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Comment éviter les prochaines affaires Vioxx°
 
Le retrait du rofécoxib (ex-Vioxx°) en septembre 2004 est le résultat prévisible d'une série de travers du système actuel d'évaluation des médicaments, de régulation du marché des médicaments et d'information sur les médicaments.
Comment éviter une nouvelle affaire de ce type ? Les pouvoirs publics, les soignants, les patients et les journalistes peuvent agir efficacement.
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Coxibs : des nouveautés qui ne tiennent pas leurs promesses
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Itinéraire  (30 textes au 1er janvier 2005)
L'"affaire Vioxx°" est une affaire grave. Les patients victimes d'effets indésirables graves voire mortels du rofécoxib se comptent vraisemblablement par dizaines de milliers dans le monde, si ce n'est plus.


Rappel historique

Un bref rappel des principaux évènements est utile pour mieux comprendre ce qui s'est passé.
L'autorisation de mise sur le marché (AMM) a été accordée en mai 1999 aux États-Unis d'Amérique (1), puis en novembre 1999 en France (2), principalement pour le soulagement symptomatique de l'arthrose. La firme vise un vaste marché : une partie importante de la population des pays riches est touchée par l'arthrose ; le rofécoxib n'a aucune action curative, mais vise seulement à soulager de façon passagère ; au total, les patients concernés sont à la fois nombreux et conduits à une prise prolongée.
Le contexte est la promotion intense d'un nouveau médicament prétendument ''révolutionnaire'' par son ''innocuité'' digestive (3). Le prix demandé aux patients à l'officine, en ville, est très élevé, à savoir, environ 10 FF par jour au lieu d'environ 2 FF pour 1 200 mg d'ibuprofène ; mais à l'hôpital, pour bénéficier de l'aura des prescriptions hospitalières, le prix proposé est de 1 centime par jour (4).

Pas de réelle preuve de progrès thérapeutique
Le dossier met en avant un avantage digestif, avec environ 2 fois moins de perforations-ulcères-saignements sous rofécoxib que sous anti-inflammatoires comparateurs (2). Mais le niveau de preuves est faible car les comparaisons ne sont pas pertinentes :
- pas de comparaison au paracétamol, l'antalgique de base ;
- pas de comparaison versus ibuprofène à raison de 1 200-1 600 mg par jour ;
- pas de comparaison versus association AINS+protecteur gastrique (2,5).
Les effets indésirables extradigestifs sont encore mal connus, mais le résumé des caractéristiques (RCP) américain basé sur ce dossier fait déjà état d'une incidence de l'hypertension artérielle plus élevée sous rofécoxib que sous les AINS classiques auxquels il a été comparé (6).

Essai VIGOR : excès d'infarctus

En mai 2000, les premiers résultats de l'essai dit ''Vigor'', dans la polyarthrite rhumatoïde, sont présentés à un congrès britannique (5). L'absence de supériorité d'efficacité antalgique est confirmée, de même qu'un avantage digestif en terme d'évènements graves ; mais un surcroît d'accidents cardiaques apparaît.
En février 2001, une analyse détaillée de l'essai Vigor et des données cardiovasculaires est effectuée par la FDA à partir des données transmises par la firme (7). Les résultats globaux de l'essai Vigor ne sont pas en faveur du rofécoxib. Un avantage en terme d'effets indésirables digestifs graves apparaît, mais il est annulé par un excès d'accidents cardiovasculaires graves.

