Revue Prescrire, article en une, suite, Europe et médicament juillet 2004
Prescrire     Accueil  
 
Article en Une - Archive
Europe et médicament :
Ce qui change avec la nouvelle législation
Pharmacovigilance : encore trop d'opacité et peu d'attention portée au rôle des patients

La Directive et le Règlement 2004 ne changent pas fondamentalement le système actuel de pharmacovigilance, et apportent surtout des précisions sur la collaboration entre États membres dans ce domaine. Quelques acquis positifs sont toutefois à noter, ainsi que des carences.

Financement : une petite dose d'indépendance
Les fonds nécessaires aux activités de pharmacovigilance doivent être gérés au niveau national par les autorités compétentes ; et au niveau européen, le financement de ces activités doit être assuré par des fonds communautaires.

Peu de contraintes supplémentaires pour les firmes
En matière de recueil des effets indésirables, les firmes n'ont pas beaucoup plus de contraintes, même si les nouveaux textes sont un peu plus précis que les anciens. Elles doivent toujours remettre aux agences des rapports périodiques sur les effets indésirables de leurs médicaments : tous les six mois pendant les deux premières années de commercialisation, puis tous les ans pendant deux ans. Ensuite, les rapports doivent être remis tous les trois ans, et non cinq ans comme auparavant. Ces rapports (alias Periodic Safety Update Report, (PSUR)) doivent être désormais accompagnés d'une « évaluation scientifique » fournie par la firme « portant notamment sur le rapport bénéfice/risque du médicament » (D article 104-6 ; R article 24-3).

Recueil des données : toujours sans les patients

La possibilité pour les patients de rapporter directement aux agences les effets indésirables qu'ils suspectent n'a pas été intégrée. L'utilité des notifications venant des patients est pourtant aujourd'hui largement reconnue (16). Mais elle n'a pas été prise en compte, notamment par les ministres qui craignaient d'alourdir la tâche de leurs agences.
Les amendements visant à apposer durant 5 ans, sur les boîtes des nouveaux médicaments, la mention : « médicament nouvellement autorisé, prière de signaler les effets indésirables », ont été combattus avec force par la Commission, et rejetés.

Analyse des données : prise en compte des quantités vendues
On peut noter que les firmes doivent dorénavant fournir aux agences, sur demande, « des données sur le volume des ventes ou des prescriptions » parmi les données nécessaires à l'évaluation des risques liés au médicament (D article 23-bis ; R article 23-c). Les agences ne devraient donc pas se contenter de données approximatives.

Retrait du marché en cas de balance bénéfices-risques défavorable
La liste des motifs pouvant conduire un État à retirer un médicament du marché a été allongée. Dans la Directive 2001 on trouvait : la non-conformité de la composition, la nocivité dans les conditions normales d'emploi, et le défaut d'effet thérapeutique. Il s'y ajoute dans la Directive 2004 un autre motif : « ou lorsqu'il est considéré que (…) le rapport bénéfice/risque n'est pas favorable dans les conditions d'emploi autorisées » (D article 117-1-c), plus pertinent que le " niveau de risque inacceptable » qui a failli être adopté.

Diffusion des données : a minima

Les nouveaux textes laissent entendre que le système européen de surveillance des médicaments va continuer à recueillir beaucoup de données, mais qu'elles resteront pratiquement inaccessibles aux patients et aux professionnels de santé.
Ainsi le Règlement 2004 prévoit simplement la mise à disposition du public des avis rendus par la commission compétente de l'Agence européenne sur « les mesures nécessaires » en cas de problème de pharmacovigilance (R article 22). Les propositions de la Commission ne le prévoyaient même pas. De plus, les données correspondant à des « (…) effets indésirables graves, ainsi que les autres informations de pharmacovigilance(…) » seront « mises à la disposition du public, le cas échéant après évaluation » (R article 26).

Ces derniers mots sont suffisamment flous pour permettre d'empêcher l'accès aux données. Il est peu vraisemblable que le monde de la pharmacovigilance devienne soudain transparent. Mais les autorités chargées de la pharmacovigilance ne pourront pas se retrancher derrière l'absence de moyens réglementaires pour agir.

©La revue Prescrire 1er juillet 2004
__________
Références
16- Medawar C et coll. "Paroxetine, Panorama and user reporting of ADRs : Consumer intelligence matters in clinical practice and post-marketing drug surveillance" Journal of Risk and Safety in Medicine 2002 ; 15 : 161-169.