Médicaments "grand public" : l'Agence française (ANSM) encouragée à davantage protéger les patients

Prescrire a répondu à plusieurs consultations de l'Agence française des produits de santé (ANSM) ces derniers mois, s'appuyant sur son expérience tirée de l'examen méthodique de près de 7 000 conditionnements au fil des années, et son expertise en termes de prévention d'erreurs liées aux soins.

Interdire les gammes ombrelles

Le 16 novembre 2017, lors d'une audition organisée par l'ANSM, Prescrire a exprimé sa position sur l'encadrement des gammes ombrelles (1). Cette audition a réuni plusieurs parties prenantes, notamment : firmes, organisations professionnelles, associations de consommateurs.

Depuis des années, Prescrire appelle à l'interdiction des gammes ombrelles, qui exposent les patients à des confusions sources de dangers entre différents produits (2).

Cette audition est intervenue suite à des réponses de Prescrire à deux consultations de l'ANSM (3,4). Dans sa réponse sur le projet de recommandations nationales relatives au conditionnement des formes orales solides (comprimés, gélules, etc.), Prescrire avait souligné l'importance de valoriser les mentions indispensables à la prévention des erreurs médicamenteuses sur les étiquetages (dénomination commune internationale (DCI), dosage, voie d'administration), ce que ne permettent pas les chartes graphiques surchargées des gammes ombrelles (a)(4). Et dans sa réponse sur le projet de recommandations nationales sur les noms commerciaux, Prescrire avait demandé à l'ANSM d'abandonner toute situation où l'identification des substances n'est pas garantie ou paraît source de confusion, comme avec les gammes ombrelles (b)(3).

Lors de son intervention de novembre 2017, Prescrire a appelé à réfuter la légalité des gammes ombrelles en se fondant notamment sur le fait qu'elles vont à l'encontre des exigences européennes de qualité et de sécurité des médicaments. Prescrire a aussi fait valoir que cela permettrait par la même occasion à l'ANSM d'évacuer du marché français des dizaines de conditionnements dangereux, plutôt que de consacrer ses ressources à en exiger la sécurisation et à les contrôler (1).

Début 2018, l'ANSM a publié des recommandations sur les noms commerciaux des médicaments, à l'attention des firmes (5,6). Avec ces recommandations, l'ANSM se prononce en faveur de l'arrêt des gammes ombrelles « en raison des risques pour la santé publique, résultant notamment d'une confusion entre médicaments qu'[une gamme ombrelle] est susceptible d'entraîner » (7). L'Association industrielle française de l'automédication (Afipa) a déposé un recours en annulation contre ces recommandations au Conseil d'État fin avril 2018 (7). À suivre.

Limiter les dégâts de la publicité grand public

La publicité est définie comme « le fait d'exercer une action sur le public à des fins commerciales » (8). En septembre 2017, Prescrire a répondu à une consultation publique de l'ANSM portant sur l'encadrement de la publicité des médicaments à destination du grand public (9). En effet, contrairement aux médicaments de prescription, la publicité pour les médicaments dits grand public n'est pas interdite dans l'Union européenne. En France, elle est simplement soumise à autorisation de l'ANSM (10).

Après avoir rappelé la nécessité d'une information fiable et indépendante pour étayer tout choix thérapeutique, Prescrire a insisté pour que, à défaut d'être interdite, la publicité "grand public" comporte au minimum des messages de prudence, largement audibles ou lisibles selon les cas. Prescrire a aussi demandé à ce que ces messages de prudence fassent l'objet d'une évaluation méthodique de leur compréhension par des patients, et que ces rapports d'évaluation soient rendus publics (9).

Suite à la consultation de l'ANSM, depuis début 2018, un message de prudence, « Tout médicament peut exposer à des risques, parlez-en à votre pharmacien », est systématiquement diffusé dans les publicités télévisées sur les médicaments, à l'oral et à l'écrit (avec une surface sur l'écran augmentée afin de le rendre plus visible par le public). De plus, certains messages spécifiques ont été retenus : contre-indication chez les femmes enceintes ou allaitantes (anti-inflammatoires non stéroïdiens notamment), risques hépatiques du paracétamol et risques associés à l'utilisation de vasoconstricteurs décongestionnants (11).

