Revue Prescrire, article en une, Communication directe des firmes pharmaceutiques avec le public, mars 2008
Prescrire  Accueil 
 
Article en Une - Archive

Communication directe des firmes pharmaceutiques avec le public

   
La Commission européenne s'entête malgré l'opposition de la société civile.
Pour en savoir plus
 


English version
Click here

Imprimer ce document au format pdf
(pdf 151 Ko)
Cliquez ici

Malgré le rejet massif par le Parlement en 2003 de l'introduction de la communication directe des firmes avec le public même dans le cadre d'un "projet pilote", la Commission européenne et les firmes ont repris l'initiative depuis 2005, en particulier avec la création du Forum pharmaceutique, un groupe au niveau duquel l'industrie pharmaceutique est surreprésentée (1). Ce groupe a été mis en place par la Commission afin de faire des propositions permettant d'améliorer la compétitivité de l'industrie pharmaceutique.
La pression de la Commission s'est accentuée en 2007 et 2008. La Commission européenne a en effet multiplié les faux-semblants démocratiques pour justifier un projet législatif prévu de longue date : la dérégulation de la communication directe auprès des patients sur les médicaments de prescription par les firmes pharmaceutiques. De manière symptomatique, les "consultations" qu'elle a rendu publiques émanaient toutes de la Direction générale Entreprises, dont l'objectif principal est le soutien à la compétitivité industrielle (a).

En mai 2007, consultation sur les critères de qualité et le modèle diabète
La Commission et son Forum pharmaceutique ont organisé une "consultation" sur des critères de "qualité" de l'information-patient, et sur une fiche sur le diabète censée servir de "modèle". L'absence de méthode de travail solide du Forum pharmaceutique, l'opacité de son fonctionnement, et le manque de consensus dans l'élaboration de ses conclusions ont été largement dénoncées. La qualité médiocre et l'inutilité de la fiche diabète, élaborée dans le cadre d'un partenariat public privé, ont été largement soulignées (2,3). Pourtant le Forum a continué ses travaux sans tenir compte des résultats défavorables de cette première consultation.

En juin 2007, consultation sur le "rapport sur les pratiques actuelles en matière de communication d'information notamment par Internet et sur les risques et leurs avantages pour les patients "
La Commission a mis en consultation un rapport dont l'inventaire des sources d'information-patient sur les médicaments et les autres traitements était si incomplet et partial qu'il faisait douter de la volonté de la Commission de répondre objectivement à la question posée (4). L'opposition à la communication directe des firmes avec le public concernant les médicaments de prescription a été clairement exprimée par la quasi totalité des répondeurs (5).

Fin juin 2007, deuxièmes conclusions d'étape du Forum pharmaceutique européen
Les conclusions du Forum pharmaceutiques rendues publiques le 26 juin 2007 s'appuyaient sur des inventaires incomplets, des enquêtes non méthodiques, et des constats hâtifs, ouvrant la voie à des propositions biaisées, en faveur des seules firmes pharmaceutiques. Des membres du Forum ont même été contraints de renoncer à signer certaines de ses conclusions (6).

En juillet 2007, consultation sur l'avenir des produits pharmaceutiques en Europe
Sans attendre les résultats de la consultation de juin, la Commission a réinscrit la question de l'information-patient dans le cadre d'une troisième consultation. Cette consultation stratégique, plus générale, concernait "l'avenir des produits pharmaceutiques en Europe", et insistait sur la nécessité de lever les "barrières réglementaires" dans divers secteurs, dont la communication directe auprès des patients, alors que même le Forum pharmaceutique n'avait pas proposé de modification législative dans ses conclusions (7).

Encore plus curieusement, dès mai 2007...
Avant même le début de ces "consultations" relatives à l'opportunité d'une modification législative, une étude d'impact de la modification de la législation sur le sujet de l'information-patient avait été lancée par la Commission européenne (8).

Décembre 2007 – janvier 2008, "mesures d'impact" sélectives
D'autres "mesures d'impact" ont été diligentées en décembre 2007 à l'aide de questionnaires mis en œuvre par la société Europe Economics pour le compte de la Commission, uniquement en langue anglaise. Certains acteurs ayant participé aux précédentes consultations sur le sujet ont reçu ce questionnaire et d'autres pas, sans que les critères de choix ne soient explicités (9,10).
Ce questionnaire souffre de faiblesses méthodologiques flagrantes. Les questions fermées sont clairement biaisées (b). Les questions sont par ailleurs souvent hors sujet ou impossibles à compléter de manière sérieuse (c). Aucune incitation ni possibilité d'étayer les allégations des répondeurs en indiquant les références scientifiques sur lesquelles ils se basent le cas échéant n'est envisagé. Les réponses aux questions ouvertes sont limitées à très peu de place : par exemple 2000 signes seulement sont disponibles pour argumenter de quelle manière les résultats des répondeurs à l'ensemble des questions changeraient si, au lieu d'avoir un contrôle par les autorités sanitaires, le contrôle était "auto-régulé" ou "co-régulé".

