Résumé
- Le conditionnement des médicaments est important pour la protection et l'information des patients. En 2013, des améliorations sont visibles, mais beaucoup de spécialités examinées par Prescrire restent mal voire dangereusement conditionnées.
- Les préoccupations concernent surtout les patients fragiles vis-à-vis des effets indésirables, notamment les enfants et les femmes enceintes. Posent aussi problème les médicaments d'automédication (gammes ombrelles), les formes buvables avec dispositifs doseurs, et les médicaments destinés à la voie injectable.
- Un retour sur 20 ans d'attribution de “cartons rouges” du conditionnement par Prescrire montre plusieurs améliorations, mais trop de dangers persistent sur le marché.
- Des actions sont à mettre en oeuvre d'urgence par les agences et les firmes : renforcer l'information au sein des notices sur les dangers, notamment des anti-inflammatoires non stéroïdiens au cours de la grossesse ; prévenir les risques d'ingestion accidentelle par les enfants ; exiger des firmes une sécurisation des dispositifs doseurs. Soignants et patients doivent rester vigilants et notifier les problèmes aux autorités.
Le conditionnement des médicaments est un élément important de la sécurité des soins et de l'information des patients et des soignants (1).
Comme chaque année, en 2013, l'Atelier conditionnement de Prescrire a analysé la qualité des conditionnements d'une grande part des médicaments mentionnés dans la rubrique "Rayon des nouveautés", soit environ 250 conditionnements. Une dizaine de ces conditionnements ont paru utiles aux patients ou aux soins. Certains sont des améliorations par rapport aux conditionnements antérieurs. À l'inverse, près de 40 spécialités ont un conditionnement particulièrement médiocre, voire dangereux (lire Le Palmarès Prescrire du conditionnement 2013, disponible en cliquant ci-contre à droite).
Plusieurs signes de qualité et d'améliorations
Les conditionnements bien conçus sont rares, mais certains se démarquent des autres conditionnements par quelques éléments positifs.
Des étiquetages où la DCI se distingue clairement
L'identification bien apparente de la dénomination commune internationale (DCI) sur le conditionnement aide à éviter les effets indésirables graves provoqués soit par la prise par erreur d'un médicament à la place d'un autre, soit par une surdose due à la prise concomitante involontaire d'une double dose d'un même médicament. En 2013, sur les étiquetages de quelques médicaments, les DCI sont bien lisibles et clairement dissociées du nom commercial : bortézomib (Velcade°), décitabine (Dacogen°), peroxyde de benzoyle (Papclair° 5 %).
Mise en valeur de mentions utiles aux soins sur les boîtes
Il est rare que les mentions non commerciales soient mises en valeur sur les boîtes. Mais, en 2013, c'est pourtant le choix fait pour quelques médicaments. La mention de conservation au réfrigérateur est bien visible sur les boîtes de pertuzumab (Perjeta°). Sur celles de cabazitaxel (Jevtana°), le terme cytotoxique figure en bonne place (a). Sur celles du neuroleptique halopéridol (Haldol°) 1 mg et 5 mg, figure un signal du changement de présentation effectué fin 2012.
Plus simple à préparer
Trois caractéristiques de conditionnement repérées en 2013 permettent de simplifier l'administration du médicament.
Le BCG-Medac°, administré par voie intravésicale dans certains cancers de la vessie, contient à la fois de quoi préparer la suspension en système clos, des sondes urinaires appropriées, et un sachet adhésif pour y regrouper les déchets. Ce conditionnement a été conçu pour assurer un soin complet, limitant autant que possible les risques, notamment d'erreurs lors de préparation, et de piqûre accidentelle, de contamination. D'où la Palme du conditionnement attribuée par Prescrire (lire Le Palmarès Prescrire du conditionnement 2013, disponible en cliquant ci-contre à droite).
La préparation de dégarelix (Firmagon°) a été facilitée et sécurisée par la mise en seringue préremplie du solvant et l'ajout d'un dispositif de transfert.
Les poches de morphine injectable (morphine-Renaudin°) sont un moyen de simplification des étapes de préparation dans certaines situations, à condition de veiller à éviter toute confusion lors de la sélection de l'un des dosages.
Quelques efforts de sécurité vis-à-vis des enfants
Les nourrissons sont particulièrement sensibles aux effets généraux des dermocorticoïdes d'activité forte. Les boîtes de fluticasone topique (Flixovate°) comportaient auparavant un plan de prises à 2 cases ("matin" et "soir") exposant à des surdoses, puisqu'une seule application quotidienne est recommandée pour les nourrissons. Ce défaut avait valu à la firme l'attribution par Prescrire d'un "carton rouge du conditionnement" en 2012. Ce défaut a été corrigé en 2013. C'est un exemple parmi d'autres d'améliorations constatées suite aux signalements de dangers par Prescrire (lire "Cartons rouges du conditionnement Prescrire 1991-2012 : améliorations et dangers persistants" en cliquant ci-contre à droite).
