Cette publicité est de plus en plus contestée, dans
les deux pays au monde où elle est autorisée : les Etats-Unis
d'Amérique et la Nouvelle-Zélande. Par souci de protection de la
santé publique, le cadre législatif actuel ne l'autorise pas en
Europe. Pour contourner cette interdiction, les firmes pharmaceutiques les plus
influentes cherchent à brouiller la frontière entre publicité
pour les médicaments et "information-santé". Toujours
en course pour davantage de compétitivité, ces firmes et la Commission
européenne, qui soutient leur action, ont entrepris, dès la fin
des années 1990, de faire lever en Europe tout obstacle, y compris réglementaire,
à la communication directe des firmes pharmaceutiques avec le public (1).
La
tentative de 2001 pour lever l'interdiction de la publicité pour les médicaments
de prescription en Europe et la tentative de légalisation des programmes
d'observance en France en 2007 illustrent les enjeux en présence, et le
rôle important que les citoyens peuvent jouer pour éviter les dérapages. Démission
des autorités et champ libre laissé aux firmes Les
autorités de régulation, largement financées par les firmes
pharmaceutiques, laissent de plus en plus de champ libre aux firmes, au détriment
de leur mission de protection de la santé publique. On a ainsi vu proliférer
des campagnes multimédias et à l'échelle planétaire
de communication directe auprès des patients : campagnes dites de sensibilisation
aux maladies (alias disease awareness), et plus récemment "fabrication
de maladies" (alias disease mongering) (2). L'omniprésence des firmes
(soutien financier direct ou indirect aux associations et organisations ayant
un lien avec la santé, financement de la recherche, etc.) se traduit par
des conflits d'intérêts généralisés dans le
monde de la santé (3). Les années 2000 sont le théâtre
de manuvres insidieuses. En 2001, la Commission européenne (Direction
générale Entreprises) a tenté de faire modifier la réglementation
de la publicité en vue d'autoriser les firmes pharmaceutiques à
promouvoir " la connaissance de la disponibilité " des médicaments
pour trois affections chroniques (l'asthme, le diabète et le sida)
dans le cadre d'un "projet pilote". En 2002, le Parlement européen,
et, en 2003, le Conseil européen des ministres ont massivement rejeté
ces dispositions (4). En 2006 et 2007, les firmes et la Commission européenne
reviennent à la charge au niveau européen sous couvert de fournir
des "informations" directement aux patients et aux consommateurs. Bien
que le terme information soit employé par les firmes, il s'agit de diverses
formes de publicité déguisée (1). En parallèle,
les firmes font pression au niveau des États membres pour introduire un
"pied dans la porte" réglementaire : tentative de légalisation
de programmes dits d'"observance" en France en 2007 sous prétexte
de mieux les encadrer alors qu'ils devraient simplement être interdits (5,6) ;
introduction insidieuse de la communication des firmes directement auprès
des patients au prétexte de "minimisation des risques", qui ne
serait pas justifiée si l'évaluation des médicaments avant
commercialisation était correcte, si leur conditionnement était
bien conçu, et si le système de pharmacovigilance européen
était performant (7). Les succès obtenus
par les citoyens Le lobby des grandes firmes pharmaceutiques est omniprésent
dans les débats sur les textes importants pour la santé, particulièrement
au niveau européen. Face à la "démission" des autorités
de santé, les citoyens qui souhaitent uvrer dans l'intérêt
des patients et de la protection de la santé publique peuvent jouer un
rôle important. Au niveau européen La
mobilisation, dès 2002, de patients, de consommateurs, de professionnels
de santé, et d'organismes de protection sociale, notamment au sein du Collectif
Europe et Médicament, a permis des progrès majeurs du nouveau cadre
législatif européen (4). Les obligations de transparence imposées
aux agences du médicament, permettent de faciliter l'accès du public
à une information solide. À l'occasion des débats sur ces
textes, les députés européens ont réaffirmé
l'interdiction de la publicité directe au consommateur en rejetant massivement (494
voix contre 42) l'article 88, qui aurait autorisé la publicité déguisée
en information pour trois affections chroniques. Après plus de 2 ans de
procédure, ces textes, qui fixent le niveau des garanties apportées
aux citoyens de l'Union européenne en matière d'autorisation de
mise sur le marché, de surveillance des risques et d'information sur le
médicament, ont été publiés le 30 avril 2004. Ils
devaient être transposés en droit national dans les pays membres
à la date du 30 octobre 2005 (4). Au niveau
national : le cas français En France, en 2007, avec plus
d'un an de retard, les textes qui constituent le nouveau cadre législatif
européen (en particulier la Directive 2004/27/CE) sont enfin pour
partie transposés en droit national. Ils n'ont été correctement
transposés que grâce à la vigilance de l'ensemble des acteurs
de la société civile. Le Projet de loi "portant diverses
dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament",
qui avait pour objet notamment de transposer la Directive européenne 2004/27/CE
sur le médicament, omettait des mesures essentielles pour les patients
en matière de transparence et de sécurité des médicaments.
