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Prix Prescrire 2021

Prix Prescrire 2021 : 4 ouvrages analysés dans la rubrique "Lu pour vous" ont été primés par la Rédaction

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Pesticides. Comment ignorer ce que l'on sait

Pesticides. Comment ignorer ce que l'on sait Diverses agences d'évaluation ont fait du port des équipements de protection individuelle par les agriculteurs un élément-clé permettant d'autoriser la mise sur le marché de pesticides dont la toxicité est reconnue. Pourtant, plusieurs études relativisant l'efficacité de ces protections en conditions réelles s'accumulent (lire "Pesticides agricoles : l'efficacité des équipements de protection individuelle largement surestimée" Rev Prescrire 2021 ; 41 (449) : 220-221). Dans "Pesticides. Comment ignorer ce que l'on sait", le sociologue Jean- Noël Jouzel explore notamment ce paradoxe (1).

La production de données sur la toxicité des pesticides a été encadrée et formalisée dans les années 1970, aux États-Unis d'Amérique, pour limiter les controverses avec les firmes, les mouvements défendant les travailleurs migrants saisonniers, les associations environnementales et les acteurs de la santé publique. L'évaluation de la toxicité des pesticides avant mise sur le marché a été conçue à des fins de simplicité, de routine et de gain de temps : les effets d'un nouveau pesticide sont estimés par extrapolation des données disponibles pour des substances déjà existantes. L'absence d'expérimentation humaine explique que cette procédure ait été aussi acceptée par des mouvements défendant les travailleurs migrants aux États-Unis (1).

Cette approche se base surtout sur les résultats fournis par les firmes. Principalement nourrie d'études toxicologiques, elle laisse de côté des données produites en dehors des procédures d'autorisation, notamment des études épidémiologiques menées depuis le début des années 1980 aux États-Unis. Ces études et des mesures d'exposition en conditions réelles de travail ont montré un lien entre certaines maladies et une exposition professionnelle à des pesticides, et l'importance de l'absorption cutanée (1).

En France, un réseau de toxicovigilance en milieu agricole n'a été mis en place qu'à partir des années 1990, sans prendre en compte, selon l'auteur, tous les résultats déjà disponibles aux États-Unis. De plus, les études épidémiologiques sont souvent discréditées, au motif qu'elles ne permettent pas de déterminer la toxicité de chaque pesticide, du fait de la diversité des expositions des travailleurs agricoles. Dans les procédures d'autorisation, les mesures d'exposition aux pesticides en conditions réelles ne sont pas prises en compte dès lors que le port des équipements de protection individuelle n'est pas conforme aux préconisations des notices (1).

Aveuglement

La délivrance des autorisations repose donc sur le postulat que les équipements de protection individuelle sont efficaces et seront portés selon les recommandations, et des études montrant que la réalité diffère sont écartées. Ce procédé d'« aveuglement méthodologique » tend à sous-estimer, parfois largement, les niveaux d'exposition professionnelle aux pesticides, dans un sens favorable aux firmes. Il contribue à pérenniser ce que Jean-Noël Jouzel qualifie de « fiction » ou de « foi institutionnelle », partagée par de nombreux acteurs (agences, firmes, autorités agricoles ou de santé, etc.), à savoir un usage dit contrôlé des pesticides, censé garantir un rapport efficacité/toxicité acceptable (1).

L'auteur raconte par le menu la façon dont l'étude épidémiologique PestExpo publiée en 2006 a été reçue et traitée dans les milieux politico-administratifs français (a)(1,2). Les auteurs de cette étude ont constaté, sur le terrain, que dans certaines activités recourant aux pesticides, les agriculteurs étaient en moyenne davantage contaminés en portant une combinaison que sans (1,2). En 2007, un ergonome transmet cette information aux autorités. Cette alerte est diversement accueillie. Mais, au bout du compte, les autorités réaffirment leur croyance dans un usage dit contrôlé des pesticides, garanti notamment par le port de vêtements adéquats (un simple bleu de travail traité avec un produit déperlant), ce qui reporte la responsabilité d'une éventuelle contamination sur les agriculteurs qui ne seprotégeraient pas. L'évaluation des risques avant autorisation reste inchangée, et n'intègre pas d'évaluation en conditions réelles d'utilisation. Qu'importe le « regard neuf » des chercheurs de PestExpo, qui montrent que les niveaux d'exposition élevés sont fréquents, et pas seulement à la marge comme le suggèrent les modélisations théoriques (1).

Une question de perception

Cet ouvrage riche et documenté décrit ainsi les raisons pour lesquelles certains savoirs sont occultés, et d'autres rendus perceptibles. Le retard français, de plusieurs décennies, sur les préoccupations et les études étatsuniennes concernant l'exposition professionnelle aux pesticides s'explique en particulier par le caractère familial et indépendant de la main-d'œuvre agricole française : celle-ci s'avère peu propice aux mobilisations, au contraire des nombreux salariés agricoles aux États-Unis.

La promotion des pesticides par le Ministère de l'agriculture et les syndicats agricoles a aussi conduit à les percevoir comme des produits modernes et améliorant la productivité, davantage que comme des dangers pour la santé au travail (1). 

©Prescrire 1er octobre 2021

Note :
a- Jean-Noël Jouzel a lui-même approché les milieux politico-administratifs sur ces questions en participant de 2012 à 2016 à un groupe de travail de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) sur l'exposition des agriculteurs aux pesticides (réf. 1).

Extraits de la veille documentaire Prescrire.

1-Jouzel JN "Pesticides. Comment ignorer ce que l’on sait" SciencesPo Les Presses, Paris 2019 : 272 pages, 21 euros. Disponible auprès de l’Appel du Livre. L’Appel du Livre est une librairie par correspondance qui peut vous procurer tout ouvrage non épuisé, publié en France ou hors de France. Site internet : www.appeldulivre.fr.
2- Prescrire Rédaction “Combinaisons de protection contre les produits chimiques : une efficacité très relative” Rev Prescrire 2011 ; 31 (335) : 700-701.

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• Textes complets :

"Prix Prescrire 2021" Rev Prescrire 2021 ; 41 (456) : IV de couverture. Accès libre.


"Lu pour vous. Pesticides. Comment ignorer ce que l'on sait" Rev Prescrire 2021 ; 41 (449) : 222. Réservé aux abonnés.

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