D'autres médicaments sont devenus mieux sécurisés. En 2013, les plaquettes de buprénorphine, associée ou non avec la naloxone (Subutex°, Suboxone°), sont recouvertes d'un film-sécurité. Ces films sont difficiles à transpercer et à peler, retardant l'accès à leur contenu par un enfant. En 2012, le danger des plaquettes non sécurisées de Suboxone° avait été signalé par un "carton rouge du conditionnement".
La quinine associée (Okimus°), "carton rouge du conditionnement" en 2008, n'est plus en flacon-vrac facile à ouvrir sans bouchon-sécurité, mais sous plaquette : un moindre mal pour ce médicament à éviter, mais pourtant utilisé dans les crampes (lire "Pour mieux soigner, des médicaments à écarter : bilan 2014", disponible > ICI)
Et le flacon du colécalciférol (ZymaD°) est plus difficile à ouvrir grâce à son bouchon-sécurité.
Dispositifs doseurs : l'ANSM à l'ouvrage
En 2013, le groupe de travail "erreurs médicamenteuses" de l'Agence française des produits de santé (ANSM) a entrepris une réflexion sur la qualité des dispositifs doseurs des formes buvables. L'Agence a proposé des recommandations sur le sujet en consultation publique (2,3). Prescrire y a répondu en rappelant l'intérêt de privilégier les formes unitaires quand elles sont adaptées, et en dressant une série de principes de minimisation des risques induits par les dispositifs doseurs, notamment à l'égard des enfants (4).
Repérer le triangle noir dans les notices
En 2013, les nouvelles règles de pharmacovigilance ont introduit la mention d'un triangle noir pointé vers le bas dans certaines notices. Ce symbole concerne les nouveaux médicaments, et d'autres plus anciens, davantage surveillés en raison de risques graves suspectés. Le triangle noir rappelle aux patients l'intérêt de rapporter les effets indésirables des médicaments aux autorités de santé (notamment, pour la France, aux Centres régionaux de pharmacovigilance). Mais il ne s'accompagne pas de mentions suffisantes pour bien informer les patients (lire ci-dessous).
Des progrès à mettre en oeuvre rapidement
Les améliorations précitées sont propices à des soins plus sûrs. Cela étant, la plupart des 5 000 conditionnements examinés par Prescrire en plus de 20 ans sont médiocres voire dangereux, pour diverses raisons, notamment : la sous-estimation de l'importance du rôle des conditionnements dans la sécurité des soins ; la prédominance des aspects marketing ; la recherche du moindre coût de conception et de fabrication. Pourtant beaucoup de risques pourraient être évités par la mise en oeuvre de solutions simples qui existent déjà sur le marché.
Mentions "grossesse" des AINS dans les notices : une réévaluation européenne s'impose
Le risque d'avortement spontané suite à l'exposition à un AINS en début de grossesse est documenté. Et au cours de cette période, un risque malformatif lié aux AINS n'est pas exclu (5). Au cours du 2e trimestre et du 3e trimestre de la grossesse, il est solidement établi que les AINS exposent à une fermeture prématurée du canal artériel, une hypertension artérielle pulmonaire, et une insuffisance rénale chez les foetus exposés. Au début des années 2000, l'ancien comité européen de pharmacovigilance (PhVWP) a recommandé d'insé rer dans les Résumés des caractéristiques (RCP) des AINS un signalement du risque de fausse-couche, de malformation cardiaque et de laparoschisis, en cas d'exposition pendant les premiers stades de la grossesse (6). L'Agence française a préféré une formulation ambiguë ouvrant la voie à une utilisation avant le 6e mois de grossesse (7).
Pour les femmes qui pourraient être ou devenir enceintes, il est important que les notices de tous les AINS contiennent des informations précises et actualisées sur les risques auxquels ces médicaments exposent, sans ambiguïté.
Effets indésirables et notices : il faut plus qu'un symbole pour protéger
La notice est l'élément central d'information des patients. Les tests de lisibilité par des groupes cibles de patients ont apporté des progrès. Hélas, ces tests n'empêchent pas des mentions dangereusement lénifiantes, telles que celles constatées dans la notice du cytotoxique ruxolitinib (Jakavi°), « la plupart des effets indésirables de Jakavi sont légers à modérés et disparaissent généralement après quelques jours à quelques semaines de traitement » (8). Cette mention tend à minimiser les risques de saignements graves et de troubles confusionnels auxquels le ruxolitinib expose.
