Changements en vue de la réglementation pharmaceutique européenne

Première partie. Les projets de la Commission analysés par la société civile : grands changements en vue, à améliorer

La Commission européenne a annoncé en 2020 sa nouvelle stratégie pharmaceutique européenne pour les années à venir (1). Cette stratégie va se matérialiser notamment par une révision importante de la législation pharmaceutique générale de l'Union européenne (UE) et des législations sur les maladies rares et les médicaments pédiatriques (2).

Pour préparer ces documents et initiatives, la Commission a organisé au préalable plusieurs consultations publiques portant sur : la feuille de route de sa stratégie pharmaceutique ; la stratégie elle-même ; la feuille de route de la révision législative ; la révision législative elle-même (1à8).

La publication des nouveaux textes législatifs est annoncée pour 2023. Ils seront soumis à l'approbation du Parlement et du Conseil européens (2).

Nous publions ci-dessous divers extraits de textes proposés par la Commission ainsi que des extraits de contributions aux consultations publiques élaborées par Prescrire et une alliance européenne d'associations de la société civile à laquelle participe Prescrire.

Nous publierons dans un prochain numéro des extraits d'un rapport réalisé pour le Parlement européen, élaboré dans le cadre de ces consultations et plaidant pour la mise en place d'une infrastructure européenne du médicament (9).

La feuille de route de la stratégie pharmaceutique européenne : pénuries, prix des médicaments et innovation (mi-2020)

La Commission européenne a mis en place entre juin et septembre 2020 une consultation sur son projet de "stratégie pharmaceutique pour l'Europe" (1).

Objectifs de la Commission dans sa feuille de route

« Les médicaments jouent un rôle important en ce qui concerne le diagnostic, le traitement et la prévention des maladies. Nous, citoyens de l'UE [Union Européenne], souhaitons bénéficier de l'égalité d'accès à des thérapies sûres, innovantes et financièrement abordables parce que notre santé en dépend souvent. Si des pénuries ou un coût trop élevé nous empêchent d'avoir accès à des traitements, notre santé peut en pâtir. La Commission a l'intention de concevoir un plan qui traitera des questions actuelles d'accès, de disponibilité et de prix abordable des médicaments, tout en promouvant l'innovation durable, et qui aidera l'industrie de l'UE à rester un acteur innovant et un leader mondial. Elle entend également renforcer le système actuel et l'aider à écarter les menaces qui pèsent sur la santé publique, telles que la pandémie due au coronavirus, sans compromettre la sécurité des patients » (1).

Réponse de Prescrire à la consultation sur la feuille de route : davantage de transparence et de preuves pour l'évaluation et les décisions

En juillet 2020, Prescrire a répondu à cette consultation. Dans sa contribution, Prescrire a précisé ses priorités pour la stratégie pharmaceutique :

  • un renforcement des normes réglementaires pour l'autorisation de mise sur le marché des nouveaux médicaments, basée sur des preuves solides et l'exigence d'essais comparatifs randomisés ;

  • la révision des incitations et récompenses prévues par la législation des médicaments orphelins et pédiatriques pour mettre un terme à l'utilisation abusive qui en a été faite au cours des dernières années ;

  • l'amélioration de la sécurité des patients, y compris pour les médicaments déjà sur le marché, notamment par de meilleurs conditionnements et une meilleure information sur les produits en précisant la solidité des données qui sous-tendent leurs autorisations ;

  • une prévention renforcée des pénuries de médicaments en veillant à la diversification des chaînes d'approvisionnement et en clarifiant les obligations de l'industrie pharmaceutique ;

  • une plus grande indépendance de l'Agence européenne du médicament (EMA) et du processus décisionnel des institutions européennes par rapport aux influences exercées par les firmes pharmaceutiques et l'élimination des risques de capture réglementaire (alias détournement des décisions publiques en faveur d'intérêts commerciaux) (lire aussi "Lobbying pharmaceutique à Bruxelles : au moins 36 millions d'euros par an").

