'arrivée sur le marché des nouveaux médicaments.
En contrepartie, les agences de régulation ont affirmé qu'une surveillance renforcée des médicaments après AMM serait mise en œuvre, notamment via la pharmacovigilance et les études post-AMM (1,2). Parmi les nouvelles obligations imposées aux firmes par le cadre législatif européen adopté en 2004 figurent les "plans de gestion des risques" (alias PGR, et en anglais RMS pour "risk management systems") (a).

Ces "plans de gestion des risques" sont définis par une recommandation (alias guideline) de l'Agence européenne du médicament (EMEA) comme “ un ensemble d'activités et d'interventions de pharmacovigilance conçues pour identifier, caractériser, prévenir ou minimiser les risques liés aux médicaments, comprenant l'évaluation de l'efficacité de ces interventions ” (3). Début 2007, on dispose d'un peu d'information sur la mise en place des "plans de gestion des risques". Qu'apportent-ils de plus par rapport au système habituel de pharmacovigilance ?

Au niveau européen : beaucoup de recommandations, mais peu de visibilité
Depuis sa création en 1995, l'EMEA produit beaucoup de recommandations et d'annonces de bonnes intentions. C'est le cas en matière de pharmacovigilance, avec notamment les rapports conjoints de l'EMEA et du Groupe de coordination des agences nationales (Heads of Medicines Agencies) sur l'"avancement" du système européen de pharmacovigilance (4,5).

La recommandation sur les "plans de gestion des risques", adoptée par l'EMEA le 20 novembre 2005, les décrit comme composés de deux parties : la Partie I expose le profil d'effets indésirables du médicament pressenti par la firme et le plan de pharmacovigilance adopté en concertation avec l'agence compétente : activités de routine, dont les rapports périodiques (alias PSUR pour "periodic safety update report"), et activités complémentaires en fonction de risques identifiés ou potentiels (mesure de l'incidence du risque sur diverses populations en fonction de la dose et de la durée d'exposition, par rapport à un médicament de référence, etc).

La Partie II comporte une évaluation du besoin d'activités de minimisation des risques et, le cas échéant, un "plan de minimisation du risque". Les exemples d'activités cités sont classiques : modifications de l'étiquetage ou du conditionnement, informations aux patients, etc. La recommandation de l'EMEA cite aussi des "programmes spécifiques d'éducation" ("specific training programmes") (3). Reste à savoir s'il s'agit parfois de ces programmes dits d'"aide à l'observance" pilotés par les firmes qui ont fait l'objet d'un vif débat en France fin 2006 (b)(3).

Depuis un an, beaucoup de "plans de gestion des risques" ont sans doute été mis en œuvre (c), et beaucoup de données accumulées. Mais, au 1er mars 2007, aucun bilan quantitatif ni qualitatif n'était rendu public par l'EMEA.

En France, quelques données rendues publiques
sur les PGR
L'Agence française des produits de santé (Afssaps) a, pour sa part, publié en octobre 2006 un "bilan d'activité" après un an de fonctionnement des "plans de gestion des risques" (6). On y apprend que le département chargé de la surveillance des risques, du bon usage et de l'information sur les médicaments suit ces plans en "concertation" avec les firmes et en "partenariat" avec la Haute autorité de santé et la Direction générale de la santé (6). Le bilan souligne que tout a été prévu pour une "approche globale et coordonnée, mobilisant la gamme diverse des outils disponibles" (sont citées les notifications d'effets indésirables, les études de suivi post-AMM, notamment pharmaco-épidémiologiques) (6).

Selon un compte rendu de la Commission de pharmacovigilance de l'Afssaps, d'octobre 2005 à septembre 2006, 98 "plans de gestion des risques" auraient été mis en place pour des médicaments évalués au niveau européen, et 12 pour des médicaments évalués au niveau national (7). Mais le compte rendu ne précise pas quels sont les médicaments concernés.
Plus récemment, début 2007, l'Afssaps a présenté à la presse 4 exemples de "plans de gestion des risques" européens complétés par des plans nationaux. Il s'agit : pour le rimonabant (Acomplia°), d'études épidémiologiques pour évaluer "les signaux potentiels de sécurité et un suivi des prescriptions" et d'une "surveillance renforcée des effets indésirables" ; pour la varénicline (Champix°), d'une étude de pharmacocinétique chez le sujet âgé, de plusieurs essais cliniques dans des populations non étudiées avant la mise sur le marché, et d'un suivi national de pharmacovigilance ; pour le vaccin papillomavirus 6,11,16,18 (Gardasil°), d'études pharmaco-épidémiologiques et d'un suivi national de pharmacovigilance ; et pour la testostérone transdermique destinée aux femmes (Intrinsa°), d'une "étude de sécurité d'emploi", d'un suivi de pharmacovigilance et d'un programme d'éducation et d'information des prescripteurs (d)(8).

