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Thème : Principes de base

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Évaluer les bénéfices d'un traitement : d'abord les critères cliniques utiles aux patients

Est-ce que je vais moins souffrir ou être moins handicapé(e) ou moins gêné(e) par la maladie avec ce traitement ? Est-ce que je vais guérir avec ce traitement ? Est-ce que ce traitement va réduire substantiellement mon risque d'avoir telle ou telle maladie ?

Répondre à ces questions élémentaires, que formulent plus ou moins explicitement les patients, est une des tâches des professionnels de santé.

Les bases de ces réponses sont à tirer des données d'évaluation du traitement. Pour analyser ces données, qu'il s'agisse d'un traitement curatif ou préventif, médicamenteux ou non, la première étape est de définir les objectifs du point de vue des patients (1).

Sur quels critères juger alors l'efficacité thérapeutique d'un traitement ?

Critères cliniques utiles aux patients
D'une manière générale, la mortalité, la souffrance, le handicap, la gêne fonctionnelle ou la qualité de vie sont des critères utiles aux patients (1). Un critère utile est le plus souvent un critère clinique, généralement perceptible par le patient lui-même.

Pour bien choisir les critères d'évaluation d'un traitement, il est nécessaire de connaître l'évolution naturelle de la maladie.

Par exemple, pour évaluer un traitement après un infarctus du myocarde, souvent mortel, la mortalité est un critère manifestement utile au patient. Après pose d'un "stent" coronaire, mieux vaut chercher à évaluer le risque d'infarctus du myocarde ou la mortalité plutôt que l'incidence de nouvelles sténoses détectées par angiographie.

Par contre, la mortalité n'est sûrement pas le critère d'évaluation d'efficacité le plus utile pour des patients ayant de l'arthrose, alors que la douleur, la mobilité articulaire ou la qualité de vie le sont manifestement.

Prudence avec les critères intermédiaires
Des critères intermédiaires sont souvent utilisés dans les essais cliniques, car il est plus facile et plus rapide de montrer par exemple qu'un médicament baisse la pression artérielle ou la cholestérolémie que d'attendre une éventuelle diminution du nombre d'accidents cardiovasculaires.

Pour la firme qui tire ses revenus du médicament, c'est un moyen de retour sur investissement plus rapide. Et pour les soignants, il est bien plus facile de mesurer l'effet d'un traitement sur un critère intermédiaire, effet mesurable dans un court intervalle de temps.

Mais c'est beaucoup plus discutable pour les patients, puisqu'un traitement efficace sur un critère intermédiaire est parfois inefficace, voire délétère, sur des critères qui importent pour les patients (2,3).

Ainsi, ce qui est utile aux patients hy pertendus, c'est de prévenir l'accident vasculaire cérébral (AVC), l'infarctus du myocarde, etc. La mesure isolée de la pression artérielle dans un essai ne permet pas de répondre au patient sur les bénéfices cardiovasculaires du traitement testé. Par exemple, la doxazosine, un alphabloquant, et l'hydrochlorothiazide, un diurétique thiazidique, abaissent tous deux la pression artérielle. Mais l'hydrochlorothiazide est beaucoup plus efficace en termes de prévention des complications cardiovasculaires chez les patients hypertendus (4,5).

Critères de substitution
Dans certains cas cependant, force est d'utiliser des critères intermédiaires pour évaluer un traitement.

Par exemple, compte tenu de la gravité du sida en l'absence de traitement, la mesure de la charge virale et le taux de lymphocytes T CD4+ sont des critères intermédiaires qui se sont avérés satisfaisants pour évaluer l'efficacité des médicaments antirétroviraux car ils sont bien corrélés à l'évolution du sida, c'est-àdire aux risques de maladies opportunistes ou de décès (6,7).

Ainsi, certains critères intermédiaires sont des critères d'évaluation des bénéfices d'une intervention, utiles aux patients ; on les appelle des critères de substitution.

La balance bénéfices-risques a deux plateaux
Cependant, un critère de substitution bien choisi pour sa bonne corrélation avec l'évolution de la maladie ne suffit pas.

Un tel critère risque fort de méconnaître les effets du traitement dans d'autres domaines que celui de la maladie traitée.

Ainsi, une autorisation de mise sur le marché avait été accordée pour le clofibrate, un fibrate, sur la foi de l'effet constaté en termes de baisse du taux sanguin de cholestérol. Ce n'est qu'après sa commercialisation qu'a été mise en évidence une augmentation de la mortalité dans les groupes de patients prenant ce médicament, du fait d'un excès de cancers (8,9).

En conclusion
Pour bien cerner les bénéfices d'une intervention préventive ou curative, mieux vaut donner la priorité aux critères cliniques utiles aux patients. Cependant, la décision thérapeutique doit aussi prendre en compte les risques et les options thérapeutiques, en comparant les balances bénéfices-risques. Pour cela, il est nécessaire d'évaluer les risques d'une intervention.

©Prescrire 2011

Tiré de : Rev Prescrire  2008 ; 28  (291) : 69. (Pdf, accès libre)

Références :
1- Prescrire Rédaction "Critères cliniques" Rev Prescrire 1989 ; 9 (84) : 150.
2- Prescrire Rédaction ""Critères intermédiaires", critères de substitution". À ne pas confondre avec critères cliniques"" Rev Prescrire 1989 ; 9 (85) : 200.
3- Greenhalgh T "Les articles qui décrivent des essais thérapeutiques". In : Greenhalgh T "Savoir lire un article médical pour décider" RanD, Meudon 2000 : 79-87.
4- Prescrire Rédaction "Hypertension artérielle : diurétique en première ligne. Confirmation par un grand essai" Rev Prescrire 2003 ; 23 (238) : 299-301.
5- Prescrire Rédaction "HTA : l'essai ASCOT-BPLA ne change pas la stratégie thérapeutique" Rev Prescrire 2006 ; 26 (270) : 205-206.
6- Prescrire Rédaction "Les lymphocytes T CD4+ dans l'infection HIV" Rev Prescrire 1993 ; 13 (132) : 467-469.
7- Prescrire Rédaction "Antirétroviraux : de nouveaux critères européens d'AMM" Rev Prescrire 1998 ; 18 (181) : 117.
8- Prescrire Rédaction "Médicaments hypocholestérolémiants. Une efficacité démontrée pour certaines substances, mais un intérêt différent en prévention primaire ou secondaire" Rev Prescrire 1999 ; 19 (194) : 282-288.
9- Prescrire Rédaction "Hyperlipidémies. Quelle place pour les fibrates en prévention cardiovasculaire ?" Rev Prescrire 2001 ; 21 (219) : 555-556. Tiré de : Rev Prescrire 2008 ; 28 (291) : 69.

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Pdf, accès libre
 
Voir aussi : 

Évaluer les risques d'un traitement :
prendre en compte les données
cliniques, la pharmacologie,
et les particularités du patient
Rev Prescrire 2009 ;
29 (312) : 778-780.
Pdf, accès libre