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Prix Prescrire 2017

Prix Prescrire 2017 : 4 ouvrages analysés dans la rubrique "Lu pour vous" ont été primés par la Rédaction

PrixPrescrire  Ouvrages présentant un intérêt pour le public
  et/ou les professionnels de santé
 

Dépakine° le scandale. Je ne pouvais pas me taire


Dépakine, le scandale Marine Martin est épileptique. En 2009, elle découvre que le médicament qu'elle prenait depuis l'enfance, y compris pendant ses grossesses, l'acide valproïque (Dépakine° ou autre), est à l'origine des troubles du développement de son fils né en 2002 (1,2). Que le faciès de son fils est caractéristique de cette exposition in utero. Que sa fille présente, à un moindre degré, le même faciès et des troubles semblables.

Les risques de l'acide valproïque pour les enfants à naître étaient pourtant évoqués depuis les années 1980 pour les malformations, et de plus en plus étudiés depuis le milieu des années 1990 pour les troubles du développement. Pourquoi les médecins qu'elle a consultés ne l'ont-ils pas mise en garde contre les dangers de l'acide valproïque ? Pourquoi le résumé des caractéristiques (RCP) de Dépakine°, version dictionnaire Vidal, indiquait-il jusqu'en 2006 « chez une femme épileptique traitée par le valproate, il ne semble pas légitime de déconseiller une conception » ?

Défaillances dévoilées par une combattante
"Dépakine, le scandale" retrace le combat d'une mère pour répondre à ces questions et mieux faire connaître aux autres parents les risques chez les enfants à naître de l'exposition à l'acide valproïque pendant la grossesse. Un combat opiniâtre : fondation d'une association de patients ; recherche de l'avocat approprié ; mobilisation des médias ; lenteurs judiciaires qui ne la dissuadent pas d'être à l'origine de la première action de groupe en France, contre la firme Sanofi ; audition par l'Agence européenne du médicament (EMA) à Londres ; confrontation à divers "experts" ; etc.

Au fil des pages, on découvre les défaillances de deux acteurs-clés chargés de protéger la santé des personnes : les autorités de santé, qui semblent impuissantes à prendre des décisions efficaces d'information et de restriction d'utilisation, alors que des signaux de pharmacovigilance s'accumulent (1,3) ; des professionnels de santé, qui rassurent à tort sur l'absence de risque et renouvellent les prescriptions d'acide valproïque année après année à des femmes pouvant être enceintes, sans les informer, voire en les désinformant, y compris après que des mises en garde ont été diffusées (1).

Quant à la firme Sanofi, principal titulaire d'une autorisation de mise sur le marché (AMM), elle aurait fait preuve pour le moins, selon l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), d'un « manque de réactivité » (3). Par exemple, un rapport périodique actualisé de pharmacovigilance (dit PSUR) de la firme contenait dès 2001 des notifications de retard de développement et d'autisme chez des enfants exposés in utero (1). Une longue durée de commercialisation d'un médicament n'est pas une garantie de sécurité quand les acteurs ne jouent pas leur rôle. Une étude épidémiologique résumée en annexe de l'ouvrage estime à environ 14 000 le nombre de personnes atteintes en France de malformations et/ou de troubles neuro-développementaux liés à l'exposition in utero entre 1967 (date de mise sur le marché) et 2014 (a).

Construire une culture de sécurité des soins
Il aura fallu toute la persévérance de l'auteure pour que les lignes bougent : réévaluation de la balance bénéfices-risques par l'EMA en 2013 puis en 2017 ; information des prescripteurs, modification des RCP et des notices ; restrictions de prescription par l'Agence française du médicament (ANSM) en 2015 ; ajout de mentions puis d'un pictogramme sur les boîtes ; mise en place d'un fonds d'indemnisation des victimes en 2017 (1,4à7).

En 2017, tout n'est pas réglé. Des enfants à naître sont encore inutilement exposés ; les données épidémiologiques sont à affiner ; les risques tératogènes des autres antiépileptiques sont mal connus.

Cet ouvrage est à lire et à diffuser largement auprès des soignants et du public, en espérant que sa lecture suscite une avancée supplémentaire dans la culture de sécurité des soins, en particulier médicamenteux. Pendant combien d'années encore les dangers de l'acide valproïque pour les enfants à naître auraient-ils continué à être ignorés, en France et ailleurs, sans le combat constructif de cette mère ?

©Prescrire 5 octobre 2017

"Prix Prescrire 2017" Rev Prescrire 2017 ; 37 (408) : IV de couverture. (pdf, accès libre)

"Lu pour vous. Dépakine, le scandale. Je ne pouvais pas me taire" Rev Prescrire 2017 ; 37 (407) : 705. (pdf, réservé aux abonnés)

Note :
a- Une autre étude publiée en 2017 a conduit à estimer qu'en France, 2 150 à 4 100 enfants nés vivants exposés in utero à l'acide valproïque ou un de ses dérivés ont été atteints d'au moins une malformation congénitale majeure entre 1967 et 2016 (réf. 8).

Extraits de la veille documentaire Prescrire.
1- Martin M "Dépakine, le scandale. Je ne pouvais pas me taire" Robert Laffont, Paris 2017 : 239 pages, 19,50 euros.
2- Prescrire Rédaction "Acide valproïque : des effets à long terme sur les enfants exposés in utero" Rev Prescrire 2009 ; 29 (311) : 667-671.
3- Chastel X et coll. "Enquête relative aux spécialités pharmaceutiques contenant du valproate de sodium" rapport Inspection générale des affaires sociales, février 2016 : 364 pages.
4- European Medicines Agency "New review of valproate use in pregnancy and women of childbearing age". Site www.ema.europa.eu consulté le 30 mai 2017 : 1 page.
5- "Décret n° 2017-810 du 5 mai 2017 relatif à la prise en charge et à l'indemnisation des victimes du valproate de sodium et de ses dérivés" Journal Officiel du 7 mai 2017 : 5 pages.
6- Prescrire Rédaction "Acide valproïque (Dépakine° ou autre) et femmes enceintes : des années perdues" 24 février 2016. Site www.prescrire.org : 1 page.
7- Prescrire Rédaction "Acide valproïque et grossesse : prescription restreinte et accord de soins" Rev Prescrire 2015 ; 35 (386) : 900.
8- Prescrire Rédaction "Acide valproïque et grossesse : évaluation des malformations en France" Rev Prescrire 2017 ; 37 (405) : 513.