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Prix Prescrire 2019

Prix Prescrire 2019 : 3 ouvrages analysés dans la rubrique "Lu pour vous" ont été primés par la Rédaction

PrixPrescrire  Ouvrages présentant un intérêt pour le public
  et/ou les professionnels de santé
 

Le soin des personnes sans domicile. Entre malentendus et négociations


Le soin des personnes sans domicile Les relations entre soignants et personnes sans domicile sont souvent ponctuées de malentendus. L'analyse de ces malentendus et de leurs conséquences sert de fil conducteur à l'ouvrage de Laureline Coulomb "Le soin des personnes sans domicile", issu d'une thèse de sociologie (1).

L'auteure a réalisé des observations et des entretiens auprès de 55 personnes sans domicile et 25 soignants, de 2011 à 2016, dans les rues et les institutions médicales et sociales de Strasbourg (Bas-Rhin). Elle s'appuie sur de multiples références en sciences sociales. Son travail éclaire les raisons de ces malentendus, et offre aux soignants des pistes utiles pour mieux accompagner et soigner ces personnes.

Postures de "robustesse" et de "supplique"

Les malentendus entre soignants et personnes sans domicile, nourris par les discordances entre les logiques respectives des uns et des autres, ont parfois des effets négatifs sur les soins. L'auteure détaille en particulier deux postures souvent adoptées par des personnes sans domicile.

La première posture, qu'elle nomme de la robustesse, consiste à se forger une image de soi-même très endurante, même si ces personnes éprouvent la douleur comme tout un chacun. De cette façon, elles se valorisent en figures de résistance, ce qui compense la stigmatisation sociale qui les frappe. La seconde posture, dite de la supplique, se manifeste à l'inverse par une mise en avant de leurs maux. Elle répond à une volonté de se protéger de la suspicion que les soignants pourraient avoir quant au bien-fondé d'une demande de soins.

Ces deux types de communication relatifs à leur état de santé sont souvent sources de malentendu. Il arrive que des soignants sous-estiment la douleur, ou les effets indésirables d'un traitement, en raison de la mise en scène de "robustesse" engagée par le patient. Il arrive aussi que des soignants soient méfiants face à une "supplique" de patients sans domicile, pensant par exemple qu'ils veulent abusivement se faire hospitaliser.

Conceptions divergentes de la santé et du temps

D'autres malentendus entre patients sans domicile et soignants sont liés à une différence de conception de la santé. Pour nombre de patients sans domicile, de façon pragmatique, la guérison est atteinte quand les symptômes ne perturbent plus leur (sur)vie quotidienne. Pour de nombreux soignants, la guérison est liée au contrôle de la maladie plus que des symptômes.

Le recours ou non aux soins est un autre sujet d'interprétation divergente : certains soignants considèrent les personnes sans domicile comme des personnes opposantes aux soins. L'étude menée par l'auteure montre que c'est une situation rare et que les personnes sans domicile acceptent les soins aussi bien que des personnes disposant d'un toit, si l'on sait composer avec leurs contraintes.

Les contraintes de la vie à la rue sont multiples. Pour se laver, nettoyer leurs vêtements, se nourrir, dormir, recevoir des soins ou une aide sociale, les personnes sans domicile sont amenées à passer d'une structure à l'autre et à jongler avec les horaires (lire extrait ci-dessous). La compréhension par les soignants de ces contraintes du quotidien contribuerait à dissiper certains malentendus liés à la gestion du temps.

Une organisation du temps contrainte
Extrait de "Le soin des personnes sans domicile. Entre malentendus et négociations"

L'organisation de la vie quotidienne en situation de survie est bien plus complexe qu'elle ne l'apparaît aux soignants. Les individus évoluent entre plusieurs dispositifs, offrant chacun des ressources différentes, toutes indispensables : il est rare qu'une même structure propose à la fois de la nourriture, de quoi se vêtir, la possibilité de se laver, de nettoyer ses vêtements, un lit où dormir, des soins, un service de domiciliation postale pour recevoir son courrier ou encore l'accompagnement de travailleurs sociaux.