Controverses et temps perdu

La firme avance alors l'hypothèse d'un effet cardiovasculaire favorable du naproxène ; mais aucune des données dont la FDA dispose ne soutient cette hypothèse (7).
L'AMM dans la polyarthrite rhumatoïde est néanmoins accordée, aux États-Unis d'Amérique (1), puis en France (8). L'argument affiché en faveur du rofécoxib, par exemple par la Commission de la transparence en France, est qu'un surcroît d'effets indésirables cardiovasculaires n'est pas établi formellement, notamment du fait que ces effets indésirables n'étaient pas un critère principal de jugement de l'essai Vigor (9). Les résultats globaux, en particulier la mortalité, sont tout simplement négligés, voire écartés.
La controverse continue, les agences déclarent travailler à l'analyse des données.
Pendant ce temps-là, les ventes continuent. En France, l'assurance maladie rembourse en 2002 environ 116 millions d'euros pour Vioxx°, et 125 millions en 2003 (10, 11).
En France, une étude dite post-AMM, l'étude dite Cadeus, centrée sur la description des utilisateurs d'AINS et en particulier de coxibs, débute en septembre 2003 et les résultats sont annoncés pour mars 2005 (site etude-cadeus.com) (a) (12).

Grand écart entre constats et décisions

En avril 2004, l'Agence européenne du médicament annonce avoir revu l'ensemble des données concernant les coxibs et déclare que, au plan digestif, « les données disponibles n'ont pas montré d'avantage gastro-intestinal significatif et constant pour les inhibiteurs de la COX-2 par rapport aux AINS conventionnels (…) ». Au plan cardiovasculaire, l'agence constate que « les inhibiteurs de la COX-2 (…) n'ont aucun effet antiplaquettaire à des doses thérapeutiques. En ce qui concerne le risque cardiovasculaire, on peut estimer que les inhibiteurs de la COX-2 pourraient présenter un léger désavantage de sécurité par rapport aux AINS conventionnels » (13,14). Autrement dit, l'agence constate l'absence d'avantage thérapeutique, et la vraisemblance d'un désavantage ; mais les AMM des coxibs ne sont pas retirées. Les RCP sont seulement modifiés dans le sens d'un renforcement des mises en garde.
L'Agence française se place dans le sillage de l'Agence européenne sans apporter d'éléments plus précis. La Commission de la transparence en France considère ainsi que l'apport du rofécoxib en termes d'effets indésirables digestifs est en fait " minime ", mais rappelle qu'elle estime toujours que le niveau de preuves des résultats cardiovasculaires défavorables de l'essai VIGOR est faible (15).
Comme d'habitude, les agences font bénéficier le doute aux firmes et non aux patients, et laissent les coxibs en vente au lieu de mettre la population à l'abri.
Les pouvoirs publics ne révisent pas à la baisse le prix du rofécoxib (16).

Un autre essai accablant

En septembre 2004, la firme annonce le retrait, au motif de résultats préliminaires, d'un essai en prévention des complications des polypes coliques. Les résultats sont consternants en effet, avec par rapport au placebo un surcroît d'environ 7,5 accidents cardiovasculaires graves pour 1 000 patients traités un an ; ce qui est du même ordre de grandeur que le nombre d'accidents cardiovasculaires évités par le traitement médicamenteux de l'hypertension artérielle (17,18).
Une estimation américaine fait état d'environ 30 000 infarctus et morts subites imputables aux États-Unis au rofécoxib, sans compter les accidents cérébraux (18).
L'Agence française ne publie aucune estimation de l'incidence des dégâts cardiovasculaires du rofécoxib en France.
Début janvier 2005, on ne dispose toujours pas de résultat publié en détail de l'essai à l'origine du retrait.


Pour éviter une nouvelle affaire Vioxx°, des pouvoirs publics soucieux de santé publique doivent changer de perspectives


Comment éviter une nouvelle affaire de ce type ? Les pouvoirs publics, les soignants, les patients et les journalistes peuvent agir efficacement.

