Un rapport étatsunien a permis d'évaluer l'efficacité du contrôle administratif de la publicité directe au public pour les médicaments de prescription (direct-to-consumer advertising ou DTCA) (1). Cette publicité est autorisée actuellement dans deux pays du monde seulement, les États-Unis d'Amérique et la Nouvelle-Zélande. Son efficacité pour augmenter les ventes de médicaments, de même que ses répercussions néfastes sur la santé publique (surconsommation de certains médicaments, choix de médicaments inadéquats, etc.) et les dépenses de santé ont été bien démontrées (a)(2à6).
Selon plusieurs études, 1 dollar investi en publicité grand public pour les médicaments de prescription peut rapporter jusqu'à 6 dollars de ventes supplémentaires (1). Le budget des firmes pour la publicité directe au public ne cesse d'augmenter aux États-Unis, en proportion davantage que pour la publicité auprès des médecins ou que le budget pour la recherche et le développement (1).
Un contrôle inopérant
Le Government Accountability Office (GAO) du Congrès des États-Unis (b) a évalué la façon dont la Food and Drug Administration (FDA) remplit sa mission de contrôle de la publicité directe au public (1).
Huit personnes seulement sont spécifiquement chargées au sein de la FDA du contrôle de la publicité directe au public (télévisions, radios, journaux, internet) (1).
Il s'agit, comme aujourd'hui en France avec la publicité pour le médicament à destination des professionnels de santé, d'un contrôle de la publicité a posteriori, donc après sa diffusion. En cas d'infraction constatée, la FDA adresse à la firme coupable un avis écrit, l'enjoignant d'arrêter la diffusion de la publicité fallacieuse, ou de diffuser une publicité corrective faisant état de l'avis de la FDA, en cas d'infraction plus grave. La firme a un délai de deux semaines après réception de l'avis pour expliquer par écrit comment elle envisage de se conformer à l'avis. En cas de non-respect de l'avis, la firme peut être poursuivie devant les tribunaux (1).
Plusieurs mois entre diffusion des publicités et leur sanction. La FDA demande que lui soient soumises toutes les publicités dès leur diffusion (radiotélévisées, imprimées et par internet) (1). Les firmes ont la possibilité de soumettre leurs projets publicitaires pour un contrôle avant diffusion, ce qui arrive rarement.
Alors que le nombre de publicités soumises à la FDA ne cesse de croître, passant d'environ 7 000 en 1999 à plus de 15 000 en 2005 (1), le nombre d'avis adressés par la FDA à des firmes au sujet de publicités fallacieuses n'a cessé de diminuer : de 25 en 1998 à 8 en 2005 (1).
Parallèlement, le délai entre la diffusion de la publicité fallacieuse et l'envoi de l'avis par la FDA à la firme a augmenté de façon importante, passant de 2 semaines avant 2001 à plus de 4 mois à partir de 2002, et à 8 mois en moyenne en 2005 (1). Cet allongement des délais résulte d'une modification de la procédure intervenue en 2002, obligeant la FDA à soumettre à son service juridique les projets d'avis (1).
Compte tenu du nombre de publicités à contrôler, le GAO déplore que la FDA n'ait pas formalisé de critères pour sélectionner les publicités à contrôler en priorité (1). La FDA explique qu'elle sélectionne les publicités qui ont potentiellement le plus d'impact sur le public, principalement les publicités télévisées, mais ces critères ne sont pas systématisés. La FDA ne peut pas assurer qu'elle a contrôlé les publicités ayant le plus fort risque d'impact négatif sur les patients (1). Il est surprenant que la FDA ne garde pas de traces du nombre de publicités qu'elle a contrôlées (1).
Un contrôle de la FDA inefficace. Le GAO constate le peu d'efficacité des procédures mises en place pour empêcher la propagation de publicités mensongères ou erronées (1). Le GAO a examiné les 19 avis adressés par la FDA aux firmes en 2004 et 2005, qui concernaient 31 supports publicitaires en infraction (1). Sur ces 31 supports, 16 n'étaient déjà plus diffusés avant même l'envoi de l'avis. Les autres supports ont été retirés à la réception de l'avis, mais entre-temps, ils avaient été diffusés pendant 8 mois en moyenne (1).
Concernant les 10 avis sur 19 qui demandaient la diffusion d'une publicité corrective, donc les infractions les plus graves, la publicité corrective n'a été diffusée par les firmes qu'entre 5 et 12 mois après réception de l'avis (1).
Le GAO relève enfin que les avis de la FDA n'empêchent pas les firmes de récidiver avec de nouvelles publicités, qui reprennent parfois les mêmes arguments fallacieux (1).
