Il fut un temps
(jusqu'au milieu des années 1980) où le prix des médicaments
remboursables par l'assurance maladie était bas en France,
tout au moins plus bas qu'aux États-Unis d'Amérique,
en Allemagne ou au Japon.
Au nom de la
compétitivité, de la rentabilité, de la capacité
d'investissements en recherche, les industriels pharmaceutiques
installés en France se plaignaient. Ils avaient beau s'évertuer
à augmenter les quantités vendues (c'est-à-dire
prescrites), et à faire faire des sauts de frontières
aux factures de matières premières sur lesquelles
étaient calculés les prix de vente, ils ne trouvaient
pas le marché français assez rentable.
Depuis, le paysage
a changé. Au nom des équilibres commerciaux européens
et mondiaux, les prix ont grimpé, fortement grimpé.
D'abord à l'hôpital, au nom de la liberté des
prix pratiqués ; puis en "ville", au nom d'une
modernisation de la "négociation" des prix remboursés.
D'aucuns affirment,
et nous en faisons partie, que les prix affichés de tous
ces nouveaux médicaments sont en réalité factices,
ne correspondant pas aux investissements réels des industriels
en termes de matières premières, de structures de
production, de recherche, etc. Les prix des médicaments sont
en fait déterminés comme étant les prix maximum
que les firmes sont susceptibles de soutirer au "marché".
Prenons l'exemple
des nouveaux anti-inflammatoires non stéroïdiens, les
fameux anti cox-2 tant vantés dans les gazettes sponsorisées.
Ils sont vendus la "peau des fesses", comme il se doit
pour des produits présentés comme des innovations
"décisives", malgré l'absence de progrès
thérapeutique tangible.
En particulier,
Vioxx° (rofécoxib) de Merck Sharp & Dohme-Chibret
affiche "en ville" 295,00 FF (prix indicatif), non remboursable
(à la date du 09.02.2001) par la Sécurité sociale
et non agréée aux collectivités (à la
date du 09.02.2001), la boîte de 28 comprimés (à
12,5 mg ou 25 mg), soit environ 10,50 FF (TTC) le comprimé
(1). Tandis que son ambitieux concurrent, Celebrex° (célécoxib)
de Searle et Pfizer affiche "en ville" 230,90 FF, remboursable
à 65 % par la Sécurité sociale et agréé
aux collectivités, la boîte de 30 gélules à
200 mg, soit environ 7,70 FF la gélule (TTC) (2).
Mais que lit-on
dans le livret "Politique commerciale 2001 - Hôpital"
de Merck Sharp & Dohme-BV (tarif 2001-06/09/00) (a)(3) ? Que : " Vioxx°, 12,5 et 25 mg, est proposé pour son
conditionnement hospitalier de 50 comprimés à 1 centime
le comprimé " (3). Vous avez bien lu : 1 centime (hors
taxes), soit 1 000 fois moins que le prix affiché en ville.
Il ne s'agit
pas là d'un cas isolé. Ce n'est pas le premier médicament
non agréé aux collectivités qui se vend dans
les hôpitaux (4). Et les exemples d'héparines (particulièrement
de bas poids moléculaire), d'antibiotiques, etc., vendus
à un prix dérisoire (un prix "prédateur"
dit-on dans le milieu) sont fréquents à l'hôpital.
La bataille
commerciale fait rage dans certains créneaux. Et les firmes
feraient n'importe quoi pour s'implanter à l'hôpital,
puis envahir les ordonnances de "sortie" et gagner ainsi
le marché de "ville".
"Ce n'est
pas nous" pourra dire Merck Sharp & Dohme Chibret, "c'est
la filiale néerlandaise qui pratique la "prédation"
en France". Certes, mais entre le prix vendu à l'hôpital
et le prix généralement pratiqué en ville,
il y a quand même une différence !
De quoi donner
des arguments à tous ceux qui affirment, et nous en sommes,
qu'il existe aujourd'hui à l'échelle mondiale une
entourloupe générale sur le prix des médicaments.
© La revue Prescrire 1er décembre
2004
Rev Prescrire 2001 ; 21 (215) : 193.
__________
Notes
a- Ce livret précise que "Merck Sharp & Dohme-BV
distribue sur le marché français Agrastat°, Singulair°,
Crixivan° et Vioxx°. Ces 4 produits bénéficient
d'une politique commerciale séparée de celle des laboratoires
Merck Sharp & Dohme Chibret". Merck Sharp & Dohme-BV
est une société de droit néerlandais. Mais
un peu plus loin, le livret précise : " pour toute information
concernant la politique commerciale hospitalière 2001, contacter
MSD à Clermont-Ferrand " (France) (réf. 3).
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Références
1- Prescrire Rédaction "rofécoxib-Vioxx°"
Rev Prescrire 2000 ; 20 (208) : 483-488 + (209) : 640.
2- Prescrire Rédaction "célécoxib-Celebrex°"
Rev Prescrire 2000 ; 20 (212) : 803-808.
3- Merck Sharp & Dohme-BV "Politique commerciale 2001 -
Hôpital" 6 septembre 2000. Extrait : 4 pages.
4- Prescrire Rédaction "À quoi sert l'agrément
aux collectivités" Rev Prescrire 2000 ; 20 (202) : 68-71.
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