« Dans vos articles "Pentoxyvérine : des effets indésirables atropiniques et des troubles cardiaques" du 1er avril 2019 [réf. 1] et "Bilan 2020 des médicaments à écarter" du 1er décembre 2019 [réf. 2] ; vous mettez en cause de façon injustifiée et à plusieurs reprises, la balance bénéfices-risques de la pentoxyvérine présente dans notre spécialité Vicks sirop pectoral 0,15 %. En particulier, ce dernier article suggère que la pentoxyvérine, présente dans notre spécialité, figure au bilan des médicaments à écarter.
Cela nous amène donc à apporter les corrections suivantes :
– Le Comité pour l'évaluation des risques en matière de pharmacovigilance (PRAC) de l'Agence européenne des médicaments est responsable de l'évaluation et de la surveillance de la sécurité des médicaments à usage humain dans toute l'Europe. Dans son dernier rapport périodique actualisé relatif à la sécurité publié en août 2019, le PRAC a conclu, après un examen approfondi de sources de données acquises après la mise sur le marché, que rien ne permettait de croire que des événements indésirables cardiaques étaient associés à la pentoxyvérine.
– Dans le cadre d'une étude clinique visant spécifiquement à évaluer les événements cardiaques, les volontaires ont reçu une dose élevée de pentoxyvérine (correspondant à une dose 4 fois supérieure à la dose recommandée). Cette étude a démontré que le médicament était bien toléré et n'avait aucun effet sur les paramètres cardiaques des sujets (ECG et rythme cardiaque) ni sur la prolongation de l'intervalle QT par rapport au placebo. À l'instar de données approfondies favorables découlant de la surveillance de la sécurité après la mise sur le marché, cette étude confirme le profil de sécurité cardiaque positif de la pentoxyvérine.
– Nos données de pharmacovigilance concernant Vicks sirop pectoral 0,15 % indiquent que les événements indésirables potentiellement associés au médicament sont extrêmement rares et que ce dernier, commercialisé depuis 2000, est très bien toléré. Selon notre dernier rapport actualisé relatif à la sécurité, le taux de déclaration pour Vicks sirop pectoral 0,15 % était d'un événement indésirable pour 11,6 millions de doses expédiées depuis son lancement (de juin 2000 à décembre 2018). Par ailleurs, les données tirées de la littérature fournissent très peu de preuves indiquant que le citrate de pentoxyvérine est associé à des événements indésirables quels qu'ils soient.
– Le rapport bénéfice-risque favorable du citrate de pentoxyvérine reste quant à lui étayé par son efficacité prouvée en tant qu'antitussif indiqué pour le traitement symptomatique des toux sèches non productives et par son association très rare à des événements indésirables quels qu'ils soient. Cela a également été confirmé par l'évaluation du PRAC susmentionnée. »
Gonzague David
Pharmacien Responsable
Procter & Gamble Pharmaceuticals France
Gonzague David n'a joint à son courrier aucun des documents qu'il cite. Ni rapports de firme pharmaceutique dont ceux examinés par l'Agence européenne du médicament (EMA), ni compte rendu d'étude clinique, ni données étayant l'efficacité supposée et le profil d'effets indésirables de la pentoxyvérine. Il s'appuie sur un rapport qui aurait été publié en 2019 par le Comité de pharmacovigilance (Pharmacovigilance Risk Assessment Committee, PRAC) qu'il ne fournit pas non plus.
Quelle analyse approfondie par le PRAC en 2019 ?
Gonzague David évoque un "rapport périodique actualisé" établi par le PRAC. Dans les faits, le PRAC est chargé d'examiner les rapports périodiques actualisés relatifs à la sécurité, alias "periodic safety update reports" en anglais (PSUR), qui sont élaborés et remis par les firmes à l'EMA (3). Cet examen conduit parfois à ajouter des mentions modifiant l'autorisation de mise sur le marché (AMM), tels que l'ajout d'un effet indésirable au résumé des caractéristiques du produit (RCP) et dans la notice.