Le camp des firmes n'est pas celui des patients ni de la santé publique

En 1999, le dossier qui a sous-tendu l'AMM de Vioxx° ne comportait pas de preuve d'un progrès thérapeutique tangible, ni en terme d'efficacité, ni en terme d'effets indésirables digestifs graves. En 2000, les données sont apparues défavorables du point de vue cardiovasculaire.
Si l'on se place du point de vue des patients, comme l'ont fait la revue Prescrire et de nombreux bulletins indépendants des firmes pharmaceutiques dans le monde, la question était entendue dès cette époque : dans le cas d'une affection bénigne, pour laquelle on dispose déjà de divers traitements, il n'y avait pas de raison de prendre des risques cardiovasculaires en l'absence de progrès établi par ailleurs.
Si les pouvoirs publics avaient appliqué ce principe élémentaire, les dégâts du rofécoxib dans la population n'auraient tout simplement pas eu lieu.

Exiger des preuves de progrès thérapeutique

Mais comme d'habitude les agences du médicament ont été plus sensibles au point de vue des firmes.
L'absence d'exigence de preuve de progrès thérapeutique pour accorder les AMM est une réalité ancienne, intégrée de fait dans les pays riches (Europe, États-Unis d'Amérique, Japon). Depuis des lustres, les exigences réglementaires sont limitées à la démonstration d'une balance bénéfices-risques acceptable, sans preuve d'un quelconque progrès thérapeutique. Sur cette base, un ensemble de recommandations ont été mises en place sous l'égide de l'International conference on harmonisation (ICH). Cette instance réunit représentants des agences et représentants des firmes. L'objectif affiché est de simplifier, uniformiser et surtout accélérer la constitution des dossiers de demande d'AMM, sans perdre en sécurité ; autrement dit, il n'est pas prioritaire d'améliorer la qualité de l'évaluation... En fait, les premiers bénéficiaires et principaux acteurs ne sont pas les pouvoirs publics, ni la santé publique, mais les firmes. Et c'est logiquement, de ce point vue, que le secrétariat de l'ICH est assuré par l'association mondiale des firmes pharmaceutiques (International Federation of Pharmaceutical Manufacturers & Associations (IFPMA) (sites ich.org et ifpma.org)(19,20).

Les Agences trop proches des firmes

De fait, les principaux interlocuteurs des agences sont les firmes, qui sollicitent les AMM et leurs variations. Les principaux financeurs des Agences sont aussi les firmes, au-delà de la moitié des ressources des agences, via les redevances liées aux demandes d'AMM et autres (21). Beaucoup d'experts sollicités par les agences se laissent également sollicités par des firmes (22,23). Et l'Agence européenne dépend, très logiquement dans cette perspective, de la Direction générale Entreprises de la Commission, et non de la direction Santé et consommation.
Faire évoluer cette situation est sans doute difficile. Raison de plus pour s'y attaquer sans tarder. Il faut profiter de ce que chacun constate à la fois la raréfaction des progrès thérapeutiques en matière de médicament, et les risques que font courir à la population les stratégies commerciales de grandes firmes pharmaceutiques quand elles ne sont pas suffisamment encadrées.

Accès libre aux données cliniques

Mais sans attendre la moindre évolution réglementaire, des agences réellement soucieuses de santé publique ont dès aujourd'hui toute latitude de jouer la carte de la transparence.
Les Agences peuvent parfaitement mettre à disposition de la collectivité les données cliniques dont elles disposent. Certes la recherche clinique est aujourd'hui financée essentiellement par les firmes pharmaceutiques, mais les données cliniques issues de cette recherche n'appartiennent pas plus aux firmes qu'aux patients qui acceptent de participer aux essais, et, au-delà, à la collectivité qui finance les soins, et qui finalement rentabilise les investissements des firmes. Il n'y a aucun obstacle moral ni juridique à la mise à disposition par les agences de l'ensemble des données des essais cliniques présentées par les firmes à l'appui des demandes d'AMM, et des données de pharmacovigilance recueillies ensuite. La FDA américaine met déjà à disposition une partie des données pour bon nombre de médicaments après AMM. Rien n'empêche réellement les autres agences d'en faire au moins autant. Mieux, la nouvelle la réglementation européenne les y encourage.

