On parle d'interaction médicamenteuse quand l'administration simultanée de deux médicaments, ou plus, conduit à potentialiser ou à opposer les effets désirés ou indésirables d'au moins un de ces médicaments.
Certaines interactions médicamenteuses ont des conséquences cliniques graves. D'autres n'ont que des effets anodins.
En vue d'adopter des attitudes pratiques simples qui minimalisent le risque d'interactions délétères, quelques données de base méritent d'être connues.
Nous n'abordons pas ici, ni dans le reste de cet ouvrage, les associations qui renforcent l'effet positif global. Cet effet peut être renforcé par une interaction d'ordre pharmacocinétique. C'est par exemple ce qui est recherché lorsque l'on associe de faibles doses de ritonavir avec un autre inhibiteur de la protéase du HIV. Le ritonavir inhibe le métabolisme et augmente la biodisponibilité de la substance associée, d'où un effet antirétroviral accru. L'effet thérapeutique peut aussi être renforcé par une interaction d'ordre pharmacodynamique. C'est ce qui se passe quand on associe inhibiteur de la transcriptase inverse du HIV et inhibiteur de la protéase du HIV, le traitement visant à inhiber deux enzymes différentes du virus.
Deux mécanismes d'interaction
Les interactions médicamenteuses relèvent de deux mécanismes : l'un pharmacodynamique, l'autre pharmacocinétique.
Interaction pharmacodynamique : effets divergents ou additions d'effets convergents
Les interactions d'ordre pharmacodynamique sont plus ou moins communes aux substances d'un même groupe thérapeutique. Elles concernent des médicaments ayant des propriétés pharmacodynamiques ou des effets indésirables communs, complémentaires ou antagonistes vis-à-vis d'un même système physiologique.
Ces interactions sont relativement prévisibles en fonction des connaissances des principaux effets des médicaments. Il s'agit par exemple :
- de l'addition d'effets indésirables atropiniques ;
- de l'addition d'effets bradycardisants communs à de nombreux médicaments (antiarythmiques, bêtabloquants, digitaliques, inhibiteurs de la cholinestérase, etc.), majorant la possibilité de torsades de pointes quand il existe un autre facteur de risque, notamment une hypokaliémie ;
- de l'augmentation du risque hémorragique en cas de prise conjointe de plusieurs médicaments qui ont des actions différentes mais additives sur la coagulation ;
- de l'addition des effets indésirables musculaires des statines et des fibrates ;
- de l'antagonisme d'action des hypotenseurs et des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sur la pression artérielle ;
- etc.
Interaction pharmacocinétique : perturbation du devenir de certains médicaments
Les diverses étapes du devenir d'un médicament dans l'organisme d'un patient dépendent des capacités du patient d'absorption, de distribution, de métabolisme (hépatique et autre), d'élimination rénale, etc.
Ces capacités sont très variables d'une personne à l'autre, notamment selon l'équipement enzymatique et selon l'âge. Certains patients se trouvent ainsi plus exposés que d'autres.
Les interactions d'ordre pharmacocinétique dépendent des caractéristiques physicochimiques propres à chaque substance médicamenteuse. On ne peut pas les généraliser d'une substance à une autre à l'intérieur d'un même groupe pharmacothérapeutique.
Elles peuvent survenir à toutes les étapes du devenir du médicament dans l'organisme.
Absorption perturbée
Les interactions d'ordre pharmacocinétique concernant l'absorption conduisent parfois à une modification de la biodisponibilité d'un médicament, par modification soit de la vitesse d'absorption, soit de la quantité totale absorbée.
Certains médicaments influencent l'absorption d'autres médicaments. Certains causent la formation de complexes moins solubles (chélation du médicament) ; certains perturbent le transit ; les inhibiteurs de la glycoprotéine P augmentent l'absorption intestinale des substrats de ce transporteur ; les inhibiteurs des transporteurs d'anions organiques (OAT ou OATP) diminuent l'absorption intestinale des substrats de ces transporteurs, ce qui entraîne des conséquences cliniques surtout avec les substrats qui sont peu métabolisés dans l'organisme.
Distribution perturbée
Une substance médicamenteuse circule dans le sang sous deux formes : une forme liée aux protéines plasmatiques, inactive, et une forme libre, dissoute dans le plasma, seule active. Par compétition, certains médicaments peuvent déplacer d'autres médicaments de leur liaison aux protéines plasmatiques, augmentant ainsi la quantité de leur forme libre, et donc leur activité. Mais d'autres phénomènes (augmentation du métabolisme ou de l'élimination) compensent souvent l'effet du déplacement de la liaison protéique, qui d'autre part est atténué en cas de grand volume de distribution.
