Cet ouvrage en anglais et le site www.accesstomedicines.org qui lui est associé abordent les difficultés d'accès aux médicaments dans le monde, liées au renforcement des droits de propriété intellectuelle sur les médicaments à partir de 1995 (1,2). L'auteure, qui a fait partie de l'équipe Prescrire, porte depuis plus de 30 ans plusieurs projets internationaux en faveur d'un meilleur accès aux médicaments, notamment pour Médecins sans frontières (MSF) puis pour l'organisation internationale Unitaid.
Les brevets détournés de leur objectif social
Les médicaments, comme les processus industriels permettant leur fabrication, sont brevetables. Un brevet est un droit de propriété intellectuelle octroyé par un pays, qui permet d'empêcher la fabrication, l'utilisation, l'importation ou la vente d'une innovation sans l'accord de son titulaire, pendant un certain temps. Pour les médicaments, ce monopole est au minimum de 20 ans. En contrepartie de cette sécurisation financière de l'inventeur, les citoyens sont censés bénéficier du progrès scientifique.
Dans le domaine du médicament, ce système est détourné de son objectif social. La plupart des nouveaux médicaments n'apportent pas de progrès pour les patients.Des médicaments qui seraient utiles ne sont pas développés quand une rentabilité n'est pas prévisible (par exemple pour les maladies tropicales). Le prix des médicaments est généralement fixé au maximum des capacités de paiement des systèmes d'assurance-maladie et non en fonction du coût réel de développement.
Cela conduit les pays à faire face à des coûts exorbitants, qui entravent l'accès aux médicaments et mettent à mal les systèmes de protection sociale, dans les pays pauvres comme dans les pays riches.
De la mondialisation des brevets aux accords de Doha
En 1995, les pays membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ont signé l'accord sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Adpic), obligeant ses membres à octroyer et faire respecter les brevets, notamment sur les médicaments.
Au même moment, l'épidémie de sida explosait dans les pays du Sud, causant des millions de morts. L'auteure décrit les combats associatifs pour l'accès aux médicaments antirétroviraux génériques, contre les stratégies de firmes luttant pour défendre leur monopole fondé sur les brevets. Cette pression a abouti en 2001 à la déclaration de l'OMC dite de Doha, inscrivant la primauté de la santé publique sur la propriété intellectuelle. En pratique, la déclaration de Doha a clarifié et renforcé les flexibilités prévues dans les accords sur les Adpic de 1995.
Mise en oeuvre de flexibilités pour améliorer l'accès aux médicaments
Deux outils surtout ont été mis en avant, principalement pour l'accès aux médicaments antirétroviraux. D'une part certains pays ont pu octroyer des licences dites obligatoires, autorisant à produire ou commercialiser un médicament sans l'accord du titulaire du brevet, sous certaines conditions. Elles ont été utilisées surtout comme moyen de pression sur les firmes, et ont souvent permis d'obtenir une licence volontaire ou de diminuer les prix de manière spectaculaire.
D'autre part, les pays "les moins avancés" ont obtenu le droit de repousser à 2033 l'obligation de respecter les droits de propriété intellectuelle pour les médicaments.
Un pas supplémentaire a été franchi en 2010, quand l'organisation Unitaid a développé la "Communauté de brevets sur les médicaments" pour les médicaments antirétroviraux. Cet outil international a permis de négocier des licences volontaires à des prix bien plus favorables que ceux obtenus pays par pays.
Ainsi, en 2016, 87 % des personnes séropositives pour le HIV en Afrique subsaharienne ont eu accès aux médicaments antirétroviraux, principalement des médicaments génériques à bas prix.
Réformer le système
Quels que soient le domaine thérapeutique et le niveau de richesse des pays concernés, l'auteure constate que l'objectif de maintenir un système efficient pour des progrès thérapeutiques à des coûts raisonnables semble peu compatible avec le modèle de recherche et de développement basé sur les brevets. Des solutions sont explorées, comme le modèle du "découplage" qui propose de rémunérer le coût de la recherche et du développement autrement que par le prix du médicament.
L'ouvrage aborde aussi des nouveaux défis : la protection des données des essais cliniques, qui freine la concurrence par les génériques ; et les difficultés d'accès aux médicaments issus des biotechnologies, aux traitements des cancers et de l'hépatite C.
Un ouvrage majeur
La connaissance intime du sujet par l'auteure fait de cet ouvrage une référence sur l'accès aux médicaments et le système des brevets. Rédigé dans un anglais facile à lire, assorti d'un lexique, l'ouvrage est abondamment référencé et rapporte de nombreux exemples.
Le site www.accesstomedicines.org reprend les messages-clés de l'ouvrage de manière abrégée.
Cet ouvrage est à recommander à tous ceux qui souhaitent mieux comprendre les fondements actuels du commerce international des médicaments, les tensions liées aux droits de propriété intellectuelle, et les actions possibles pour trouver un système alternatif.
©Prescrire 5 octobre 2017
"Prix Prescrire 2017" Rev Prescrire 2017 ; 37 (408) : IV de couverture. (pdf, accès libre)
"Lu pour vous. Private patents and public health. Changing intellectual property rules for access to medicines" Rev Prescrire 2017 ; 37 (407) : 706. (pdf, réservé aux abonnés)
Extraits de la veille documentaire Prescrire.
1- 't Hoen E "Private patents and public health. Changing intellectual property rules for access to medicines" AMB Publishers, Diemen (Pays-Bas) 2016 : 181 pages, 45 euros hors frais d'envoi. Téléchargeable gratuitement sur www.accesstomedicines.org.
2- Prescrire Rédaction "Recherche et développement de médicaments : changer de système" Rev Prescrire 2016 ; 36 (398) : 933-939. > Pdf, réservé aux abonnés