Et, de manière tout à fait surprenante, ce projet de loi contenait
un intrus : l'article 29-II-3° qui visait à habiliter le gouvernement
à prendre une ordonnance législative sur un sujet qui ne découle
pas du droit communautaire : " les actions d'accompagnement des patients
soumis à des traitements médicamenteux, conduites par les établissements
pharmaceutiques ". (8, 9). Le projet d'ordonnance prévoyait notamment
que les firmes pourraient mettre en place des " dispositifs individualisés (relance
téléphonique, numéro vert, éducation personnalisée
pour les patients, envoi d'infirmiers à domicile, etc.) " (a).
En clair, les firmes auraient été autorisées à communiquer
directement avec les patients, marginalisant de fait les soignants, pour encourager
les patients à bien prendre leur traitement. Cette pratique de "
fidélisation de la clientèle " est inacceptable dans le domaine
de la santé : les personnes malades sont vulnérables, et mieux
vaut parfois changer de médicaments (ou les arrêter) quand ils
ont des effets indésirables vraiment difficiles à supporter. Ces
décisions doivent être prises sereinement par le patient et les soignants,
à l'abri des pressions commerciales. Associations de patients, de consommateurs,
de professionnels de santé, syndicats de professionnels de santé,
mutuelles, sociétés savantes, institutions de santé se sont
exprimés de manière unanime contre les programmes d'"aide à
l'observance" des firmes. Ils ont demandé un véritable débat,
serein et prolongé sur le sujet, permettant à chacun de mesurer
les conséquences de l'actuel projet (10). Le projet de loi a été
examiné par les députés français en première
lecture le 11 janvier 2007. La transposition a été améliorée
grâce à l'adoption de nombreux amendements par les députés.
Les améliorations apportées concernent notamment la transparence
sur les travaux et décisions des différentes instances de l'Agence
française du médicament (Afssaps) et de la Haute autorité
de santé (HAS), et la possibilité de retirer du marché
des médicaments en raison d'une balance bénéfices-risques
défavorable. D'autres mesures importantes, relevant du domaine réglementaire,
devraient être prises par décret (mentions en braille sur le
conditionnement, obligation de faire tester les notices par les patients, etc.).
Par contre, concernant les programmes d'"aide à l'observance",
le ministre de la santé a biaisé le débat en laissant entendre
que ces programmes étaient exigés lors de l'autorisation de mise
sur le marché européenne, et donc que l'on ne pouvait pas les interdire
en France. Or la réglementation européenne de l'autorisation de
mise sur le marché (Directive 2004/27/CE et Règlement (EC)
726/2004) ne mentionne pas d'obligation de mettre en uvre des programmes
d'aide à l'observance réalisés par les firmes pharmaceutiques (11).
Finalement, le 24 janvier 2007, pour répondre aux objections réitérées
par l'ensemble de la société civile (12), le ministre de la
santé a reconnu la nécessité d'un débat prolongé
et serein quant à la participation des firmes aux programmes d'"aide
à l'observance", et l'article 29-II-3° a été supprimé
lors de l'examen du projet de loi par le Sénat (13).
Refuser
l'imposture : 2007 sera une année critique La Commission européenne
et les firmes sont décidées à faire de 2007 une année
décisive pour la dérégulation de la communication des firmes
avec le public (1). En France, les programmes d'observance organisés
par les firmes et la concertation organisée par le ministre français
de la santé sur l'information des patients font partie de cette offensive (1).
Le rôle des firmes pharmaceutiques n'est pas d'aider les patients à
suivre leurs traitements. Quelles que soient les mesures d'encadrement prévues,
ces mesures contribueront à légitimer l'intervention des firmes
ou de leurs prestataires auprès des patients, et ne permettront pas d'éviter
les dérives. Les programmes d'"aide à l'observance"
des firmes, la confusion entretenue de ces programmes avec les études après
commercialisation des médicaments ("études post-AMM") (b),
la participation des firmes dans la communication directe aux patients sous prétexte
de "minimisation des risques" (7), s'inscrivent dans la stratégie
globale des firmes pour mettre les patients-citoyens devant le fait accompli de
l'omniprésence des firmes à leur côté. Il est temps
de mettre fin à la confusion des rôles. Une information utile pour
les patients sur les médicaments doit être fiable, adaptée
aux besoins, comparative pour leur permettre de faire des choix éclairés.
Elle doit être indépendante des firmes pharmaceutiques qui, par définition,
ne sont pas neutres dans la comparaison. Par contre, les firmes ont un rôle
important à jouer dans l'amélioration du conditionnement de leurs
médicaments et des notices destinées aux patients, et beaucoup de
progrès sont attendus dans ce domaine (c) (14). Les patients
doivent continuer à se soigner sereinement, avec l'aide des professionnels
de santé, sans pression d'origine commerciale. Il revient aux patients,
consommateurs, professionnels de santé, et organismes de protection sociale,
soucieux de la qualité des soins, d'être vigilant et de veiller au
respect par les firmes du cadre défini par la société.