Prescrire considère que la transparence, l'élaboration de politiques fondées sur des preuves et l'accès aux données cliniques sont une priorité pour le bénéfice des patients et l'intérêt général. Ces points devraient être reflétés dans la future stratégie pharmaceutique de l'Europe (3).

La stratégie pharmaceutique adoptée par la Commission européenne, dans la continuité de sa feuille de route (fin 2020)

La Commission européenne a adopté sa stratégie pharmaceutique pour l'Europe en novembre 2020, reprenant les grandes lignes de sa feuille de route (2).

La stratégie en quatre piliers vue par la Commission

« Adoptée le 25 novembre 2020, la Stratégie pharmaceutique pour l'Europe vise à créer un cadre réglementaire à l'épreuve du temps et à aider l'industrie à promouvoir une recherche et des technologies destinées aux patients, afin de répondre à leurs besoins thérapeutiques tout en remédiant aux défaillances du marché. Elle tiendra également compte des faiblesses mises en évidence par la pandémie due au coronavirus et prendra les mesures appropriées pour renforcer le système.

La stratégie reposera sur 4 piliers, comprenant des actions législatives et non législatives :

  • garantir l'accès des patients à des médicaments abordables et répondre aux besoins médicaux non satisfaits (dans les domaines de la résistance aux antimicrobiens et des maladies rares, par exemple) ;

  • soutenir la compétitivité, l'innovation et la durabilité de l'industrie pharmaceutique de l'UE et le développement de médicaments de qualité, sûrs, efficaces et plus respectueux de l'environnement ;

  • renforcer les mécanismes de préparation et de réaction aux crises, disposer de chaînes d'approvisionnement diversifiées et sûres et remédier aux pénuries de médicaments ;

  • faire entendre la voix de l'Union dans le monde, en promouvant des normes d'un niveau élevé de qualité, d'efficacité et de sécurité » (2).

Les défis à relever selon la Commission

« Les citoyens de l'UE veulent bénéficier d'un accès égal à des thérapies sûres, modernes et abordables. Les médicaments jouent un rôle important à cet égard, puisqu'ils offrent des options thérapeutiques en matière de diagnostic, de traitement et de prévention des maladies. Le secteur pharmaceutique européen apporte une contribution majeure à l'économie de l'UE en termes de création d'emplois hautement qualifiés et d'investissements dans l'innovation.

La numérisation et l'innovation dans l'utilisation des données réelles ouvrent de nouvelles possibilités en matière de mise au point et d'utilisation des médicaments. Toutefois, tous les patients dans l'UE ne profitent pas des thérapies innovantes au même rythme et il arrive que certains n'aient pas accès aux médicaments dont ils ont besoin en raison de pénuries. La pandémie sans précédent due au coronavirus démontre combien il est important de disposer d'un système résistant aux crises et de garantir la disponibilité des médicaments en toutes circonstances.

Parallèlement, la population européenne vieillit et l'UE est confrontée à une charge de morbidité croissante et à des menaces sanitaires émergentes telles que la Covid-19. En outre, les systèmes de santé et les patients éprouvent des difficultés à supporter le coût des médicaments. L'UE est aussi de plus en plus dépendante de pays hors UE pour importer des médicaments et leurs principes actifs, tandis que la résistance aux antimicrobiens et la viabilité environnementale des médicaments sont elles aussi sources de préoccupation.

La stratégie et ses objectifs décrits ci-dessus constituent un instrument politique qui vise à relever ces défis importants et à adapter le système pharmaceutique de l'UE dans les années à venir » (2).

Face à la nouvelle stratégie pharmaceutique, les propositions d'une alliance européenne d'associations de la société civile (2021)

L'Alliance européenne pour une recherche et développement (R&D) responsable et des médicaments abordables a publié en décembre 2021 des recommandations signées par Prescrire et douze associations européennes (4).

« Les organisations de la société civile estiment que les recommandations générales suivantes devraient guider une stratégie pharmaceutique européenne efficace et équilibrée.

1. Veiller à ce que l'accès et le caractère abordable de produits pharmaceutiques sûrs et efficaces soient pris en compte dans tous les aspects de la stratégie pharmaceutique de l'UE.