Le PRAC publie le calendrier et l'ordre du jour ("agenda") de ses réunions plénières, puis peu après ces réunions de brefs "points clés" ("highlights"), et plusieurs mois après un compte rendu concis ("minutes") de chaque réunion qui comporte des données très résumées pour chaque dossier (4). Quand il existe un compte rendu détaillé de l'analyse d'un médicament par le PRAC, il n'est en général pas publié. Ces réunions plénières sont mensuelles, mais la page internet du site de l'EMA donnant accès aux publications du PRAC ne montre ni réunion plénière ni publication en août 2019 (ni en août 2018).
L'examen par le PRAC de PSUR de médicaments contenant de la pentoxyvérine était à l'ordre du jour de la réunion du 2 au 5 septembre 2019. L'ordre du jour de cette réunion comportait aussi, entre autres : 104 autres examens de PSUR, 19 évaluations de signaux de pharmacovigilance, 61 plans de gestion des risques, 28 protocoles d'études post-AMM, soit plus de 200 dossiers (5). La pentoxyvérine n'est pas citée parmi les "highlights" de cette réunion.
L'adoption du compte rendu de cette réunion était à l'ordre du jour de la réunion du 30 septembre au 3 octobre 2019. Au 6 janvier 2020, ce compte rendu n'est pas accessible sur le site de l'EMA, le dernier compte rendu publié au 7 janvier 2020 étant celui de la réunion de juillet 2019 (4,6).
Où sont les données ?
Notre recherche documentaire n'a recensé qu'une étude à visée cardiaque, publiée seulement sous forme d'abstract d'un congrès, et dont les auteurs sont employés par la firme Boehringer Ingelheim Pharma, qui a commercialisé de la pentoxyvérine (7). La méthodologie n'est décrite que de façon succincte. Chez 18 personnes en bonne santé apparente, l'électrocardiogramme a été analysé dans les 24 heures après la prise d'une dose unique de pentoxyvérine. Il n'y a pas eu d'allongement de l'intervalle QT observé. Cette étude est trop limitée pour justifier l'affirmation que la pentoxyvérine n'a « aucun effet sur les paramètres cardiaques ». Les conclusions de cette étude ne tiennent pas compte des cas notifiés d'allongement de l'intervalle QT (1).
À titre d'exemple, une étude du même type chez quelques personnes en bonne santé apparente avec la dompéridone (Motilium° ou autre) n'a pas montré d'allongement de l'intervalle QT, alors que ce risque est avéré dans certaines situations cliniques, comme en témoigne le RCP français de 2019 (8à10).
Comment expliquer d'ailleurs que le RCP de Vicks sirop pectoral 0,15 %° mentionne la « tachycardie » parmi les effets indésirables si la pentoxyvérine n'a aucun effet cardiaque (11) ?
Nous sommes intéressés à analyser des données, nouvelles ou restées non divulguées, mais sur des bases plus solides que de simples allégations d'un « profil de sécurité cardiaque positif » et d'une « efficacité prouvée en tant qu'antitussif ».
Attention à la sous-notification
Il est heureux que les effets indésirables de la pentoxyvérine, et particulièrement de la spécialité Vicks sirop pectoral 0,15 %°, soient rares. S'ils étaient fréquents, cela constituerait une urgence sanitaire que les firmes concernées auraient dû signaler pour une action rapide de protection des patients, par exemple par un arrêt de la commercialisation des médicaments en contenant.
Cela étant, un faible nombre de signalements d'effets indésirables publié n'est pas forcément définitivement rassurant. Par exemple, le dossier Mediator° (benfluorex) montre que la première publication d'atteinte valvulaire a eu lieu 27 ans après la mise sur le marché, alors que des atteintes sont constatées chez environ 1 patient sur 6 exposés pendant un an (12,13).
Pas de preuve d'efficacité au-delà de celle d'un placebo
Il est dommage que Gonzague David n'apporte pas de document à l'appui de ses déclarations au sujet de l'efficacité de la pentoxyvérine.
