En 2002 comme durant les années précédentes,
la surveillance exhaustive des nouveautés du marché
français du médicament nous a montré quelques
progrès thérapeutiques, un peu perdus dans une masse
de simples nouveautés commerciales.
Sur 233 dossiers de nouveautés que nous avons étudiés
en 2002, nous avons porté 196 fois la cotation "n'apporte
rien de nouveau" ; 18 fois "éventuellement
utile" ; 9 fois "apporte quelque chose" et 4
fois "intéressant" (et 6 fois "pas d'accord"
quand la balance bénéfices-risques est défavorable
aux patients). Un progrès thérapeutique ne serait-ce
que minime n'a donc été apporté que dans 13
% des cas ; même si l'on retire les simples copies du
total, il s'agit de chiffres habituels pour nous, sans aucune tendance
à l'amélioration ni à la détérioration
depuis des années.
C'est un constat général. Les avis de la Commission
de la transparence sont souvent un peu plus favorables que les nôtres,
mais à peu de choses près.
Hypertension artérielle : un exemple d'essai
comparatif finalement en faveur du médicament le plus ancien
Le mois dernier ont été publiés en détail
les principaux résultats de l'essai américain ALLHAT,
qui avait commencé en 1994. Cet essai a comparé de
façon méthodique, chez plus de 30 000 hypertendus,
4 médicaments de l'hypertension artérielle :
un des plus anciens, la chlorthalidone, un diurétique dont
l'autorisation de mise sur le marché français (AMM)
date de 1977, sous le nom d'Hygroton°, et qui n'est même
plus commercialisé en France ; un inhibiteur calcique
parmi les antihypertenseurs les plus vendus en France l'amlodipine
(Amlor°, de Pfizer, mis sur le marché en 1990) ;
un inhibiteur de l'enzyme de conversion, IEC, le lisinopril, vendu
en France sous les noms de Prinivil° par Bristol-Myers Squibb
et Zestril° par AstraZeneca, mis sur le marché en 1987 ;
et un alpha-bloquant non commercialisé en France.
Aucun des 3 médicaments plus récents n'a fait mieux
que le premier, que ce soit en mortalité totale, ou en prévention
des complications cardiovasculaires. Ils ont même fait moins
bien pour certaines complications sérieuses, telles que l'insuffisance
cardiaque.
Les agences n'exigent aucune preuve de progrès
thérapeutique pour les nouveaux médicaments
Les règles du jeu actuelles en matière d'AMM, et plus
généralement de régulation du marché,
ne sont pas adaptées. Pour obtenir une AMM, la firme doit
montrer que son médicament est plus efficace qu'un placebo,
et que ses effets indésirables à court terme paraissent
acceptables en regard de son efficacité. Il n'est pas demandé
de comparaison aux traitements de référence.
Certes, les firmes mènent assez souvent des essais comparatifs,
mais dans la majorité des cas ces comparaisons sont biaisées
à l'avantage de leur médicament. Cela se comprend
étant donné les enjeux financiers.
Un exemple flagrant de manipulation de ce genre a été
largement médiatisé l'an passé, c'est l'affaire
de l' ''essai CLASS'', où le célécoxib, vendu
sous le nom de Celebrex°, un anti-inflammatoire de la famille
des coxibs, a été comparé à 2 autres
anti-inflammatoires. Il s'agissait en fait de 2 essais différents,
regroupés pour donner de l'ampleur aux résultats apparemment
favorables au Celebrex° publiés dans le JAMA, une revue
américaine réputée. Mais ces résultats
n'étaient que des extrapolations à un an des valeurs
observées au moment le plus favorable au Celebrex°, à
6 mois de traitement. Les valeurs réellement observées
au-delà de 6 mois n'étaient plus en faveur du Celebrex°.
Ce n'est que par l'examen attentif des données détaillées
mises à disposition par l'agence américaine du médicament,
la FDA, que la tromperie a été découverte.
Tout le monde paye les pots cassés !
Les patients d'abord, du fait de la lenteur des décisions
en pharmacovigilance, et des manques de l'évaluation approfondie
des médicaments déjà existants ;
les soignants, qui pourraient faire mieux, s'ils étaient
mieux et plus vite informés pour choisir le meilleur traitement ;
les pouvoirs publics, qui payent les prétendues innovations
au prix fort, mais sans bénéfice de santé publique ;
et à plus long terme, les firmes elles-mêmes, dont
le crédit et la réputation baissent de plus en plus.
Les choses s'amélioreront si les règles du jeu changent.
En premier lieu, exiger des firmes des preuves de progrès
thérapeutique tangibles pour obtenir une AMM les stimulera
vers une recherche plus constructive ; exiger et organiser la transparence
en matière d'évaluation clinique et de pharmacovigilance
permettra de limiter les fraudes.
Cela ne peut se faire à l'échelle d'un pays comme
la France. C'est au moins au niveau européen qu'il faut agir,
d'autant que les projets de nouvelle Directive et de nouveau Règlement
concernant le médicament, en cours de discussion, ne vont
pas dans le bon sens, sur ce point précis. La Direction générale
Entreprise de la Commission européenne, qui encadre l'Agence
européenne du médicament, raisonne toujours à
court terme en faveur de industriels, et s'oppose à l'évaluation
comparative. Cette agence est du reste financée principalement
par les firmes pharmaceutiques, via les redevances et autres taxes.
C'est pourquoi la revue Prescrire participe au Collectif Europe
et médicament dont vous suivez par ailleurs les actions.
Le Collectif a déjà obtenu des résultats positifs
importants, tels que la réévaluation à 5 ans
de toute autorisation de mise sur le marché. Il continue
son travail, et on peut espérer que les textes adoptés
cette année seront encore améliorés, en faveur
de la santé publique, dans l'intérêt bien compris
de tous.
© La revue Prescrire 23 janvier 2003
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