©La
revue Prescrire 15 mars 2007 _________ Notes
a- Cette volonté d'individualiser les relations avec les patients
est un des axes des propositions commerciales des agences marketing des firmes
pharmaceutiques pour "une nouvelle génération de programmes
d'observance" (qui prévoit entre autres l'utilisation de cartes
à puce, des techniques des sciences comportementales, etc.) (réf.
15) b- La différence est en effet bien claire : les "études
post-AMM",qui devraient être conduites, comme les essais cliniques,
par des équipes indépendantes, sont destinées notamment à
examiner ce qui se passe sur le terrain à partir du moment où un
médicament commence à être utilisé à grande
échelle ; les programmes d'"observance" mis en uvre
par les firmes sont des interventions destinées, in fine, à faire
en sorte que les patients n'interrompent pas leur traitement et continuent à
consommer le médicament concerné (réf. 16). c- C'est
dans cette perspective que la revue Prescrire, membre de l'International Society
of Drug Bulletins, et le Collectif Europe et Médicament ont décidé,
en liaison avec Health Action International, le Bureau Européen des Consommateurs
et l'Association Internationale de la Mutualité, d'écrire une déclaration
conjointe intitulée "Une information-santé pertinente pour
des citoyens responsables" (réf.14). Cette déclaration
rappelle le principe simple selon lequel l'information-santé fiable, comparative
et adaptée, celle dont les patients ont besoin, ne peut pas être
délivrée par des firmes qui, en situation très concurrentielle,
ont par définition à promouvoir leurs médicaments au détriment
des autres options thérapeutiques et préventives. Elle rappelle
également que l'Europe n'est pas le désert d'information que décrivent
les firmes et la Commission européenne, et elle répertorie de nombreux
exemples positifs. _________ Références
1- Prescrire Rédaction "Information-santé aux mains des
firmes : la menace grandit en Europe" Rev Prescrire 2006 ; 26 (278) :
863-865. 2- Barbara Mintzes "Fabriquer des maladies pour vendre des médicaments"
Rev Prescrire 2007 ; 27 (279) : 63-65. 3- Prescrire Rédaction
"Redresser le cap" rev Prescrire 2006 ; 26 (277) : 721. 4-
Prescrire Rédaction "Europe et Médicament : les succès
obtenus par les citoyens" Rev Prescrire 2004 ; 24 (252) :
542-548. 5- Collectif Europe et Médicament "Un projet de loi de
transposition incomplet et un dangereux projet d'ordonnance" Dossier documentaire
du Collectif déc. 2006 ; Fiche n°1. Site internet www.prescrire.org :
2 pages. 6- Prescrire rédaction "Programmes industriels d'"aide
à l'observance" : non merci !" rev Prescrire 2007 ;
27 (279) : 61-62. 7- Prescrire Rédaction "Plans de gestion
des risques" Rev Prescrire 2007 ; 27 (282) : (sous presse). 8-
Direction générale de la santé/SD3 : "Ordonnance
n° - Rapport au Président de la République" 14 décembre
2005 : 9 pages. 9- Direction générale de la santé
"Projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire"
14 décembre 2005 . Site internet www.prescrire.org consulté le 25-09-2006 :
9 pages. 10- Collectif Europe et Médicament "Programmes industriels
d'"accompagnement" ou d'"aide à l'observance" :
de nombreuses oppositions". Site internet www.prescrire.org dernière
mise à jour le 23-01-2007 : 3 pages. 11- Collectif Europe et Médicament
"Un débat tronqué !" Communiqué de presse Site
internet www.prescrire.org publié le 18-01-2007 : 1 page. 12-
Collectif Europe et Médicament "Programmes d'"observance"
des firmes : un projet qui fait l'unanimité contre lui - Pourquoi
le ministre s'entête-t-il ?" Communiqué de presse. Site internet
www.prescrire.org publié le 23-01-2007 : 1 page. 13- Collectif
Europe et Médicament "Programmes d'"observance" des firmes :
la société civile enfin entendue" Communiqué de presse.
Site internet www.prescrire.org publié le 25-01-2007 : 1 page. 14-
Déclaration conjointe HAI Europe, ISDB, AIM, BEUC, Collectif Europe et
Médicament "Une information-santé pertinente pour des citoyens
responsables" lancée le 3 octobre 1006 . Site internet www.prescrire.org
consulté le 30-01-2007 : 9 pages. 15- Frost and Sullivan "The
evolution of patient adherence programs: moving from mass market relationships
to a personal approach" A Frost and Sullivan Whitepaper. Site internet www.frost.com
consulté le 30-01-2007 : 13 pages. 16- Collectif Europe et Médicament
"Ne pas confondre "études post-AMM" et programmes industriels
d'"aide à l'observance" Dossier documentaire du Collectif déc.
2006 ; Fiche n°6 (Complément). Site internet www.prescrire.org
consulté le 30-01-2007 : 1 page. |