Notre recherche documentaire n'a recensé aucun essai comparatif randomisé pentoxyvérine versus placebo, ou versus absence de traitement médicamenteux montrant une efficacité sur la toux au-delà de celle d'un placebo ou de celle d'un sirop de sucre.
Pourquoi prendre des risques, en l'absence d'efficacité au-delà de celle d'un placebo ?
Dès lors, comment justifier d'exposer les patients à ses effets atropiniques, avec des confusions, des somnolences, des agitations, des désorientations, des hallucinations visuelles, des troubles du rythme cardiaque (11,14à16) ?
Comment justifier les notifications recensées début 2019 dans l'extrait en accès libre de la base de données européenne de pharmacovigilance et rapportées avec la pentoxyvérine : dépressions et détresses respiratoires, éruptions cutanées, urticaires, angiœdèmes, syndromes de Stevens-Johnson (1) ?
Il serait dans l'intérêt des patients que les autorités de santé européennes et françaises, et les firmes qui commercialisent des spécialités à base de pentoxyvérine tirent les conclusions qui s'imposent : mieux vaut éviter d'exposer les patients à ce médicament plus dangereux qu'utile.
bibliographie
1- Prescrire Rédaction "Pentoxyvérine : des effets indésirables atropiniques et des troubles cardiaques" Rev Prescrire 2019 ; 39 (426) : 267-268.
2- Prescrire Rédaction "Pour mieux soigner, des médicaments à écarter : bilan 2020" Rev Prescrire 2019 ; 39 (434) : 931-942.
3- EMA "Periodic safety update reports (PSURs)". Site www.ema.europa.eu consulté le 7 janvier 2020 : 33 pages.
4- EMA "Agendas, minutes and highlights". Site www.ema.europa.eu consulté le 7 janvier 2020 : 15 pages.
5- EMA "Meeting highlights from the Pharmacovigilance Risk Assessment Committee (PRAC) 2-5 September 2019". Site www.ema.europa.eu consulté le 7 janvier 2020 : 6 pages.
6- EMA "Pharmacovigilance Risk Assessment Committee (PRAC). Draft agenda for the meeting on 02-05 September 2019" 2 septembre 2019 : 85 pages.
7- Feifel U et coll. "The antitussive pentoxyverine does not affect the electrocardiogram, and in particular not the corrected QT interval : results from a phase I clinical trial" Eur Respir J 2014 ; 44 (suppl. 58) : poster 578, 2 pages.
8- Biewenga J et coll. "Absence of QTc prolongation with domperidone: a randomized, double-blind, placebo- and positive-controlled thorough QT/QTc study in healthy volunteers" Clin Pharmacol Drug Dev 2015 ; 4 (1) : 41-48.
9- ANSM "RCP-Motilium" 20 juin 2019 : 8 pages.
10- Prescrire Rédaction "Dompéridone : un médicament longtemps banalisé, devenu à écarter des soins" Rev Prescrire 2016 ; 36 (391) : 353.
11- ANSM "RCP-Vicks sirop pectoral 0,15 %" 23 juillet 2008 : 4 pages.
12- Prescrire Rédaction "Benfluorex et valvulopathies : publication très tardive" Rev Prescrire 2012 ; 32 (349) 828.
13- Prescrire Rédaction "Désastre du Mediator° : beaucoup de temps perdu et de vies gâchées" Rev Prescrire 2019 ; 39 (432) : 782-784.
14- Prescrire Rédaction "Fiche M1. Le syndrome atropinique en bref" Interactions Médicamenteuses Prescrire 2020.
15- Prescrire Rédaction "Antitussifs" Interactions Médicamenteuses Prescrire 2020.
16- Westphal F et coll. "Characterization of pentoxyverine metabolites in urine using GC/MS after intoxication with Silomat cough drops" Forensic Sci Int 2012 ; 215 (1-3) : 124-135.