Résumé
Un essai randomisé n'est pas toujours nécessaire pour établir un lien de causalité.
Certaines substances chimiques introduites par l'activité humaine dans l'environnement ont un effet néfaste pour la santé. Quel niveau de preuves faut-il atteindre avant d'agir pour limiter la nocivité de ces substances ? Pour vous exercer à réfléchir de manière critique à la notion de niveau de preuves, l'équipe Prescrire vous propose de lire des extraits du compte rendu d'une étude ayant alerté en 1977 sur les dangers d'un pesticide, le dibromochloropropane (DBCP), puis de répondre à une question. Suivent une proposition de réponse et des commentaires de la Rédaction.
Extraits du compte rendu d'une étude
« Nous avons enquêté sur l'infertilité observée parmi un groupe d'hommes travaillant dans une usine californienne de pesticides. (…) Il a été demandé à chacun des 39 employés de remplir un questionnaire sur ses antécédents médicaux (…). Des échantillons de sperme de tous les hommes non vasectomisés ont été obtenus (…). nous avons d'abord exclu de notre groupe initial 3 femmes, 11 hommes vasectomisés, et 3 hommes ayant entre 10 millions et 30 millions de spermatozoïdes. Restaient 11 hommes ayant indiscutablement un faible nombre de spermatozoïdes (inférieur ou égal à 1 million, groupe A) et 11 hommes ayant un nombre normal de spermatozoïdes (supérieur ou égal à 40 millions, groupe B). (…)
La relation entre la durée d'exposition aux produits chimiques (ancienneté dans l'entreprise) et le nombre de spermatozoïdes était frappante. Les employés ayant un nombre de spermatozoïdes inférieur ou égal à 1 million étaient tous exposés depuis au moins trois ans. Aucun employé ayant plus de 40 millions de spermatozoïdes n'avait été exposé plus de trois mois. (…) Les 3 hommes non inclus dans la comparaison qui avaient entre 10 millions et 30 millions de spermatozoïdes avaient une durée d'exposition comprise entre un et trois ans - une observation en faveur d'une relation directe entre la durée d'exposition et le degré d'oligospermie (…).
Il avait déjà été montré que le produit chimique, suspecté dans cette enquête d'être la cause de l'infertilité, est à l'origine d'une stérilité chez l'Animal (…). » (1).
Traduction©Prescrire
1- Whorton D et coll. "Infertility in male pesticide workers"Lancet 1977 ; 310 : 1259-1261.
Quel est le niveau de preuves habituellement apporté par ce type d'études pour établir un lien de causalité ?
Proposition de réponse et commentaires de la Rédaction
L'étude réalisée est une enquête épidémiologique rétrospective. Parmi la population formée par l'ensemble des employés de cette unité de production, les investigateurs ont isolé, d'une part, un groupe de travailleurs ayant une azoospermie ou une oligospermie sévère (inférieur ou égal à 1 million) et, d'autre part, un groupe de travailleurs ayant un nombre normal de spermatozoïdes (supérieur ou égal à 40 millions). L'ancienneté dans l'entreprise de ces deux groupes a été comparée pour vérifier l'hypothèse que les travailleurs ayant une oligo-azoospermie ont été exposés plus longtemps au DBCP que les travailleurs ayant un nombre normal de spermatozoïdes.
Ce type d'étude n'apporte habituellement qu'un faible niveau de preuves pour établir un lien de causalité, car les groupes comparés diffèrent par d'autres facteurs que celui étudié.
Dans certaines situations, il n'est pas besoin de faire d'essai randomisé pour établir la preuve d'un lien de causalité. C'est le cas lorsque l'on observe que 11 hommes sur les 25 non vasectomisés travaillant dans une unité de production ont des troubles de la fertilité, et qu'aucun homme ayant travaillé plus de 3 mois dans cette unité n'a un spermogramme normal. Il en a été de même pour démontrer l'efficacité de la pénicilline dans le traitement des méningites bactériennes ou l'efficacité du parachute : il n'a pas été nécessaire de faire d'essai randomisé.
Les éléments en faveur de la toxicité du DBCP étaient tellement probants qu'il a rapidement été interdit aux États-Unis d'Amérique et dans la plupart des pays occidentaux, dès 1977, l'année de cette publication.
Pour les gourmands retrouvez de plus larges extraits de ce document, d'autres questions, et les propositions de réponses et commentaires de la Rédaction à ces questions sur : formations.prescrire.org (Exercice N° 38 - Pas de preuves sans essai ?).