Les moyens mis en uvre par les firmes pharmaceutiques pour
allonger le plus possible la protection de leurs médicaments
contre les copies sont variés (17). Avant la Directive et
le Règlement 2004, la "protection des données"
issues des essais cliniques était de 6 ans dans environ la
moitié des 15 États membres de l'Union européenne,
et de 10 ans dans les autres (dont la France) (e,f)(18).
Génériques retardés
Après deux ans de débats intenses et l'affrontement
du lobby des grandes firmes pharmaceutiques et du lobby moins puissant
des firmes spécialisées dans les génériques
(alias "génériqueurs"), la protection en
Europe a été harmonisée à la hausse.
Le compromis porte à 8 ans la "protection des données"
des essais cliniques, sans possibilité de commercialiser
un médicament générique avant 10 ans, que la
procédure d'AMM soit nationale ou européenne centralisée
(g) (D article 10-1 ; R article 14-11).
Prime aux nouvelles indications
Une année supplémentaire de protection peut être
octroyée à la firme si le médicament a eu une
nouvelle indication autorisée au cours des huit premières
années de protection, et si cette indication apporte « un
avantage clinique par rapport aux thérapies existantes »
(D article 10-1 ; R article 14-11). Il sera bon de surveiller l'application
de cette condition.
Une année de protection peut également être
octroyée à une firme qui obtient l'AMM pour une nouvelle
indication d'une substance déjà ancienne, dite "bien
établie" (D article 10-5). Cette année de protection
pourra encourager des travaux de recherche sur des substances dont
les firmes se désintéressent, les jugeant peu rentables.
De plus, l'article 10-5 de la Directive précise que les travaux
réalisés devront être des « études
précliniques ou cliniques significatives ».
Cadeau aux firmes spécialisées en automédication
Autre nouveauté beaucoup plus contestable : une année
de protection peut être obtenue par une firme pour un de ses
médicaments "de prescription" qui change de statut
et devient "d'automédication" (alias "over
the counter" (OTC)), les données des essais cliniques
éventuellement réalisés à cette occasion
(encore appelée "switch") étant protégées
(D article 74 bis). Il s'agit en général de substances
utilisées depuis longtemps, pour lesquelles la réalisation
de nouveaux essais est inutile (19). Mais le lobby des firmes spécialisées
dans l'automédication a été entendu.
Protectionnisme aggravé par l'invention
du "biogénérique"
Les définitions du "médicament générique"
et du "médicament biogénérique",
terme inventé pour la circonstance, ont été
rendues à la fois très complexes et suffisamment vagues,
de sorte qu'il sera plus difficile qu'auparavant pour les "génériqueurs"
d'obtenir une AMM (D article 10-2, 3 et 4). En particulier, il leur
sera plus difficile d'être dispensé de la réalisation
de nouveaux essais précliniques et cliniques dès lors
que le mode de fabrication d'un médicament (en particulier
par biotechniques) sera un tant soit peu différent (20).
L'argent dépensé par les grandes firmes pharmaceutiques
pour influencer députés et ministres, et pour lancer
des rumeurs sur les risques potentiels des copies de médicaments,
a été un bon investissement. Les organismes de Sécurité
sociale et d'assurance complémentaire, et leurs affiliés,
ne tarderont pas à en ressentir les effets économiques.
©La revue Prescrire 1er juillet 2004
__________
Notes
e- La "protection des données" consiste à
interdire l'utilisation des données d'évaluation clinique
d'un médicament princeps, pendant un certain nombre d'années.
Ainsi, les firmes spécialisées dans les génériques
ne peuvent pas les incorporer dans le dossier de demande d'AMM pour
un médicament générique (réf. 18).
f- En France, jusqu'à présent, la durée de
protection des données était bien de 10 ans, et non
15 comme indiqué en mai 2004 par le Ministre de la santé
à la télévision. La durée de validité
du brevet est, elle, de 20 ans.
g- Cela signifie qu'une firme spécialisée dans les
génériques peut constituer un dossier de demande d'AMM
en utilisant les résultats des essais cliniques réalisés
pour évaluer un médicament princeps dès la
fin de la 8e année de "protection des données".
Il peut ainsi obtenir une AMM, et se préparer à commercialiser
son générique, mais la commercialisation ne pourra
être effective que deux ans plus tard. Le médicament
"princeps" est donc de fait protégé pendant
10 ans : 8 ans + 2 ans. Par ailleurs, la nouvelle Directive autorise
la réalisation des essais nécessaires à la
constitution d'une demande d'AMM avant l'échéance
du brevet ou du certificat complémentaire de protection (principe
dit de l'"exception Bolar" en vigueur aux États-Unis
d'Amérique) (D article 10-6). De tels essais pourront désormais
être réalisés dans l'Union européenne
plutôt qu'à l'extérieur comme actuellement (réf.
23).
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Références
17- Prescrire Rédaction "Le renforcement tous azimuts
des brevets dans le domaine pharmaceutique" Rev Prescrire 1999
; 19 : (197) : 544-546.
18- Prescrire Rédaction ""Protection des données"
: une arme industrielle anti-génériques" Rev
Prescrire 2003 ; 23 (243) : 666.
19- Prescrire Rédaction "L'exclusivité commerciale
après un "switch" : autre moyen de protectionnisme
industriel" Rev Prescrire 2003 ; 23 (245) : 827.
20- Prescrire Rédaction "L'invention du "biogénérique"
: une autre arme au service du protectionnisme industriel"
Rev Prescrire 2003 ; 23 (244) : 742.
23- European Generic medicines Association "EGA board of directors
urges early implementation of "EU Bolar provision" for
generics to ensure the future of European research & development"
Press release 25 March 2004. Site internet http://www.egagenerics.com
consulté le 26 mai 2004 (sortie papier disponible : 1 page).
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