Appliquer la nouvelle réglementation européenne

Ainsi, pour l'Agence française, à partir du 30 octobre 2005, date limite de transposition de la Directive 2004/27/CE, celle-ci devra être appliquée, et notamment son article 126 ter qui stipule : « En outre, les États membres veillent à ce que l'autorité compétente rende accessibles au public son règlement interne et celui de ses comités, l'ordre du jour de ses réunions, les comptes rendus de ses réunions, assortis des décisions prises, des détails des votes et des explications de vote, y compris les opinions minoritaires » (24).
Pour l'Agence européenne, depuis le 20 novembre 2004, date à laquelle le Conseil d'administration était contraint de mettre en place les modalités d'application, le règlement (CE) 726/2004 doit s'appliquer, et notamment son article 73, qui renvoie au règlement européen général sur l'accès aux documents en stipulant : « Le règlement (CE) n°1049/2001 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l'accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (2) s'applique aux documents détenus par l'Agence. L'Agence constitue un registre conformément à l'article 2, paragraphe 4, du règlement (CE) n°1049/2001 afin de rendre disponibles tous les documents accessibles au public conformément au présent règlement. (…) Les décisions prises par l'Agence en application de l'article 8 du règlement (CE) n°1049/2001 peuvent donner lieu à l'introduction d'une plainte auprès du Médiateur ou faire l'objet d'un recours devant la Cour de justice, dans les conditions prévues respectivement aux articles 195 et 230 du traité » (24).
Si les agences ne se sentent pas de taille à être plus exigeantes vis-à-vis des firmes, ni même à faire les synthèses pertinentes des données, elles peuvent au moins laisser les équipes indépendantes des firmes travailler à partir de ces données.

Après mise sur le marché : pharmacovigilance active, valorisée et transparente

Tant que les pouvoirs publics n'exigent pas de preuve de progrès thérapeutique pour accorder l'AMM dans les domaines où on dispose déjà de traitement acceptables, ils peuvent néanmoins, et facilement, développer la surveillance des effets indésirables des médicaments pour mieux en cerner la balance bénéfices-risques.
Pour ce qui est de la France, des pouvoirs publics réellement soucieux de santé publique ont tout intérêt à financer le développement des centres régionaux de pharmacovigilance, à valoriser et publier largement leurs travaux, à encourager et motiver la notification des professionnels au-delà de la simple obligation réglementaire, à organiser le recueil et le traitement intelligent des notifications directes par les patients, à valoriser les travaux effectués à partir des données régionales de l'assurance maladie, à financer et valoriser des études épidémiologiques.
Ainsi, en 2003, le rapport annuel d'activité de l'Agence française fait état de subventions à ces centres pour 3,5 millions d'euros (22) ; à comparer aux 125 millions dépensés cette même année par l'assurance maladie pour rembourser les assurés sociaux ayant acheté du rofécoxib (11).
Ce même rapport 2003 fait état de :
- 322 rapports périodiques de surveillance des effets indésirables d'un médicament (PSUR) transmis à l'agence française, dont aucun n'a été rendu public ;
- 45 dossiers présentés en Comité technique, dont aucun n'a été rendu public ;
- 19 dossiers présentés en Commission nationale, dont seules quelques bribes concernant le vaccin hépatite B ont été présentées au public (22,25).
Les pouvoirs publics ont là aussi de vastes possibilités de quitter rapidement et facilement le camp de ceux qui ont des choses à cacher.


