Dans son bilan de l'année 2002 et dans son palmarès,
la Rédaction de la revue Prescrire a retenu plusieurs dizaines
de médicaments qui méritent d'être ajoutés
à la liste de médicaments des professionnels de santé,
pour des situations cliniques précises. En voici trois exemples.
Les maladies infectieuses
Les maladies infectieuses ne sont pas seulement des maladies bactériennes
ou virales. Dans ce domaine, les progrès ne viennent pas
toujours des antibiotiques et des antiviraux.
La gale est une parasitose cutanée, provoquée par
un acarien qui parasite des millions d'individus sur tous les continents,
de tous les niveaux sociaux et à tout âge. Elle touche
notamment les sujets âgés et les enfants. La gale entraîne
surtout un prurit intense (c'est-à-dire des démangeaisons).
Mais, il existe des formes de gale sévères, qui peuvent
toucher les patients immunodéprimés, mais aussi les
sujets âgés et les nourrissons, s'ils sont traités
à tort par des topiques corticoïdes pour le prurit.
L'incidence de la gale en France n'est pas bien connue, mais la
gale est commune, comme en témoigne l'attribution du statut
de maladie professionnelle pour les soignants en milieu hospitalier.
Des recrudescences de la gale dans des institutions pour personnes
âgées sont régulièrement signalées.
Le traitement par application sur la peau de divers pesticides antiparasitaires
est efficace, mais il est malcommode.
L'ivermectine est un antiparasitaire utilisé d'abord en médecine
vétérinaire, et depuis plusieurs années, pour
traiter, avec succès, l'onchocercose en Afrique et en Amérique
Latine. Actif contre de nombreux parasites, ce médicament,
utilisé par voie orale, a été essayé
pour traiter la gale.
Son efficacité, en une seule prise, pour le traitement de
la gale, a été testée sur plusieurs centaines
de personnes dans des essais comparatifs. L'ivermectine par voie
orale a été aussi efficace que les applications d'antiparasitaires
sur tout le corps, mais son emploi est bien plus pratique.
Les limites sont principalement liées à sa facilité
d'emploi, qui peut faire craindre une banalisation et des oublis
: ce n'est pas un médicament à utiliser comme un "test
diagnostique" pour toutes les démangeaisons ; et son
emploi ne doit pas faire oublier que le parasite doit aussi être
éliminé des vêtements et de la literie.
Une inquiétude sur son emploi chez les sujets âgés
a été provoquée par la publication d'un rapport,
faisant état d'un excès de mortalité dans une
institution pour personnes âgées démentes, dans
les mois suivant un traitement par ivermectine. Cet effet a été
recherché par d'autres équipes, en traitement de la
gale et en traitement de l'onchocercose. Ces études complémentaires
sont rassurantes : un lien de causalité entre le traitement
par ivermectine et l'excès de mortalité observé
est peu probable.
L'ivermectine est commercialisée en France, sous le nom de
marque Stromectol°. Pour la gale, ce médicament est un
progrès notable pour les traitements de masse, notamment
en cas d'épidémie en institution, ainsi que dans des
situations endémiques dans des pays pauvres.
Les maladies cardiovasculaires
L'insuffisance cardiaque est, comme son nom l'indique, une incompétence
du cur à assurer sa fonction d'éjection et de
circulation du sang, qui se traduit le plus souvent par un essoufflement
pour des efforts modestes, un dème pulmonaire ou des
dèmes généralisés. C'est, notamment,
une des complications de l'infarctus du myocarde. Cette situation
clinique est donc fréquente dans la population âgée,
source de décès, de nombreuses hospitalisations et
de handicaps importants.
Plusieurs médicaments ont permis d'améliorer le pronostic
de cette maladie (des inhibiteurs de l'enzyme de conversion, des
diurétiques, des bêta-bloquants). Mais chez les malades
sévèrement atteints, le traitement peut malgré
tout être insuffisant et ne pas éviter une gêne
importante.