Des recommandations d'amélioration faites à la FDA. Devant ce constat d'échec, les recommandations du GAO pour améliorer la situation semblent minimales : formaliser les critères pour identifier les supports publicitaires à contrôler en priorité, utiliser ces critères, et recenser les publicités qui ont été contrôlées (1). Dans sa réponse au GAO, le ministère étatsunien de la santé accepte les critiques mais exprime son désaccord avec les recommandations. Selon lui, si les critères de choix des publicités à contrôler en priorité ne sont pas formalisés, ils sont néanmoins systématiquement appliqués. De plus, selon le ministère de la santé, la mise en place de ces recommandations nécessiterait une très importante augmentation de personnel (c)(1).
Seule prévention efficace contre les abus :
interdire cette publicité
L'impact négatif de la publicité médicamenteuse pour la santé publique et les dépenses de santé est établi, que celle–ci s'adresse aux professionnels de santé ou au public. Prétendre contrôler efficacement cette publicité est illusoire, compte tenu entre autres des lenteurs administratives, de la faiblesse des moyens et du fait que ce contrôle est réalisé a posteriori. Les interdictions de publicité par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) en France, dont la revue Prescrire se fait systématiquement l'écho depuis des années, le démontrent pour la publicité aux professionnels de santé. Le rapport étatsunien du GAO le confirme pour la publicité directe au public.
Au moment où les pressions s'accentuent de nouveau en Europe pour tenter d'autoriser la publicité directe au public pour les médicaments de prescription, sous couvert d'information-santé, ce rapport vient rappeler qu'il est illusoire de chercher à contrôler la publicité pour les médicaments pour atténuer ses conséquences néfastes (d).
Comme l'a fait remarquer le Lancet dans un éditorial, la publicité grand public pour médicament de prescription est un « génie » qu'il vaut mieux ne pas laisser s'échapper de sa bouteille (7).
La seule façon pour les pouvoirs publics de protéger les citoyens des effets négatifs de cette publicité est de continuer à l'interdire.
©Prescrire 15 janvier 2008
Rev Prescrire 2008 ; 28 (291) :
63-64.
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Notes
a- Pour en savoir plus sur l'impact de la DTCA, voir la bibliographie proposée dans l'encadré "Et aussi…"
de la réf. 8.
b- Le Government Accountability Office (GAO) des États-Unis d'Amérique est un organisme dépendant du Congrès chargé d'auditer, d'évaluer et d'enquêter sur l'utilisation de l'argent public, les politiques et les programmes du gouvernement fédéral (réf. 1).
c- Une telle augmentation du personnel a été finalement décidée, financée par des redevances des firmes en nette augmentation (réf. 9).
d- Voir le dossier "Mainmise des firmes pharmaceutiques sur l'information-santé en Europe" sur le site www.prescrire.org.
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Références
1- United States Government Accountability Office (GAO) "Prescription drugs. Improvements needed in FDA's oversight of direct-to-consumer advertising" novembre 2006. Site www.gao.gov consulté le 3 octobre 2007 : 52 pages.
2- Prescrire Rédaction "Redresser le cap de la politique du médicament (suite), publicité directe au public : la désastreuse expérience américaine" Rev Prescrire 2002 ; 22 (232) : 703-706.
3- Mintzes B "La publicité directe au public pour les médicaments : une pilule pour chaque maladie ou une maladie pour chaque pilule ?" Rev Prescrire 2006 ; 26 (272) : 391-393.
4- Prescrire Rédaction "Publicité grand public pour les médicaments de prescription : abus et confusion" Rev Prescrire 2006 ; 26 (277) : 777-778.
5- Toop L et coll. "Direct to consumer advertising of prescription drugs in New Zealand : for health or for profit ?" Christchurch, Dunedin, Wellington and Auckland schools of medicine 2003. Site www.chmeds.ac.nz consulté le 3 octobre 2007 : 95 pages.
6- Donohue JM et coll. "A decade of direct-to-consumer advertisement of prescription drugs" N Engl J Med 2007 ; 357 (7) : 673-681.
7- "The direct-to-consumer advertising genie" Lancet 2007 ; 369 : 1.
8- Collectif Europe et Médicament "Information" du public par les firmes pharmaceutiques : une logique commerciale". Site www.prescrire.org consulté le 2 octobre 2007 : 3 pages.
9- Koroneos G "PDUFA passed with refined DTC component". Site www.pharmexec.com consulté le 2 octobre 2007 : 2 pages. |