En somme : un système peu rassurant
et sous influence des firmes

Les activités de pharmacovigilance prévues par ces plans sont bien le minimum que les firmes auraient dû faire depuis longtemps en routine. Certaines études complémentaires sont bienvenues car elles ne pouvaient pas être réalisées avant AMM, mais d'autres auraient dû l'être. Ainsi, le "plan de gestion des risques" de la varénicline, prévoit une évaluation chez les moins de 18 ans, les femmes enceintes, les patients atteints de maladies cardiovasculaires, alors que ce médicament, destiné à arrêter de fumer du tabac, est déjà commercialisé, à grand renfort de publicité (8,9). Il est bien temps ! Quelles que soient les contre-indications du RCP, ces populations risquent de consommer de la varénicline.
La présence dans certains "plans de gestion des risques" de programmes "d'éducation des patients", tel le programme d'aide (par la firme !) au repérage des effets indésirables du pegaptanib (Macugen°) font craindre une confusion des rôles entre firmes pharmaceutiques et soignants (10).
En outre, le manque de visibilité sur le suivi des "plans de gestion des risques" en général n'est pas fait pour rassurer.

©La revue Prescrire 16 avril 2007
Rev Prescrire 2007 ; 27 (282) : 259-260
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Notes
a- Le cadre législatif européen repose sur la Directive 2004/27/CE et sur le Réglement (EC) n° 726/2004. L'article 8 de la Directive stipule que toute demande d'autorisation de mise sur le marché soit accompagnée d'"une description détaillée du système de pharmacovigilance et le cas échéant, de gestion du risque, que le demandeur mettra en place". D'autres articles de la Directive (103 et 127) et du Règlement (9-4-c, 23 et 26) complètent cette obligation.
b- Pour vérifier cela, la revue Prescrire a demandé au Directeur de l'EMEA de rendre publique la liste des "plans de gestion des risques" mis en œuvre et le nom des spécialités concernées (réf. 11).
c- Selon la réf. 3, des plans de gestion des risques devraient être mis en œuvre dans beaucoup de cas : pour tout médicament contenant un nouvelle substance, tout "biosimilaire" (alias "biogénérique"), toute copie d'un médicament faisant déjà l'objet d'un "plan de gestion des risques", toute nouvelle indication ou autre modification majeure de l'AMM, sauf si l'autorité compétente ne le juge pas nécessaire. Un "plan de gestion des risques" peut aussi être exigé à tout moment (avant et après AMM) par l'autorité compétente.
d- L'Afssaps a également commencé à mettre sur son site internet quelques "fiches de synthèse" des plans de gestions des risques, très succinctes (site http://afssaps.sante.fr).
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Références
1- "An introduction to the U.S. New Drug Approval Process". In : Mathieu M "New drug development : a regulatory overview" 6th ed. Parexel, Waltham 2002 : 1-16.
2- Commission européenne "Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil - Proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil - Exposé des motifs" COM (2001) 404 final, 26 novembre 2004 : 209 pages.
3- EMEA-CHMP "Guideline on risk management systems for medicinal products for human use" 14 November 2005 : 32 pages.
4- EMEA - Heads of Medicines Agencies "Action plan to further progress the European risk management strategy" 4 May 2005 : 9 pages.
5- Heads of Medicines Agencies Management Group "Report of the ad hoc working group progress on implementation of the European risk management strategy" 11 May 2005 : 11 pages.
6- Afssaps "Plan de gestion des risques : bilan d'activité après un an de fonctionnement" octobre 2006 : 5 pages.
7- Afssaps "Commission nationale de pharmacovigilance - Compte rendu de la réunion du mardi 28 novembre 2006" 30 janvier 2007 : 14 pages.
8- Afssaps - Les matinées avec la presse "Plans de gestion des risques : des enjeux à la mise en application" 19 janvier 2007 : 2 pages.
9- Prescrire Rédaction "varénicline-Champix°. Sevrage tabagique : pas mieux que la nicotine" Rev Prescrire 2006 ; 26 (276) : 645-648.
10- EMEA "EPAR summary for the public-Macugen + Scientific discussion" January 2006 : 41 pages.
11- La revue Prescrire - Lettres à Thomas Lönngren 17 janvier 2007 : 1 page + 13 février 2007 : 1 page.