Pour éviter une nouvelle affaire Vioxx°, les professionnels de santé réellement soucieux de soins de qualité doivent exercer en toute indépendance


Les firmes pharmaceutiques sont évidemment mal placées pour diffuser une information objective sur les médicaments dont elles tirent leurs revenus.
L'affaire Vioxx° montre à quel point actuellement les agences du médicament sont davantage sensibles au point de vue des firmes, qu'elles côtoient à longueur de temps, que du point de vue des patients ou de la santé publique. Quand il y a doute, les agences en accordent de fait le bénéfice aux firmes. Les décisions de restriction d'emploi motivées par les effets indésirables des médicaments sont des demi-mesures retardées de plusieurs années, pendant lesquelles des soignants restent exposés au risque de mauvaise prescription, et les patients au risque d'effet indésirable grave (26). En France, durant la dernière décennie, on a ainsi connu le lent recul de l'Atrium° (fébarbamate + difébarbamate + phénobarbital), du Prepulsid° (cisapride), du Teldane° (terfénadine), etc.

L'AMM protège les firmes et les agences, pas les prescripteurs

Dans ces conditions, en se contentant de suivre les firmes pharmaceutiques qui les flattent, en se reposant sur les AMM trop facilement accordées, en négligeant la lenteur des agences à réagir aux alertes de pharmacovigilance, les soignants risquent fort de ne pas proposer le meilleur choix aux patients. Ils s'exposent alors à devoir faire face, seuls, aux revendications légitimes de patients victimes des effets indésirables de médicaments prescrits mal à propos.
Pour éviter cela, les soignants ont intérêt à mettre en priorité l'intérêt des patients, sans compromis avec les firmes, à exiger des preuves de progrès thérapeutiques pour intégrer des nouveautés dans leur liste de médicaments, et à s'informer auprès de sources indépendantes pour étayer leurs décisions.

Dire fermement « Non, merci... »

Les soignants ont également intérêt à dire « Non, merci... » au financement de la formation professionnelle initiale et permanente par les firmes, et à refuser l'omniprésence des firmes autour d'eux à l'hôpital et au cabinet. Ils ont intérêt, comme beaucoup le font déjà, à s'organiser pour assurer cette formation en toute liberté (27à30).


Pour éviter une nouvelle affaire Vioxx°, les patients doivent avoir l'esprit critique et agir collectivement


Les patients ont intérêt à savoir qu'en l'état actuel des règles du jeu, la grande majorité des nouveaux médicaments n'apportent pas de progrès thérapeutique, et parfois sont même des régressions thérapeutiques. Ils ont intérêt à savoir que les nouveaux médicaments exposent à davantage d'inconnu que les anciens, dont certains, très bien évalués, restent pendant très longtemps des références non dépassées (31)
Ils ont intérêt à savoir que la promotion des médicaments utilise les mêmes recettes publicitaires que d'autres marchandises, avec mise en avant de ''leaders d'opinion'' sous l'influence des firmes, et utilisation de média également sous influence (32à35).
Ils ont intérêt à savoir que les agences du médicament sont très lentes à réagir aux alertes de pharmacovigilance, et sont capables de laisser pendant des années sur le marché des médicaments dont la balance bénéfice-risque n'est pas favorable.
Et pour contrer tout cela, ils ont intérêt à préférer les professionnels de santé qui choisissent une formation professionnelle indépendante des firmes pharmaceutiques ; et à se regrouper pour exiger plus efficacement la transparence des agences, le financement d'une recherche clinique pertinente, etc.


Pour éviter une nouvelle affaire Vioxx°, les journalistes doivent être soucieux de ne pas être complices de désinformation


Les journalistes soucieux de ne pas apparaître complices de désinformation ont intérêt à contre-balancer soigneusement les affirmations des firmes ; à mettre la nouveauté en perspective avec les connaissances déjà acquises dans le domaine, en particulier les données défavorables ou justifiant la prudence, données souvent vite oubliées ; à éclairer les conflits d'intérêts ; à signaler les zones d'ombre ; à être exigeants auprès des agences du médicament ; à recouper leurs informations avec celles de sources indépendantes des firmes (comme par exemples les sites britannique ou australien d'analyse de ''scoops'' médicaux ; à rester prudent face aux annonces incomplètes des présentations de congrès ; à savoir attendre les synthèses indépendantes et fiables ; à regarder ce que se passe ou s'est passé dans d'autres pays avec le médicament (34,36,37,38).