Le triangle noir attire désormais l'attention sur des médicaments dont des effets indésirables graves suspectés sont particulièrement surveillés. Mais ces dangers devraient être plus clairement précisés dans un chapitre spécifique des notices pour que les patients soient clairement informés.
Par exemple, la toxicité rénale de la ceftaroline (Zinforo°) a été montrée chez des animaux. Dans les essais cliniques, 11 patients sont devenus insuffisants rénaux durant le traitement par ceftaroline versus 5 avec ceftriaxone (Rocéphine° ou autre) ou vancomycine (Vancomycine Mylan° ou autre). Dans la notice de Zinforo°, deux mentions signalent un effet sur le rein, parmi d'autres effets indésirables, sans établir de lien explicite avec le triangle noir : rien n'explique que la néphrotoxicité est particulièrement surveillée par les agences européennes et étatsunienne du médicament (9).
De même, le motif de surveillance particulière n'est pas mentionné dans les notices :
- du dénosumab (Prolia°) pour un risque de pancréatite (10) ;
- du glycopyrronium (Seebri Breezhaler°), pour des risques cardio- et cérébrovasculaires (11).
Le principe du triangle noir ne doit pas s'en tenir à une symbolisation des risques. Les patients ont droit à une information qui les protège même des risques graves encore incertains, mais aux indices suffisants pour motiver une demande d'évaluation complémentaire. Pour ne pas bénéficier aux firmes, le doute doit être expliqué aux patients.
Gammes ombrelles : l'ANSM trop peu exigeante
En 2013, en France, plusieurs gammes ombrelles orientées vers l'automédication ou le conseil officinal ont été étendues ou modifiées : -advil-° ; Clarix-° ; Doli-° ; Drill-° ; Humex-° ; Microlax ° ; - sédermyl° ; Trophirès° ; Vicks°. Chacune de ces marques recouvre des substances qui diffèrent selon les spécialités. Certaines de ces substances sont dangereuses : pseudoéphédrine, dextrométhorphane, paracétamol en cas de surdose, etc. Malgré ces différences de composition, en elles-mêmes sources de confusion, les étiquetages au sein d'une gamme ombrelle se ressemblent du fait d'aspects graphiques communs, et les DCI ne sont jamais proéminentes, certaines sont même escamotées.
Par exemple, sur les boîtes des deux spécialités Clarix° à base de dextrométhorphane examinées en 2013, le nom commercial de la gamme ombrelle saute aux yeux. Par contre, les DCI figurent en petits caractères, alors qu'elles ont été déclarées administrativement comme faisant partie du nom commercial du médicament.
Sur la boîte de Trophirès composé enfants°, la mention paracétamol est nettement moins visible que celle de Trophirès. Or c'est "paracétamol" qui devrait être bien apparent, afin d'éviter des surdoses par prise d'autres médicaments en contenant. D'autant que d'autres spécialités pour enfant de cette gamme ombrelle ne contiennent pas de paracétamol.
De nombreux autres exemples montrent que les firmes qui commercialisent les gammes ombrelles, et les agences qui les autorisent, n'ont pas pris en compte les risques auxquels ces gammes exposent.
Entreprendre une évaluation conséquente du risque d'ingestion accidentelle
Chaque année, un nombre important de médicaments dangereux sont commercialisés en flacons-vrac. Certains flacons-vrac comportent un bouchon-sécurité, par exemple, en 2013 : pazopanib (Votrient°), lapatinib (Tyverb°), méthylphénidate (Ritaline° LP 10 mg).
Des médicaments plus anciens examinés en 2013 sont dépourvus de bouchon-sécurité malgré les dangers auxquels exposent les surdoses des substances concernées : dextrométhorphane + mépyramine (Clarix toux sèche dextrométhorphane mépyramine adultes°) ; alimémazine (Théralène° sirop) ; clonazépam (Rivotril°). Pire, la spécialité Bricanyl LP° 5 mg (terbutaline) a même régressé, présentée auparavant en plaquettes, elle est désormais conditionnée en vrac dans un flacon non sécurisé, alors que les comprimés d'à peine 5 millimètres peuvent s'ingérer rapidement, exposant à des risques cardiaques.
Face à la multiplication des flacons-vrac, une évaluation poussée des risques inhérents à ces flacons devrait être entreprise. Parents et soignants devraient être sensibilisés, afin d'éviter les ingestions accidentelles et de notifier les intoxications.
Dispositifs doseurs : imposer sans délai des règles de minimisation des risques
Face aux risques qu'induit la préparation des doses d'un médicament sous forme liquide, les firmes et les agences devraient préférer les doses unitaires, prêtes à l'emploi. Quand un dispositif doseur est indispensable, son développement doit être pensé pour minimiser les risques lors de la préparation des doses. Or, en 2013, les dangers se sont accumulés.
