Chaque mois, dans la rubrique "Rayon des Nouveautés", la Rédaction de Prescrire aide à faire le tri parmi les très nombreuses nouveautés médicamenteuses, en distinguant celles qui sont à ajouter à la liste des moyens thérapeutiques utiles pour mieux soigner de celles qui sont à écarter des soins. Pour cela, la Rédaction analyse de façon méthodique les données d'évaluation disponibles et pertinentes concernant les nouveaux médicaments, nouvelles indications, nouvelles formes pharmaceutiques et nouveaux dosages. Le Palmarès 2024 des médicaments a été élaboré à partir des synthèses publiées dans Prescrire au cours de l'année 2024.
Ce Palmarès est élaboré par l'équipe pluriprofessionnelle de Prescrire, en totale indépendance vis-à-vis des firmes du domaine de la santé.
En 2024, une Pilule d'Or pour une maladie dite négligée
Cette année, une Pilule d'Or est attribuée à un médicament dans une maladie dite négligée. Un autre médicament est Cité au Palmarès. D'autres médicaments présentés dans Prescrire au cours de l'année 2024 ont constitué des progrès pour certains patients, notamment dans le domaine de la cancérologie. Toutefois, au vu de la fragilité de leur évaluation clinique, nous avons choisi de ne pas les récompenser (lire l'encadré "Évaluer un médicament par plusieurs essais comparatifs randomisés pour réduire l'incertitude").
Évaluer un médicament par plusieurs essais comparatifs randomisés pour réduire l'incertitude
En 2024, comme les années précédentes, nous avons choisi de ne pas récompenser dans le Palmarès des médicaments certains médicaments évalués dans un seul essai comparatif, montrant pourtant un progrès pour les patients. C'est par exemple le cas du darolutamide, en association avec le docétaxel dans certains cancers de la prostate métastasés (n° 485) ; et du dostarlimab, en association avec une chimiothérapie de première ligne dans certains cancers de l'endomètre (n° 492). Pourquoi ce choix ?
Un principe de base des sciences expérimentales est de vérifier que le résultat d'une expérience scientifique est reproductible, pour s'assurer qu'il n'est pas dû au hasard ou lié à un défaut de conception de l'expérience. Ce principe s'applique aussi à l'évaluation de l'efficacité d'un médicament. Avec de rares exceptions, par exemple quand l'efficacité d'un médicament est telle qu'un essai est suffisant pour démontrer qu'il transforme radicalement le pronostic d'une maladie (lire l'exemple du fexinidazole dans la maladie du sommeil).
Dans un essai comparatif, même si la différence observée entre deux groupes est statistiquement significative selon le protocole, il est toujours possible que les résultats de l'essai correspondent malgré tout à l'effet du hasard, qu'un biais de recrutement ne soit pas repéré, qu'une erreur soit survenue lors du recueil des données, que les données aient été manipulées, etc. L'incertitude autour des résultats d'un seul essai clinique comparatif est fortement réduite quand on dispose de résultats similaires issus d'un autre essai mené indépendamment par une autre équipe.
Force est de constater qu'en 2024, comme depuis de nombreuses années, les agences du médicament accordent très souvent des autorisations de mise sur le marché (AMM) qui ne reposent que sur un seul essai comparatif.
Pilule d'Or pour le fexinidazole dans la maladie du sommeil à Trypanosoma brucei rhodesiense
Dans le sud et l'est de l'Afrique, la trypanosomiase humaine africaine (ou maladie du sommeil) est une infection liée surtout à Trypanosoma brucei rhodesiense. Sans traitement, elle est presque toujours mortelle en quelques semaines à quelques mois. Avant la mise à disposition du fexinidazole (un antiparasitaire 5-nitro-imidazolé), le traitement de l'infection à T. brucei rhodesiense reposait sur des médicaments par voie intraveineuse, notamment le mélarsoprol, un dérivé de l'arsenic. Avec ces traitements, la mortalité est inférieure à 22 %. Le mélarsoprol expose à de fréquents effets indésirables graves, dont des syndromes encéphalopathiques chez 5 % à 18 % des patients, mortels dans 10 % à 70 % des cas.
Un essai non comparatif a inclus 45 patients vivant en Ouganda et au Malawi, infectés par T. brucei rhodesiense, dont 35 au stade le plus grave de la maladie. Ils ont tous reçu du fexinidazole par voie orale. Après un suivi d'un an, 44 patients étaient encore en vie. Étant donné l'évolution naturelle de cette maladie, le niveau de preuves de ce résultat est suffisant pour démontrer une grande efficacité du fexinidazole dans cette infection, malgré l'absence d'un groupe témoin. De plus, le profil d'effets indésirables du fexinidazole est plutôt bien connu du fait du long recul d'utilisation des nitro-imidazolés et de son utilisation dans la maladie du sommeil due à un autre parasite. Ce profil comporte moins d'effets indésirables graves que celui du mélarsoprol.
Le fexinidazole s'administre par voie orale, ce qui facilite son utilisation chez des patients qui vivent dans des zones démunies en infrastructures sanitaires par rapport au mélarsoprol qui s'administre par voie intraveineuse.
La recherche clinique sur le fexinidazole dans la maladie du sommeil a été menée par l'organisme à but non lucratif DNDi, de l'anglais Drugs for neglected diseases initiative (lire l'encadré "DNDi : des médicaments contre les maladies négligées").
DNDi : des médicaments contre les maladies négligées
L'initiative "Médicaments contre les maladies négligées" (DNDi, de l'anglais Drugs for Neglected Diseases initiative) a été créée en 2003 sous l'impulsion de Médecins sans Frontières (MSF). Il s'agit d'un organisme à but non lucratif qui vise à développer des traitements à destination des populations dites négligées, c'est-à-dire souffrant de maladies infectieuses dont les traitements sont inefficaces, voire plus dangereux qu'utiles, inexistants, inabordables ou encore inadaptés à leurs conditions de vie. Le nombre de personnes concernées est important, vivant généralement dans des pays pauvres, et les maladies qui les affectent ne constituent pas un marché intéressant pour les firmes pharmaceutiques qui les ont délaissées. L'objectif initial du DNDi était de pallier ce manque d'engagement tout en proposant un modèle de recherche et développement (R&D) qui serait alternatif et basé sur des principes de collaboration, d'accessibilité à des traitements adaptés, de partage des connaissances, de non-profitabilité.
Sources
Prescrire Rédaction "DNDi : un modèle collaboratif de recherche et développement centré sur les besoins des patients" Rev Prescrire 2021 ; 41 (456) : 788-790.
C'est pour récompenser ce progrès thérapeutique majeur dans une maladie "négligée" que la Pilule d'Or 2024 est attribuée à la spécialité Fexinidazole Winthrop°.