Moins solides, mais pas moins utiles

Résumé

Pour évaluer des événements rares en situation réelle de soins, les études de cohorte apportent des informations complémentaires à celles fournies par les essais comparatifs randomisés.

Les patients atteints d'un trouble bipolaire ont un risque accru de suicide. Chez ces patients, l'efficacité du lithium ou de l'acide valproïque en prévention des suicides a été évaluée par des essais comparatifs randomisés. Mais d'autres types d'études sont aussi utilisés pour évaluer les effets de tels médicaments. L'équipe Prescrire vous propose de lire des extraits d'un compte rendu publié d'une étude sur ce sujet, puis de répondre à deux questions. Suivent une proposition de réponse et des commentaires de la Rédaction.

Extraits de la publication d'un compte rendu d'étude

« Comportements suicidaires durant un traitement par lithium et valproate : étude prospective de 8 ans avec comparaison intra-individuelle chez 50 000 patients atteints de trouble bipolaire

(…) Les essais comparatifs randomisés existants qui examinent l'effet anti-suicidaire du lithium sont peu solides et peu généralisables en raison de la rareté des évènements et de la population sélectionnée. (…)

En utilisant une grande cohorte suédoise de 50 000 patients atteints de trouble bipolaire suivis pendant 8 ans, nous avons réalisé des comparaisons intra-individuelles pour examiner les associations entre un traitement par lithium ou par valproate et un comportement suicidaire, et leurs éventuelles différences.

MÉTHODE

Sujets

Nous avons relié des registres de la population suédoise, constitués à partir des numéros d'identification personnels uniques. En reliant le registre de la population totale, le registre de migration, le registre des causes de décès, le registre national des patients et le registre des médicaments prescrits, nous avons identifié 51 535 patients atteints de trouble bipolaire suivis entre le 1er octobre 2005, ou l'âge de 15 ans, ou la date du premier diagnostic s'il avait eu lieu après le 1er octobre 2005, jusqu'à émigration ou décès, ou jusqu'à la date du 31 décembre 2013, quel que soit l'événement survenu en premier. (…)

Mesures

(…) Nous avons utilisé un algorithme (…) qui définit un trouble bipolaire quand le diagnostic a été posé lors d'au moins deux consultations hospitalières ou ambulatoires (…).

L'exposition principale a été définie comme étant la prescription de sulfate de lithium (…) ou de valproate de sodium/acide valproïque (…) dans le registre des médicaments prescrits (…).

En Suède, dans la pratique courante de psychiatrie, les médicaments par voie orale sont rarement dispensés pour plus de 3 mois en une fois (…). En conséquence, pour le lithium et le valproate, les personnes ont été considérées sous traitement entre deux dispensations de médicaments, sauf si la dispensation a eu lieu avec un intervalle de plus de 3 mois (…).

Le critère principal d'évaluation a été les évènements liés au suicide, définis comme les tentatives de suicides ou les suicides (…). Les dates et diagnostics ont été retrouvés à partir du registre national des patients et du registre des causes de décès (…).

RÉSULTATS

Parmi les 51 535 patients atteints de trouble bipolaire, un total de 10 648 événements liés au suicide sont survenus chez 4 643 d'entre eux (9 %) (…).

Après exclusion des individus sans évènements liés au suicide ou chez qui des facteurs de confusion ont été modifiés durant le suivi, 4 405 patients ont été éligibles pour l'analyse intra-individuelle (…).

Nous avons retrouvé une réduction de 14 % du taux d'événements liés au suicide entre les périodes avec ou sans traitement par lithium (…), mais cela n'a pas été le cas avec le valproate » (1).

Traduction©Prescrire

bibliographie

1- Song J. et coll. "Suicidal behavior during lithium and valproate treatment : a within-individual 8-year prospective study of 50 000 patients with bipolar disorder" Am J Psychiatry 2017 ; 174 (8) : 795-802.

Question 1 - Quel est l'objectif de cette étude ? De quel type d'étude s'agit-il, avec quelle méthode ?

Question 2 - Quels sont les principaux avantages et inconvénients de ce type d'étude par rapport à un essai comparatif randomisé ?

Propositions de réponse et commentaires de la Rédaction

Question n° 1 Proposition de réponse

Cette étude a cherché une association statistique entre l'exposition au lithium ou l'exposition à l'acide valproïque et la survenue de suicides ou de tentatives de suicide.