Conclusion : chacun peut agir


Au total, après l'affaire cérivastatine, l'affaire Vioxx° montre les limites des règles du jeu actuelles de l'AMM : le manque d'exigence des pouvoirs publics laisse la recherche clinique s'essouffler dans des domaines non prioritaires du point de vue de la santé publique, et laisse les patients exposés aux dégâts de nouveaux médicaments dont la balance bénéfices-risques est encore mal cernée, même dans des domaines où on dispose déjà de nombreux médicaments acceptables.
L'affaire Vioxx° montre une fois de plus le décalage entretenu par les pouvoirs publics entre la réalité des données et la lenteur de réaction des agences du médicament en matière de pharmacovigilance. Décalage qui se mesure en années.
L'affaire Vioxx° montre les dégâts auxquels conduisent les pouvoirs publics quand ils entretiennent la déconnexion entre le prix du médicament et la réalité du progrès thérapeutique apporté.
C'est pourquoi une prévention efficace des affaires du type Vioxx° passe par bien plus par un changement des critères d'AMM, que par le développement des études après mise sur le marché.
Dans l'immédiat, les agences du médicament réellement soucieuses de santé publique gagneraient beaucoup à quitter le camp des firmes et du secret pour choisir celui des patients et de la transparence. Elles gagneraient en crédibilité et en efficacité de santé publique, alors que leur opacité génère la suspicion.

