Essais cliniques : ceux de "non-infériorité" doivent rester une exception

Résumé

Mi-2024, Prescrire a mis en avant l'intérêt des patients dans sa réponse à la consultation de l'Agence européenne du médicament (EMA) sur les essais cliniques dits de non-infériorité.

Le texte ci-dessous rend compte de la participation de Prescrire à la consultation publique organisée par l'Agence européenne du médicament (EMA) sur le document intitulé "Concept paper for the development of a guideline on non-inferiority and equivalence comparisons in clinical trials" daté du 12 février 2024 (1).

Dans l'intérêt des patients, Prescrire a insisté dans sa réponse sur deux points fondamentaux pour la qualité et la sécurité des soins, que l'EMA devrait impérativement prendre en compte lors de la rédaction finale de ses lignes directrices (alias guidelines) à venir sur les essais cliniques dits de non-infériorité.

Les essais de "non-infériorité" ne sont pas conçus pour démontrer un progrès

Dans le domaine des soins, un essai de "non-infériorité" vise à démontrer qu'un traitement n'est pas nettement moins efficace ou nettement plus nocif qu'un autre traitement auquel il est comparé. Autrement dit, ce type d'essais n'a pas pour objectif de démontrer un progrès thérapeutique et sa conformité avec l'éthique a donc été questionnée (2à4).

Pourtant, parmi les nouveautés médicamenteuses, il est essentiel de cerner les médicaments qui apportent un réel progrès thérapeutique par rapport à ce qui est déjà disponible. Seuls les essais cliniques comparatifs randomisés conçus pour démontrer une supériorité peuvent attester un tel progrès, à condition que le niveau de preuves des résultats soit élevé. Dans le but d'améliorer la qualité et la sécurité des soins dans l'intérêt premier des patients, l'EMA devrait exiger que la règle soit l'évaluation des nouveaux médicaments par au moins deux essais randomisés conçus pour démontrer une éventuelle plus grande efficacité ou moindre toxicité versus traitement de référence, quand il existe.

Pour l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché (AMM), le recours à des essais de "non-infériorité" doit rester une exception, utilisée dans de rares circonstances clairement définies et limitées dans les futures lignes directrices. Ces essais devraient être réalisés uniquement versus traitement de référence, et uniquement pour montrer une "non-infériorité" en matière d'efficacité, à condition qu'il y ait par ailleurs suffisamment de données solides en faveur d'une moindre toxicité ou d'une plus grande praticité du médicament testé par rapport au traitement de référence, sans quoi aucun progrès ne peut être attendu.

Refuser les essais de "non-infériorité" versus placebo

Dans le document soumis à consultation par l'EMA, il est écrit que des essais de "non-infériorité" versus placebo sont parfois conçus « pour démontrer l'absence de nocivité du nouveau médicament » (1). Le recours à un tel essai dans cet objectif est inacceptable et doit être très clairement écarté.

En effet, un traitement pharmacologique, quel qu'il soit, a toujours des effets indésirables, même peu fréquents ou peu graves, ou se manifestant après une longue exposition, ou se manifestant à long terme (y compris après l'arrêt du médicament). Conclure à l'absence d'effets indésirables d'un médicament sur la base d'un essai versus placebo est une erreur conceptuelle. De plus, la pharmacovigilance est indispensable à la connaissance des effets indésirables d'un médicament (5). Selon Prescrire, les lignes directrices européennes portant sur la "non-infériorité" et l'équivalence des traitements comparés dans les essais cliniques doivent explicitement exclure les essais versus placebo, sans exception.

©Prescrire

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- EMA "Concept Paper for the Development of a Guideline on Non-Inferiority and Equivalence Comparisons in Clinical Trials" 12 février 2024 : 4 pages.

2- Prescrire Rédaction "Concepts et méthodes : lecture critique des essais de non-infériorité" Rev Prescrire 2006 ; 26 (271) : 249.

3- Prescrire Rédaction "Remue-méninges. Un chouïa moins ?" Rev Prescrire 2021 ; 41 (451) : 397-398.

4- Garattini S, Bertele' V "Non-inferiority trials are unethical because they disregard patients' interests" The Lancet 2007 ; 370 : 1875–1877.

5- Prescrire Rédaction "Évaluer les risques d'un traitement : prendre en compte les données cliniques, la pharmacologie et les particularités du patient" Rev Prescrire 2009 ; 29 (312) : 778-780.