En somme

La publicité "grand public" et la promotion des gammes ombrelles visent à stimuler les ventes de médicaments, dont certains sont parfois plus dangereux qu'utiles. Encadrer ces pratiques comme le propose l'ANSM française est un premier pas dans la bonne direction, mais cela reste insuffisant. Pour lutter contre la marchandisation intense de la santé, il serait plus simple et surtout plus efficace de les interdire.

©Prescrire

Notes

a- Dans sa réponse à cette consultation, Prescrire avait insisté sur l'intérêt de tester auprès des patients et soignants utilisateurs la lisibilité et la compréhension des étiquetages, ainsi que le maniement des conditionnements présentés sous forme de maquette. Prescrire avait aussi salué la position déterminée de l'ANSM en faveur des conditionnements unitaires, insistant pour que les plaquettes unitaires soient considérées comme le standard de référence en termes de clarté et de lisibilité (réf. 4).

b- L'expérience de Prescrire révèle que les conditionnements qui font partie de gammes ombrelles sont parmi les plus inacceptables : choix de chartes graphiques favorisant les confusions entre produits ; absence de bouchons-sécurité ; dispositifs doseurs imprécis (gobelets, cuillères plastiques) voire absents, sans mention d'identification pour éviter l'utilisation avec une autre spécialité ; illustrations promotionnelles trompeuses ou favorisant les erreurs (réf. 2).

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- Prescrire Rédaction "Prescrire demande d'interdire les gammes ombrelles" Texte de l'intervention Prescrire du 16 novembre 2017 à l'ANSM. Site www.prescrire.org consulté le 7 juin 2018 : 5 pages.

2- Prescrire Rédaction "Gammes ombrelles : une réévaluation sur le fond s'impose à l'ANSM" Rev Prescrire 2015 ; 35 (376) : 139.

3- Prescrire Rédaction "Projet de recommandations de l'Agence française des produits de santé sur les noms commerciaux des médicaments : un projet qui entretient les confusions sources de danger" décembre 2016. Site www.prescrire.org consulté le 7 juin 2018 : 4 pages.

4- Prescrire Rédaction "Projet de l'ANSM de recommandations sur les étiquetages des formes orales solides : un premier pas encourageant vers plus de sécurisation de l'usage des médicaments, à optimiser" 12 novembre 2017. Site prescrire.org consulté le 7 juin 2018 : 8 pages.

5- ANSM "Noms des médicaments. Recommandations à l'attention des demandeurs et titulaires d'autorisations de mise sur le marché et d'enregistrements" janvier 2018. Site www.ansm.sante.fr consulté le 7 juillet 2018 : 9 pages.

6- Prescrire Rédaction "Recommandations de l'ANSM pour des étiquetages plus sûrs : des progrès à poursuivre" Rev Prescrire 2018 ; 38 (420) : 741-742.

7- Prescrire Rédaction "Gammes ombrelles : vers leur arrêt sur initiative de l'ANSM" Rev Prescrire 2018 ; 38 (417) : 506-507.

8- Le Petit Robert, édition 2012 : 1 page.

9- Prescrire Rédaction "Réponse à la consultation sur les Recommandations de l'ANSM en consultation publique - Supports publicitaires GP autorisés et présentation des mentions obligatoires associées : cas des films TV (ou cinéma)" 20 septembre 2017 : 2 pages.

10- Prescrire Rédaction "Publicité pour les médicaments en France en 2018" Rev Prescrire 2018 ; 38 (417) : 546-547.

11- ANSM "Publicité pour les médicaments - Recommandations pour la publicité auprès du public" Site ansm.sante.fr consulté le 7 juin 2018 : 2 pages.