©La revue Prescrire 20 janvier 2005
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Notes
a- Début 2005, le site internet des promoteurs de l'étude Cadeus ne comporte pas le protocole de l'étude, ni son financement. La liste affichée des " partenaires " ne comporte pas les firmes MSD et Pfizer, qui sont pourtant nommées dans l'avis déontologique du Conseil national de l'Ordre des médecins au sujet de l'étude.
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Références
1- US Food and Drug administration - Center for Drug Evaluation and research ''Vioxx (rofecoxib)''. Site internet http://www.fda.gov consulté le 9 janvier 2005 : 1 page.
2- Commission de la transparence ''Avis de la commission - Vioxx'' 30 août 2000 : 8 pages.
3- Duperrin A avec le syndicat des rhumatologues ''Arthrose - Enfin un anti-inflammatoire qui épargne l'estomac'' Notre temps août 2000 : 40.
5- Prescrire Rédaction ''rofécoxib-Vioxx°. Un antalgique AINS décevant'' Rev Prescrire 2000 ; 20 (208) : 483-488.
4- Prescrire Rédaction ''Vioxx° à un centime le comprimé !'' Rev Prescrire 2001 ; 21 (215) : 193.
6- ''Vioxx°''. In : ''Physicians' Desk Reference'' Medical Economics, Montvale 2000 : 1912-1915.
7- US Food and Drug Administration ''Memorandum - Consultation NDA 21-042, S-007. Review of cardiovascular safety database'' 1er février 2001 : 37 pages.
8- Prescrire Rédaction ''rofécoxib-Vioxx° et polyarthrite rhumatoïde. Nouvelle indication : pas mieux qu'un autre AINS'' Rev Prescrire 2003 ; 23 (235) : 11-13.
9- Commission de la transparence ''Avis de la commission - Vioxx'' 3 avril 2002 : 5 pages.
10- Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés ''Médicaments remboursés par le régime général au cours des années 2001 et 2002''.
11- Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés ''Médicaments remboursables : une étude de l'Assurance Maladie pour comprendre les principales évolutions de l'année 2003'' : 16 pages.
12- Site http://www.etude-cadeus.com
13- The European Agency for the Evaluation of Medicinal Products "Committee for Proprietary Medicinal Products (CPMP) opinion following an article 31 referral for all medicinal products containing celecoxib, etoricoxib, parecoxib, rofecoxib, or valdecoxib" et "Scientific conclusions". Site internet http://www.emea.eu.int consulté le 1er juillet 2004 (sortie papier disponible : 7 pages).
14- Prescrire Rédaction ''Coxibs : pas mieux que les autres AINS'' Rev Prescrire 2004 ; 24 (253) : 589.
15- Commission de la transparence ''Avis de la commission - Vioxx'' 16 juin 2004 : 23 pages.
16- Prescrire Rédaction ''Coxibs : remboursez !'' Rev Prescrire 2004 ; 24 (253) : 579.
17- Prescrire Rédaction ''Rofécoxib : arrêt de commercialisation (suite)'' Rev Prescrire 2004 ; 24 (256) : 835.
18- Graham DJ ''Risk of acute myocardial infarction and sudden cardiac death in patients treated with COX-2 selective and non-selective NSAIDs'' 30 septembre 2004. Site internet http://www.fda.gov consulté le 03 novembre 2004 (sortie papier disponible : 22 pages).
19- Site http://www.ich.org consulté le 12 janvier 2005.
20- Site http://www.ifpma.org consulté le 12 janvier 2005.
21- Prescrire Rédaction ''redresser le cap de la politique du médicament (suite)'' Rev Prescrire 2002 ; 22 (230) : 547.
22- Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ''Rapport annuel 2003'' 140 pages.
23- Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé ''Les déclarations d'intérêts des membres des conseils, commissions et groupe de travail 2003'' : 141 pages. Les déclarations
24- Prescrire Rédaction ''Innovation en panne et prises de risques'' Rev Prescrire 2005 ; 25 (258) : 139-148.
25- ''Vaccins contre l'hépatite B : résumé des débats de la Commission Nationale de pharmacovigilance du 21 septembre 2004'' : 4 pages.
26- Prescrire Rédaction ''Demi-mesures en pharmacovigilance : au bénéfice de qui ?'' Rev Prescrire 2001 ; 21 (216) : 301-302.
27- Marien G ''De l'apprentissage du médecin au condionnement du prescripteur'' Rev Prescrire 2005 ; 25 (257) : 71.
28- Becel B ''Vioxx°'' Rev Prescrire 2001 ; 21 (216) : 232.
29- Prescrire Rédaction ''No free lunch'' Rev Prescrire 2003 ; 23 (239) : 388.
30- Prescrire Rédaction ''Non merci... aux partenariats infantilisants avec les firmes pharmaceutiques'' Rev Prescrire 2004 ; 24 (248) : III de couverture.
31- Prescrire Rédaction ''Hypertension artérielle de l'adulte'' Rev Prescrire 2004 ; 24 (253) : 601-611 + 2005 ; 25 (257) : III de couverture.
32- Prescrire Rédaction ''Non merci !'' Rev Prescrire 2003 ; 23 (244) : III de couverture.
33- Prescrire Rédaction ''Attention à l'information des patients par les firmes pharmaceutiques !'' Rev Prescrire 2004 ; 24 (246) : III de couverture.
34- Prescrire Rédaction ''Au moins c'est clair'' Rev Prescrire 2004 ; 24 (256) : III de couverture.
35- Prescrire Rédaction ''Non merci au ''rabattage'' en salle d'attente et à l'officine'' Rev Prescrire 2005 ; 25 (258) : III de couverture.
36- Prescrire Rédaction ''Trop de ''scoops'' médicaux sans valeur'' Rev Prescrire 2004 ; 24 (248) : 223.
37- Prescrire Rédaction ''Gare aux ''scoops sur les ''innovations médicales'''' Rev Prescrire 2004 ; 24 (256) : 857-858.
38- Prescrire Rédaction ''Sibutramine : une dépêche symptomatique'' Rev Prescrire 2005 ; 25 (257) : 76.