Pour la première fois, des médecins généralistes, sous l'égide de l'Union régionale des médecins libéraux (URML) de l'Île de la Réunion, s'organisent pour diffuser dans la presse grand public une information médicale indépendante. Ciblée sur des thèmes précis, cette campagne intitulée « Dé-DésInformation » (DDI), entièrement financée par les seules cotisations des médecins généralistes réunionnais, vise à contrer certaines informations médicales diffusées par des intérêts commerciaux, privés, catégoriels, etc., souvent grâce à des moyens financiers considérables.
Des conséquences néfastes bien connues
Les conflits d'intérêts qui sous-tendent ces informations altèrent fréquemment la qualité scientifique du contenu et le rendent de toute façon sujet à caution. Les conséquences sur la santé des patients et l'exercice quotidien des médecins de terrain sont connues :
des patients reçoivent des soins inappropriés à leur état de santé, et en subissent alors inutilement les effets indésirables parfois graves et toujours évitables ;
des patients sont dissuadés de recevoir des soins réellement profitables au profit d'autres soi-disant "innovants", mais dont l'efficacité est mal démontrée ou les risques mal cernés ;
des médecins de terrain, peu formés à l'analyse critique de l'information, ont du mal à discerner une information sous influence, soutenue par de gros moyens et parfois relayée par des organismes officiels gérant mal leurs conflits d'intérêts, d'une information dépêtrée d'intérêts autres que ceux de la santé des patients ;
des informations contradictoires, qui laissent souvent émerger la voix du plus fort, brouillent les messages délivrés aux patients et parasitent une décision médicale partagée et objective entre les patients et les soignants ;
des avantages en tout genre offerts aux médecins qui accompagnent ces informations sous influence, même "petits", ne restent jamais sans effet. Ce qui pourrait être considéré ailleurs comme une forme de corruption finit par apparaître normal du fait de sa fréquence, et altère progressivement le jugement éthique des soignants ;
une confiance des patients envers la médecine et les médecins qui s'altère chaque jour davantage du fait de ces pratiques, et ouvre la porte à d'autres pratiques charlatanesques tout aussi nocives ;
des soins inappropriés dus à ces informations biaisées augmentent inutilement les dépenses de santé, aggravent les déficits sociaux, et contribuent à l'accroissement des injustices sociales lorsque les politiques en font porter la charge aux malades, au lieu de s'attaquer aux racines de ces dérives.
Faciliter le travail des soignants par la diffusion d'une information fiable au public
L'URML de la Réunion est engagée depuis deux ans dans une démarche qualité à travers la généralisation de l'évaluation des pratiques professionnelles (EPP). Dans ce cadre, la recherche de références dans la bibliographie médicale internationale a mis en évidence le décalage entre certaines informations diffusées et les données fiables de la science. C'est la raison pour laquelle a été lancée en mai 2008, la campagne appelée « Dé-DésInformation » (DDI). À travers l'information du grand public, à travers des encarts publicitaires dans les journaux et les lettres d'information aux médecins qui accompagnent ces encarts (disponibles sur le site de l'URML de la Réunion http://www.urml-reunion. net/ddi/index-ddi.html), l'objectif est de diffuser, en dehors de toute pression médiatique ou commerciale, ce qui est scientifiquement le plus approprié en matière de conseils à donner aux patients, au sujet de certaines actions de soins curatifs ou de prévention.
Des exemples. Le premier thème choisi a été le dépistage systématique du cancer de la prostate. À travers un communiqué de presse, des encarts publicitaires dans les journaux locaux et un quotidien national (Le Monde), il a été rappelé que les connaissances scientifiques actuelles conduisent à ne pas recommander le dépistage généralisé du cancer de la prostate. Cette décision de dépistage doit être discutée au cas par cas avec les patients, après une information objective sur les risques liés à ce dépistage. Une information qui tranche avec les campagnes régulières de groupes de pressions professionnels tendant à généraliser ce dépistage, comme celle de l'Association française d'urologie, par exemple.
Le thème de septembre 2008 a été celui de la prévention du cancer du col de l'utérus. On assiste en effet à une promotion importante, auprès du grand public et des professionnels de santé, des deux vaccins contre certains virus à l'origine de ces cancers. Les moyens déployés sont considérables. Les communiqués et les encarts publiés dans la presse grand public lors de cette nouvelle campagne de "dé-désinformation" rappellent que l'essentiel de la prévention de ce cancer doit rester au frottis cervical pratiqué régulièrement, et que les données concernant l'efficacité réelle de ces vaccins sur les cancers du col et leur innocuité à long terme restent à apporter.
Le thème suivant sera celui du traitement hormonal substitutif de la ménopause. Ainsi, régulièrement d'autres thèmes seront ainsi abordés par l'URML de la Réunion.
Une initiative à poursuivre et consolider. Pour la première fois, des professionnels de santé de la Réunion s'organisent à travers une structure élue par ses pairs pour transmettre au grand public une information médicale fiable, pour des soins de qualité dans le seul intérêt des malades. Compte tenu des enjeux économiques et des moyens déployés pour influencer l'information médicale, la fragilité de cette initiative apparaît clairement, en même temps que son importance. La pérennité de cette action éthique, son développement avec d'autres URML ou groupements de soignants ne seront possibles qu'avec le soutien et l'engagement des professionnels de santé, qui voient leur exercice facilité par des informations fiables, des patients-citoyens assurés de soins prodigués dans leur seul intérêt, et des médias qui les relaieront. Aux 19e et 20e siècles, des progrès sanitaires considérables ont été obtenus par l'application stricte des mesures d'hygiène par les médecins, comme le lavage des mains, par exemple. Au 21e siècle, les enjeux sanitaires d'une information et d'une formation médicales nettoyées de leurs multiples conflits d'intérêts sont du même ordre.
Philippe de Chazournes, Généraliste (974),
Philippe Foucras, Généraliste (58)
©Prescrire 1er février 2009
Rev Prescrire 2009 ; 29 (304) : 152-153.
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