Qu'ils apportent ou non des bénéfices, tous les médicaments
exposent à des risques d'effets indésirables.
Au moment de la commercialisation d'un nouveau médicament,
la connaissance de ses effets indésirables est toujours incomplète.
L'évaluation préliminaire n'est pas toujours bien
faite. Les firmes cherchent surtout à documenter l'efficacité
de leur médicament, et peu leurs effets indésirables.
Mais de toutes façons, des effets indésirables rares,
même les plus graves, échappent forcément à
l'évaluation initiale. Les essais cliniques n'ont inclus
qu'un nombre relativement faible de patients, insuffisant pour qu'apparaissent
un ou plusieurs cas de tous les effets indésirables rares.
D'autre part, au cours des essais cliniques les risques d'effets
indésirables sont réduits le plus possible : les patients
étudiés sont particulièrement sélectionnés
et encadrés, les coprescriptions qui exposent à des
interactions médicamenteuses sont évitées au
maximum, les patients ayant des maladies concomitantes importantes
sont exclus, etc. Ces conditions expérimentales ne sont pas
celles de la vie de tous les jours.
Une pharmacovigilance active est indispensable
après commercialisation
Pour tous les médicaments, après commercialisation,
il faut donc une pharmacovigilance active pour étudier ces
effets indésirables encore méconnus. Il faut ensuite
qu'une information complète soit largement diffusée
et que les précautions d'utilisation des médicaments
soient clairement définies pour que les patients soient le
moins possible en danger.
Dans nombre de cas, les firmes et les agences du médicament
sont très lentes à réagir. Les moyens mis en
uvre sont insuffisants. Et finalement, par manque d'information,
certains médicaments sont prescrits par les médecins,
dispensés par les pharmaciens, pris par les patients sans
que les risques soient correctement appréciés et pris
en compte. Les patients sont alors exposés à des risques
qu'ils n'auraient pas pris si les informations disponibles avaient
été complètes et correctement diffusées.
Au cours de l'année 2002, la revue Prescrire a étudié
divers dossiers de médicaments où les insuffisances
de moyens et la lenteur à réagir des agences du médicament
et des firmes ont été particulièrement flagrantes.
Parmi ceux-ci, voici 3 exemples.
Premier exemple de moyens insuffisants et de
lenteur des agences et des firmes : le cisapride (Prepulsid°)
C'est un médicament prescrit pour le traitement des symptômes
du reflux gastro-sophagien. Il a été mis sur
le marché en France en 1990 puis a été largement
utilisé, chez les nourrissons notamment.
Des troubles du rythme cardiaque graves ont été observés
dès les premières années qui ont suivi sa commercialisation.
On pouvait d'ailleurs se méfier de ce risque car le cisapride
est étroitement apparenté aux neuroleptiques. Les
médicaments de cette classe perturbent le rythme cardiaque
et sont causes de malaises, de syncopes voire de morts subites.
Diverses mesures ont été prises au cours des années
pour essayer de diminuer le nombre des effets indésirables
liés au cisapride, mais toujours des demi-mesures insuffisantes
et des observations de troubles du rythme cardiaque graves se sont
multipliées, des décès sont survenus. Certains
pays ont finalement retiré le cisapride de leur marché.
En France, en août 2002, le cisapride est devenu un médicament
dont la prescription est restreinte à certains spécialistes
hospitaliers. Il a fallu plus de 10 ans de commercialisation du
cisapride avant cette mesure de restriction. Il existe d'autres
moyens moins dangereux pour traiter les symptômes du reflux
gastro-sophagien.
Le cisapride devrait tout simplement être retiré du
marché.
Deuxième exemple : les risques cardiaques
des neuroleptiques
Nous venons d'évoquer la parenté du cisapride avec
les neuroleptiques. La revue Prescrire a consacré aux neuroleptiques
un dossier en 2002, car un aspect de leur histoire est exemplaire.
Dans les années 1960, les neuroleptiques ont d'abord été
utilisés comme antipsychotiques, c'est à dire des
traitements des psychoses. Petit à petit, leur utilisation
a été élargie, en pratique, comme sédatifs.
Parallèlement, des observations de troubles du rythme cardiaques
et des morts subites ont été rapportées chez
des patients traités en psychiatrie. Bien sûr, les
causes de mort subite sont multiples.