Un essai clinique, l'essai RALES, s'est intéressé
à ces insuffisants cardiaques, dont la maladie n'était
pas bien stabilisée par un traitement standard. Il a été
conduit il y a déjà quelques années. Cet essai
a montré que l'ajout au traitement de spironolactone à
faible dose diminuait la mortalité : 10 % de décès
en moins deux ans plus tard. La spironolactone a aussi diminué
la fréquence des hospitalisations pour problème cardiaque
et a eu un effet favorable sur la gêne fonctionnelle.
Cela ne va pas sans risque. En effet, le principal inconvénient
de ce diurétique particulier est qu'il diminue l'excrétion
du potassium et favorise les hyperkaliémies (l'augmentation
du potassium sanguin), qui exposent à un fort risque d'arrêt
cardiaque et donc de décès. Ce risque survient surtout
quand la spironolactone est associée à un inhibiteur
de l'enzyme de conversion, une autre famille de médicaments
qui fait justement partie du traitement standard de l'insuffisance
cardiaque. L'utilisation de spironolactone dans l'insuffisance cardiaque
doit donc s'accompagner d'une surveillance étroite de la
kaliémie, aussi rigoureuse que durant l'essai RALES, pour
espérer obtenir les mêmes bénéfices que
cet essai.
Remarquez que ce médicament est commercialisé en France
depuis 1982. Le rapport de l'essai RALES a été publié
en 1999. Un exemple qui démontre que la recherche ne doit
pas s'arrêter à l'obtention de l'autorisation de commercialisation.
Des tâtonnements et de nouveaux essais cliniques sont nécessaires
pour savoir utiliser le plus utilement les nombreux médicaments
déjà commercialisés.
Un progrès thérapeutique peut
aussi consister en une prévention plus efficace, particulièrement
pour les nouveau-nés
On se rappelle que la simple recommandation de coucher les nouveau-nés
et les jeunes nourrissons sur le dos s'est accompagnée en
France d'une diminution de 700 à 800 morts subites de nourrissons
chaque année.
Encore dans le domaine des nouveau-nés, chaque année
en France, environ 700 grossesses sont affectées d'anomalies
de fermeture du tube neural. Ce sont principalement des spina bifida,
qui sont une malformation du rachis et des structures nerveuses
lombaires. Plus graves, ces anomalies sont parfois des anencéphalies,
c'est-à-dire une absence de cerveau. L'anencéphalie
n'est pas viable hors de l'utérus. Les spina bifida sont
sources de handicaps importants : des paralysies et des déformations
des membres inférieurs et divers troubles neurologiques déficitaires.
Depuis 1995, on sait que, dans la population générale,
un apport quotidien de 0,4 mg d'acide folique durant le mois qui
précède la conception, puis pendant le premier trimestre
de la grossesse, réduit fortement le risque d'anomalie de
fermeture du tube neural. Une autre solution, mise en uvre
dans certains pays, est la supplémentation alimentaire en
acide folique, c'est-à-dire l'enrichissement en acide folique
d'un produit alimentaire de base comme la farine.
Ce choix n'a pas été fait en France. Acide folique
CCD° 0,4 mg est le premier médicament commercialisé
en France qui permette cette prévention, à dose correcte
et avec les garanties offertes par le statut de médicament.
C'est un progrès thérapeutique notable.
Malheureusement les négociations entre les autorités
du médicament et la firme pharmaceutique ne semblent pas
avoir permis d'aboutir à son remboursement par l'Assurance
maladie. Notez que l'acide folique est commercialisé en tant
que médicament en France depuis 1947 pour d'autres indications,
mais sous forme de comprimés dosés à 5 mg,
soit 12,5 fois la dose nécessaire à cette prévention
dans la population générale.
Ces progrès n'ont pas été le fruit de la recherche
qui s'inscrit dans la course aux nouvelles substances. Pourtant,
les progrès réalisés concernent de très
nombreuses personnes, réduisent des souffrances, préviennent
des malformations graves.
Les progrès thérapeutiques viennent aussi souvent
de travaux intelligents sur des substances qui ne sont pas nouvelles,
et de travaux auxquels pourtant il est fait bien peu de publicité.
© La revue Prescrire 23 janvier 2003
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