En 2013, une nouvelle concentration 3 à 4 fois plus élevée en paracétamol (solution à 10 %) s'est ajoutée en France aux solutions déjà destinées aux enfants. Sous un même nom, Dolstic°, deux présentations autorisées pour des enfants de tranches d'âges différentes, renferment des dispositifs doseurs dissemblables. Les étiquetages se ressemblent. Si le dispositif doseur de grande capacité destiné aux enfants de 3 ans à 10 ans est utilisé chez les nourrissons, un risque de surdose grave est à prévoir.
En 2013, le sildénafil (Revatio°) buvable dosé à 10 mg/ml, autorisé chez les enfants dans l'hypertension artérielle pulmonaire, est commercialisé dans un conditionnement complexe. Outre la seringue orale permettant l'administration, la boîte contient un gobelet destiné à mesurer la quantité d'eau pour reconstituer la suspension, qui ne doit pas être pris pour le dispositif doseur. La seringue orale, graduée en ml, comporte des graduations superflues qui excèdent la dose maximale recommandée. Ces caractéristiques concourent à un risque de surdose. Cela fait beaucoup pour un médicament plus dangereux qu'utile chez les enfants et dont les risques mortels sont dose-dépendants.
Malgré l'occasion d'un changement de concentration, le dispositif doseur de l'antiépileptique lacosamide (Vimpat°) est toujours un gobelet de moindre qualité, gradué en ml, trop imprécis pour préparer la dose d'un antiépileptique, même chez les adultes.
Le constat de 2013 sur les dispositifs doseurs est très préoccupant, notamment pour les enfants. Il est temps que les différents acteurs prennent la mesure des dangers et agissent en conséquence.
Des progrès à portée de main : pourquoi attendre ?
L'année 2013 du conditionnement est marquée par quelques améliorations et par un début de prise en compte des problèmes par certains groupes dans les agences. Mais le nombre de conditionnements dangereux reste impressionnant, croissant chaque année.
Les exemples de conditionnements réussis montrent qu'il n'est pas nécessaire de faire beaucoup plus d'effort pour concevoir un conditionnement sûr et correct que pour un conditionnement médiocre voire dangereux.
L'objectif est abordable quelle que soit la firme. Alors qu'attendent les autorités pour imposer des conditionnements informatifs et remplissant leur fonction de protection des patients ?
L'innovation thérapeutique est en panne, mais les progrès sont à portée de main dans le domaine du conditionnement.
©Prescrire Février 2014
"Bilan 2013 du conditionnement des médicaments : une situation pourtant facile à améliorer" Rev Prescrire 2014 ; 34 (364) : 144-148. Pdf, accès libre
Note :
a- À propos du cabazitaxel-Jevtana°, le comité européen de pharmacovigilance (PRAC) a diffusé un signalement d'erreurs faites lors des étapes de dilution de la solution (réf. 12). Nous y reviendrons dans un prochain numéro.
Références :
1- Prescrire Rédaction "Bilan 2012 des conditionnements : beaucoup de défauts dangereux à notifier" Rev Prescrire 2013 ; 33 (352) : 143-146.
2- ANSM "Projet : Recommandations relatives aux dispositifs d'administration des spécialités sous forme buvable en multidoses (hors produits homéopathiques)" 31 juillet 2013 : 2 pages.
3- ANSM "Groupe de travail erreurs médicamenteuses - Compte rendu de la séance du 22 mars 2013" 25 avril 2013 : 11 pages.
4- Prescrire Rédaction "Réponse de Prescrire à l'enquête publique de l'ANSM sur son Projet de Recommandations relatives aux dispositifs d'administration des spécialités sous forme buvable en multidoses" 5 septembre 2013 : 17 pages.
5- Prescrire Rédaction "À écarter en cas de grossesse : les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)" Rev Prescrire 2013 ; 33 (358) : 604-605.
6- PhVWP "SPC and PL Wording for Non-Steroidal Anti-inflammatory Drugs (NSAIDs) with regard to disturbances of female fertility as agreed by the PhVWP" mai 2004 : 3 pages.
7- Afssaps "Réponse à Prescrire" 22 février 2012 : 2 pages.
8- Commission européenne "Notice-Jakavi°" 13 novembre 2013 : 7 pages.
9- Commission européenne "Notice-Zinforo°" 23 août 2012 : 6 pages.
10- Commission européenne "Notice-Prolia° seringue préremplie°" 15 novembre 2012 : 13 pages.
11- Commission européenne "Notice-Seebri Breezhaler°" 28 septembre 2012 : 12 pages.
12- EMA "Pharmacovigilance Risk Assessment Committee (PRAC) minutes of the 7-10 October 2013 meeting. 4.1.3. Cabazitaxel-Jevtana" 7 novembre 2013 : 18-19.