Cela implique de se déplacer entre les lieux d'aide et d'organiser au mieux son temps. Le réseau associatif requiert d'être bien connu et maîtrisé afin de l'utiliser de la manière la plus efficiente possible et d'assurer le maintien de soi. Le Conseil général du Bas-Rhin édite une plaquette regroupant l'ensemble du réseau associatif et des lieux nécessaires à la survie (toilettes publiques, douche, alimentation, accueils de jour, accompagnement social et lieux de soins) et indiquant leurs adresses et leurs horaires d'ouverture. Un rapide coup d'oeil à la plaquette permet de se rendre compte de la complexité de ces horaires. Ils sont très variés, discontinus, et plusieurs dispositifs ne proposent pas les mêmes services selon les moments de la journée ou de la semaine. Il faut jongler avec ces horaires, sans compter qu'il est délicat de conserver des documents en papier lorsque l'on vit dans la rue...

Pour lire la suite de l'extrait :
"Bonnes feuilles. Une organisation du temps contrainte" Rev Prescrire 2019 ; 39 (431) : 710. > Pdf, réservé aux abonnés

Ajustements et négociations

Malgré les divergences de représentation, les conflits ouverts sont rares. Soignants et soignés s'ajustent les uns aux autres afin de rendre possible la relation de soin. Une attitude communément observée par l'auteure consiste à « faire comme si de rien n'était » : chacun feint, lors de la rencontre soignant-soigné, de ne pas mettre l'accent sur le lourd stigmate attaché à la vie sans toit.

Soignants et soignés négocient ainsi l'acceptation des soins et leurs modalités, tout en gardant certains malentendus : par exemple pour les soignants, entretenir une vision de leur patient hostile aux soins permet d'expliquer le possible échec des soins qu'ils prodiguent ; pour les personnes sans domicile, cela permet de se soustraire quand bon leur semble à une relation vécue comme trop menaçante. En d'autres termes, les malentendus non identifiés comme tels installent un climat de suspicion envers l'autre, potentiellement dommageable. En cas de crise, il est alors souvent nécessaire de faire appel à un tiers qui aura pour mission d'élaborer un nouveau compromis.

Mieux se connaître, mieux se reconnaître

Au fil de leurs interactions, soignants et soignés en viennent aussi à mieux se connaître, à modifier les représentations qu'ils se font de l'autre et à développer une confiance et une reconnaissance mutuelles. La reconnaissance en tant qu'individus avec leurs singularités est, pour les personnes sans domicile, aussi importante que l'acte même du soin. En somme, ce livre apporte des clés précieuses pour améliorer toute relation entre soignants et soignés, qu'ils disposent ou non d'un toit (1,2).

©Prescrire 3 octobre 2019

"Prix Prescrire 2019" Rev Prescrire 2019 ; 39 (432) : IV de couverture. (pdf, accès libre)

"Lu pour vous. Le soin des personnes sans domicile. Entre malentendus et négociations" Rev Prescrire 2019 ; 39 (431) : 706. (pdf, réservé aux abonnés)

"Une organisation du temps contrainte (Bonnes feuilles)" Rev Prescrire 2019 ; 39 (431) : 710. (pdf, réservé aux abonnés)

> Télécharger le Règlement du Prix Prescrire (Pdf)

Extraits de la veille documentaire Prescrire.
1- Coulomb L "Le soin des personnes sans domicile. Entre malentendus et négociations" Presses universitaires de Rennes 2018 : 278 pages, 25 euros. Disponible auprès de l'Appel du livre. L'Appel du Livre est une librairie par correspondance qui peut vous procurer tout ouvrage non épuisé, publié en France ou hors de France. Site internet : www.appeldulivre.fr.
2- Vanoye J et coll. "Professionnels de santé et personnes en grande précarité sociale… On avance ensemble ?" Réseau santé précarité égalité coordination dans les territoires de Savoie (Respects 73), 2016 : 24 pages. Présenté dans : Rev Prescrire 2017 ; 37 (402) : 303.

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