Dès la fin des années 1960 pourtant, des controverses
sur le rôle des neuroleptiques dans les morts subites en psychiatrie
étaient publiées, en particulier pour la thioridazine,
vendue sous le nom de Melleril°, avec une AMM française
datant de 1959. Des observations de modifications de l'électrocardiogramme
induites par des neuroleptiques étaient déjà
rapportées.
Mais la prise de conscience collective a été très
lente. Le résumé des caractéristiques de la
thioridazine (c'est-à-dire le document officiel détaillant
les conditions d'utilisation du médicament) indiquait encore
en France en 1999, dans la rubrique des effets indésirables
cardiaques, uniquement des troubles bénins et réversibles.
Pas un mot des troubles du rythme graves et des décès.
Le médicament était encore autorisé pour traiter
certaines formes d'anxiété, loin des troubles psychotiques.
C'est seulement en 2001 qu'ont été mentionné
les risques de troubles du rythme cardiaque graves de la thioridazine
et que les indications comme sédatif ont été
restreintes. Que de temps perdu ! Plus de 30 ans d'aveuglement
avant d'accepter l'existence d'effets indésirables cardiaques
graves et d'accepter de ne plus utiliser largement ce médicament
comme sédatif.
Troisième exemple : la sibutramine
(Sibutral°)
La sibutramine est un anorexigène, un "coupe-faim",
un médicament employé dans l'obésité.
La sibutramine a été commercialisée en France
en 2001. Selon les essais cliniques, le bénéfice est
une perte de quelques kilos, perte qui s'estompe après l'arrêt
du traitement.
De nombreux effets indésirables étaient déjà
connus au moment de sa commercialisation. Les effets indésirables
de type amphétaminiques sont fréquents. On savait
de par la parenté de ce médicament avec les amphétamines
qu'il fallait être particulièrement vigilant pour ce
qui concerne les risques cardiovasculaires. Et d'ailleurs, il y
avait déjà des effets indésirables de cet ordre
signalés, notamment des augmentations de la pression artérielle.
Les mentions officielles en faisaient état.
Depuis la commercialisation, des notifications d'effets indésirables
notamment cardiovasculaires se sont multipliées. En mars
2002, l'Italie a décidé officiellement une suspension
de l'autorisation de mise sur le marché. L'Agence européenne
a mené une réévaluation des bénéfices
et des risques de la sibutramine. La décision officielle,
en novembre 2002, a été le maintien sur le marché,
la prescription étant restreinte à certains spécialistes.
L'opacité qui entoure ce dossier est majeure. L'information
précise n'est toujours pas fournie : dans son compte
rendu, l'Agence européenne n'a pas rendu publiques les données
de pharmacovigilance de la sibutramine ; l'Agence française
n'a publié qu'un bref résumé de ses données
de pharmacovigilance, et tardivement, en réaction à
la décision italienne.
L'Agence européenne ne se donne pas les moyens de mettre
en évidence au plus tôt les risques réels. Elle
a demandé au moment de la commercialisation de la sibutramine
une étude sur les risques cardiovasculaires de la sibutramine
(SCOUT). En 2002, cette étude n'était toujours pas
commencée mais la sibutramine reste autorisée. On
se demande quel sera le prochain épisode du feuilleton, et
combien de temps le feuilleton va durer. Le plus sage, à
notre point de vue, est pourtant le retrait du marché.
Ces trois exemples extraits de la revue Prescrire en 2002 illustrent
la lenteur des firmes et des agences à réagir pour
la prise en compte des effets indésirables, et tout autant
leur manque de transparence pour ce qui concerne l'information des
professionnels de santé et des patients. Il faut qu'elles
se donnent les moyens de mettre en évidence les effets indésirables
et de les quantifier. Une prévention des risques serait bien
préférable à l'attitude actuelle de réaction
de crise lorsqu'un problème devient aigu et médiatisé.
Le but est finalement de prendre les mesures nécessaires
pour informer les patients et les soignants des risques, et se mettre
dans les meilleures conditions pour les éviter. Sinon les
médicaments sont largement prescrits et dispensés,
de sorte que les patients sont en pratique exposés à
des risques que ni eux ni les soignants n'auraient accepté
de prendre s'ils avaient pu agir en connaissance de cause.
© La revue Prescrire 23 janvier 2003
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