2. Assurer la transparence des coûts de R&D à toutes les étapes de la recherche. La stratégie devrait être alignée sur la résolution de l'Organisation mondiale de la santé de 2019 sur la transparence. Une obligation devrait être introduite au stade de l'autorisation de mise sur le marché pour que les entreprises divulguent leurs coûts de R&D et de fabrication, ainsi que les contributions de financement public reçues, et d'autres informations clés concernant les dossiers réglementaires contenant des données d'essais cliniques, des sources d'ingrédients pharmaceutiques actifs, le nombre et l'état des brevets et des demandes de brevet, et des informations sur leurs chaînes d'approvisionnement.

3. Supprimer les incitations qui entravent l'accès à des médicaments abordables et tenir compte des effets néfastes des incitations qui agissent comme des obstacles à l'utilisation des flexibilités pour garantir l'accès aux médicaments. Les incitations existantes et nouvelles ne devraient pas être un obstacle à l'utilisation des flexibilités de la propriété intellectuelle telles que les licences obligatoires (…). À la lumière des enseignements tirés de la pandémie de Covid-19, un mécanisme volontaire n'est pas suffisant et une disposition contraignante est nécessaire.

4. Ne pas ajouter de nouvelles incitations sans preuves claires et sans discussions transparentes et inclusives sur leurs avantages potentiels pour les patients et la société. Par exemple, de nouvelles incitations pour stimuler le développement de nouveaux antibiotiques par le biais de bons d'exclusivité transférables ne semblent pas être étayées par des preuves qu'elles pourraient répondre aux complexités et aux vulnérabilités du contexte de R&D pour les nouveaux antibiotiques. (…)

5. Supprimer les obstacles inutiles à la concurrence et lutter contre les abus du système et les pratiques déloyales. (…) Le droit et la politique de la concurrence devraient être activement utilisés pour corriger les abus du système et les pratiques déloyales, tandis que la concurrence des génériques devrait être encouragée pour les médicaments non brevetés pour les maladies rares. (…)

6. Apporter de la cohérence au système en alignant les politiques de R&D sur les politiques d'accès à des médicaments abordables. L'UE est un important bailleur de fonds public de la R&D au niveau mondial et européen, et un acheteur majeur de médicaments. Elle devrait donc chercher à aligner ses politiques de R&D sur ses ambitions de favoriser l'accès à des médicaments abordables. (…)

7. Envisager sérieusement de nouveaux modèles alternatifs d'organisation, de financement et d'incitation à la R&D pour les domaines où les besoins médicaux ne sont pas satisfaits. (…) Cela peut inclure la promotion de la recherche à un stade précoce par des institutions universitaires et publiques, des approches de développement à un stade ultérieur testées dans le domaine des maladies négligées, des garanties de marché à l'avance et des subventions pour les fabricants à but non lucratif.

8. Lorsque des fonds publics sont utilisés pour soutenir la R&D, des obligations ciblées sous la forme de conditionnalités et de transparence devraient être utilisées pour garantir le retour public sur l'investissement public. (…)

9. Le rôle des parties à but non lucratif telles que les universités et les instituts de recherche devrait être renforcé et soutenu pour couvrir les domaines médicaux à faible intérêt commercial. (…)

10. Prioriser et soutenir les besoins de la santé publique et des patients lors des changements apportés au cadre législatif actuel » (4).

En application de la stratégie pharmaceutique, projet de révision de la législation pharmaceutique européenne : les réponses de Prescrire aux consultations publiques (2021)

Dans le cadre de sa stratégie pharmaceutique pour l'Europe, la Commission européenne a soumis à consultation, en deux temps en 2021, son projet de révision de la législation pharmaceutique européenne, qui reprend les grandes lignes de sa stratégie (5,6).