Il s'agit d'une étude de pharmacoépidémiologie, utilisant les données de suivi d'une cohorte historique, d'échelle nationale, constituée à partir des données de plusieurs registres publics suédois. Il s'agit d'une étude rétrospective : la recherche a été réalisée après la collecte des données, dont l'exposition aux médicaments et la survenue de tentatives de suicide ou de suicides. Cette étude de cohorte comparative a extrait de la population nationale suédoise, sur une période précise, les données d'environ 51 500 patients avec diagnostic de trouble bipolaire, dont 4 400 ont fait au moins une tentative de suicide ou sont morts par suicide, avec au total environ 10 600 tentatives de suicides ou suicides répertoriés.

L'étude a été réalisée selon une comparaison dite intra-individuelle. Autrement dit, chaque patient a été son propre comparateur (alias son propre témoin), selon qu'il était traité avec du lithium ou de l'acide valproïque, ou non, au moment de l'événement lié au suicide. Ce type d'analyse tient compte du fait que le risque de suicide varie plus d'un individu à l'autre que chez un même patient sur des périodes relativement proches. La comparaison intra-individuelle réduit certains biais liés à des facteurs de confusions (par exemple la situation sociale ou les antécédents de vie), sans toutefois les annuler.

Question n° 2 Proposition de réponse

En général, les essais comparatifs randomisés en double aveugle, apportent les preuves les plus solides quand il s'agit d'évaluer l'efficacité d'une intervention, car la comparaison porte sur des populations semblables du fait du tirage au sort, et l'absence de connaissance par les patients et les soignants de l'intervention reçue supprime de nombreux biais. Mais les essais cliniques ne sont généralement pas calibrés pour évaluer avec précision les effets indésirables de l'intervention. Ils ont diverses limites : le nombre de patients inclus est souvent trop faible pour évaluer des événements peu fréquents ; ils incluent des patients sélectionnés selon des critères stricts et écartent souvent ceux souffrant d'autres affections, les personnes âgées, les enfants, les femmes enceintes, etc. Dans le cas des traitements au long cours, ils sont menés sur une durée en général très inférieure à la durée pendant laquelle les patients seront réellement exposés. La surveillance des patients durant l'essai est en général plus renforcée qu'en situation réelle de soins ; etc.

Pour leur part, les études de cohorte comparatives, permettent d'étudier certains effets d'un médicament sur des effectifs de patients plus importants, suivis plus longtemps, dans des contextes plus divers, en situation réelle de soins. Elles sont de moindre niveau de preuves que les essais comparatifs randomisés car du fait de l'absence de tirage au sort, les groupes comparés diffèrent par de nombreux facteurs autres que l'intervention. L'absence de suivi en double aveugle est une autre limite qui modifie particulièrement la perception de certains critères subjectifs. Mais les études de cohorte comparatives apportent des informations utiles pour révéler des associations statistiques sur des événements peu fréquents, ici les tentatives de suicide et les suicides. Les cohortes constituées à partir de registres publics régionaux ou nationaux sont particulièrement représentatives des patients rencontrés en situation réelle de soins. L'intérêt de ces registres dépend toutefois de la façon dont ils sont constitués, renseignés et entretenus.

En pratique

Les études de cohorte comparatives n'ont pas un niveau de preuves aussi élevé que les essais comparatifs randomisés pour démontrer une relation causale d'une association observée, mais elles apportent des informations complémentaires sur certains effets rares ou sur des effets à long terme des médicaments. Les résultats de ces études sont à mettre en perspective avec d'autres données, notamment de pharmacologie clinique et d'études cas/témoins, susceptibles de conforter ou non une relation causale.

©Prescrire

Pour aller plus loin • Montastruc JL "Les cinq "trop" des essais cliniques : plaidoyer pour une pharmacoépidémiologie pour tous" Rev Prescrire 2006 ; 26 (273) : 471. • Prescrire Rédaction "Évaluer les risques d'un traitement : prendre en compte les données cliniques, la pharmacologie, et les particularités du patient" Rev Prescrire 2009 ; 29 (312) : 778-780. • Prescrire Rédaction "Facteurs de confusion" Rev Prescrire 2017 ; 37 (410) : 935.