Février 2008, consultation sur les propositions législatives relatives à l'information des patients
Pourtant, le 5 février 2008, sans même attendre les résultats de ces "mesures d'impact" très contestables d'un point de vue méthodologique et au mépris de l'opposition de la quasi-totalité des acteurs à la communication directe des firmes auprès des consommateurs, la Commission européenne a mis en consultation ses propositions législatives relatives à l'information des patients. Elle propose une option unique pour améliorer l'information des patients : autoriser les firmes à "informer" directement les patients sur les médicaments de prescription via internet, la télévision, la radio, des documents distribués ou imprimés dans les médias (11).
Nous prendrons position début avril dans une lettre ouverte quant à cette "consultation" rendue publique début février 2008.

Les propositions des citoyens délibérément ignorées
Le Collectif Europe et Médicament et Health Action International Europe regrettent que, malgré les propositions constructives de nombreux acteurs importants en faveur d'autres moyens d'améliorer l'information des patients, tant de réunions et de travaux s'avèrent n'avoir été que des faux-semblants démocratiques, uniquement destinées à justifier un projet législatif, préparé de longue date, de dérégulation de la communication des firmes avec le public. Ils déplorent que les méthodes opaques employées par la Commission ne permettent pas de véritable débat démocratique.

La prise en compte de la Déclaration conjointe de HAI Europe, de l'ISDB, du BEUC, de l'AIM et du Collectif Europe et Médicament sur l'information-santé d'octobre 2006, document solide et étayé, rapportant les besoins des patients, dressant des inventaires de ce qui existe déjà pour y répondre, et listant des propositions concrètes d'amélioration, permettrait de porter un regard plus réaliste sur la situation des patients, alors qu'ils sont presque oubliés par la Commission, préoccupée avant tout par les intérêts à court terme des firmes pharmaceutiques (12).

Les intérêts particuliers des firmes pharmaceutiques ne doivent pas prendre le pas sur l'intérêt général et la santé publique.

©Le Collectif Europe et Médicament 1er mars 2008
_________
Notes
a- La mise en "consultation" de documents relatif au dossier "information-patient" uniquement en langue anglaise, excluant de fait la participation de nombreux citoyens européens, témoigne de la précipitation dans laquelle ont lieu ces consultations publiques, qui s'enchaînent en dehors de toute logique chronologique au risque de brouiller l'opinion.
b- En préambule aux questions "d'impact", figure par exemple systématiquement cette phrase : « Supposez que grâce à des modifications de la réglementation européenne, les patients puissent obtenir des informations de bonne qualité et objective provenant de l'industrie pharmaceutique sur les maladies qu'ils traitent, en plus des informations déjà disponibles d'autres sources »… (réf. 9). Laisser ainsi croire que l'information des firmes est « de bonne qualité et objective », permet d'exclure le risque de dérives promotionnelles, pourtant attesté par des dizaines d'années d'expérience de la publicité directe aux soignants.
c- Par exemple, il s'agit de deviner le pourcentage de « patients dont une maladie pourrait être prévenue ou améliorée par un changement de style de vie ou de régime alimentaire »ou encore de mesurer l'impact sur une échelle de 1 à 5 de « cette nouvelle initiative sur l'espérance de vie des patients avec une maladie donnée [NDLR : maladie non précisée] » (réf. 9).
_________
Références
1- Position conjointe du Collectif Europe et Médicament, de l'ISDB, de HAI Europe "Information-santé : chacun sa place" mars 2007. Lire.
2- Collectif Europe et Médicament, HAI, ISDB " Lettre ouverte conjointe aux Commissaires Verheugen et Kyprianou en réponse à la consultation organisée par le Forum pharmaceutique" 3/05/2007. Lire.
3- "Patient-"information" in Europe: many concerns", revue de presse et extraits de contributions à la consultation organisée par le groupe "information patient" (mai 2007). Lire.
4- AIM, Collectif Europe et Médicament, HAI, ISDB "Lettre ouverte conjointe aux Commissaires Verheugen et Kyprianou en réponse à la consultation relative au "Draft report on current practices with regard to provision of information to patients on medicinal products" 14/06/2007. Lire.
5- European Commission "Outcome of the public consultation on a Draft report on current practices with regard to the provision of information to patients on medicinal products" 19 October 2007. Lire.
6- ESIP and AIM "Joint Position Statement on Information to Patients on Diseases and Treatment Options" : 1 page. Lire.
7- Collectif Europe et Médicament, HAI, ISDB "Lettre ouverte conjointe au Président de la Commission européenne Barroso en réponse à la consultation "L'avenir des produits pharmaceutiques à usage humain en Europe" 02/10/2007 : 5 pages. Lire.
8- European Commission "First results of the consultation on the draft report on information to patients" power point présentation (HEALTH COM-meeting) 22 October 2007 : 9 slides.
9- Europe Economics "Patient information – Payers' survey" 22 pages.
10- Parrot J, President de l'Ordre des pharmaciens français "Your questionnaire on information to patient" courriel adressé à Europe Economics le 31/01/2008.
11- European Commission "Public consultation on the key ideas of a legal proposal on information to patients" February 2008, 5 : 10 pages. Lire.
12- Déclaration conjointe de HAI Europe, de l'ISDB, du BEUC, de l'AIM et du Collectif Europe et Médicament "Une information-santé pertinente pour des citoyens responsables". Lire.