Consultations publiques sur la feuille de route et sur la révision finalement proposée

Dans sa réponse à la consultation publique sur la feuille de route de la révision de la législation pharmaceutique générale, Prescrire a fait part en avril 2021 de ses réflexions :

  • le besoin fondamental de maintenir des normes élevées d'évaluation rigoureuse. Prescrire rappelle son exigence de preuves solides pour les autorisations de mise sur le marché (AMM), basées sur des essais cliniques comparatifs randomisés en double aveugle ;

  • les procédures d'évaluation accélérées sont légitimes lorsqu'il existe un réel besoin de santé non satisfait. Comme elles augmentent l'incertitude quant à la valeur clinique et à la sécurité des médicaments, les AMM accélérées ne doivent être utilisées qu'à titre exceptionnel, dans des situations graves sans traitement approprié, afin d'éviter une exposition inutile à des dommages évitables ;

  • les autorisations accélérées entraînent la collecte de preuves après l'AMM. Un non-respect des engagements et des exigences post-AMM ne doit pas être toléré ;

  • en ce qui concerne la sécurité d'approvisionnement, Prescrire souligne la nécessité de rappeler et de préciser les obligations légales des titulaires d'AMM, la nécessité d'un niveau de stock minimum, la diversification des chaînes d'approvisionnement, des sites de production alternatifs ainsi qu'une transparence sur les capacités et les sites de production (5).

En décembre 2021, dans sa réponse à la consultation sur la révision de la législation européenne, Prescrire a repris ses demandes exprimées sur la feuille de route de la Commission (7).

Révision de la législation sur les médicaments orphelins et pédiatriques

La stratégie pharmaceutique européenne comprend aussi une révision des règlements relatifs aux médicaments pédiatriques et aux médicaments orphelins (1). Prescrire a répondu aux consultations sur ces sujets.

La révision envisagée repose sur le constat que les incitations en place n'ont été efficaces ni pour stimuler les travaux de R&D dans les domaines de besoins médicaux non satisfaits, ni pour garantir l'accessibilité des médicaments dans tous les États membres.

Dans sa réponse en juillet 2021, Prescrire estime que le système d'incitations et de récompenses pour encourager la R&D sur des médicaments orphelins et pédiatriques doit être affiné afin de se concentrer sur des besoins médicaux non satisfaits pour lesquels il n'existe pas de traitement spécifique. Une option serait de lier les deux critères, la prévalence de la maladie (rareté) et le retour sur investissement (rentabilité) du produit.

Le système d'incitations et de récompenses devrait aussi inclure des obligations, notamment en matière de transparence sur le coût de R&D, d'accès aux données cliniques et de prix justes et raisonnables.

Pour les médicaments pédiatriques, Prescrire a souligné l'importance de développer des dosages et formulations adaptées aux besoins des enfants (8).

Nous publierons dans un prochain numéro des extraits d'un rapport réalisé pour le Parlement européen, élaboré dans le cadre des consultations autour de la stratégie pharmaceutique européenne et plaidant pour la mise en place d'une infrastructure européenne du médicament.

©Prescrire

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- Commission européenne "Produits pharmaceutiques - médicaments sûrs et abordables (nouvelle stratégie de l'UE)". Site ec.europa.eu consulté le 2 février 2022 : 2 pages.

2- Commission européenne "Une stratégie pharmaceutique pour l'Europe". Site ec.europa.eu consulté le 2 février 2022 : 4 pages.

3- Prescrire "Prescrire response to the pharmaceutical strategy roadmap" 7 July 2020 : 4 pages.

4- European Alliance for responsible R&D and affordable medicines "Getting incentives right in the new EU pharmaceutical strategy" 21 décembre 2021 : 14 pages.

5- Prescrire "Prescrire response to European Commission public consultation on the roadmap/inception impact assessment on the evaluation and revision of the general pharmaceutical legislation" 27 April 2021 : 5 pages.

6- Commission européenne "Union européenne de la santé : vers une réforme de la législation pharmaceutique de l'UE" Bruxelles 28 septembre 2021 : 2 pages.

7- Prescrire "Prescrire response to the open public consultation on the revision of the general pharmaceutical legislation" 15 December 2021 : 26 pages.

8- Prescrire "Final response - Open Public Consultation on the revision of EU rules on medicines for children and rare diseases" 12 July 2021 : 14 pages.

9- European Parliament Research Service "European pharmaceutical research and development. Could public infrastructure overcome market failure ?" December 2021 : 129 pages.