En pratique, les médicaments dont une modification de la liaison aux protéines plasmatiques a un effet clinique tangible sont très peu nombreux.
Métabolisme perturbé : inducteurs et inhibiteurs enzymatiques
Des interactions d'ordre pharmacocinétique peuvent intervenir entre médicaments métabolisés par les mêmes systèmes enzymatiques. En cas de compétition métabolique entre deux médicaments, il existe un risque d'accumulation de l'un ou des deux médicaments, avec apparition de signes de surdose.
Certains médicaments ou certaines substances sont "inhibiteurs enzymatiques". Ils freinent le métabolisme d'autres médicaments, ce qui entraîne une accumulation de ces médicaments et augmente le risque d'effets indésirables dose-dépendants.
Inversement, quand le médicament pharmacologiquement actif est un métabolite, les inhibiteurs freinent la formation de ce métabolite actif : l'efficacité diminue.
Les inhibiteurs enzymatiques sont souvent spécifiques d'une ou plusieurs enzymes ou isoenzymes, dont ils diminuent l'activité. En présence d'un inhibiteur enzymatique, un médicament suit parfois une ou des voie(s) de métabolisation jusque-là secondaire(s) ; on parle de voie(s) de compensation.
+ Lire la fiche P1 "Le cytochrome P450"
Certains médicaments sont inducteurs enzymatiques
Les inducteurs enzymatiques accélèrent le métabolisme d'autres médicaments, et diminuent de ce fait leurs effets. Mais quand le métabolite est la forme pharmacologiquement active du médicament, ou est toxique, les inducteurs augmentent les effets indésirables liés à la dose du médicament sensible à l'effet des inducteurs.
Le plus souvent, les inducteurs enzymatiques ne sont pas spécifiques d'une isoenzyme, mais activent de très nombreux systèmes enzymatiques de métabolisation des médicaments, de conjugaison et de transport.
+ Lire la fiche P2 "Les inducteurs enzymatiques"
Transports cellulaires perturbés
La glycoprotéine P est de plus en plus souvent impliquée dans le mécanisme d'interactions médicamenteuses. Cette glycoprotéine joue un rôle de "pompe", située dans les membranes cellulaires, qui expulse certains médicaments vers l'extérieur de la cellule et, en particulier, diminue leur absorption intestinale. Les "pompes" de ce type sont encore relativement mal connues.
+ Lire la fiche P5 "La glycoprotéine P"
Des systèmes de transport des anions ou des cations organiques (nommés en abrégé OAT, OATP, OCT) sont aussi impliqués dans des interactions médicamenteuses ; ils facilitent l'entrée du médicament dans la cellule : par exemple, au niveau intestinal, ils facilitent l'absorption ; au niveau rénal, ils facilitent l'élimination urinaire.
Ce mécanisme explique probablement certaines des interactions d'ordre pharmacocinétique observées, dont aucun mécanisme n'a été mis en évidence jusque-là.
Des interactions d'ordre pharmacocinétique peuvent intervenir lors des deux étapes de l'élimination rénale : la filtration glomérulaire, et surtout l'excrétion tubulaire active.
+ Lire la fiche P4 "Rein et médicaments"
Au niveau tubulaire rénal, des protéines de transport (OAT, OATP, OCT) favorisent l'excrétion du médicament dans la lumière tubulaire, permettant son élimination urinaire. Elles sont sources d'interactions médicamenteuses, notamment par compétition entre substrats.
+ Lire la fiche P6 "Des systèmes de transport d'anions ou de cations organiques"
Connaître les médicaments et les situations à risques d'effets indésirables par interactions
De nombreuses interactions potentielles sont décrites à partir d'études in vitro, mais seules quelques-unes d'entre elles comportent des conséquences cliniques tangibles, indésirables, établies par des observations de patients.
Retenir par cœur des listes alphabétiques d'interactions médicamenteuses, même réduites aux interactions médicamenteuses cliniquement significatives et classées selon le niveau de risque, est quasi impossible sans risque d'erreur, en particulier en situation de soins.
Il vaut mieux avoir l'esprit alerté dans les circonstances à risques accrus d'effets indésirables par interactions : face à une situation clinique à risques, lors de la prescription ou de la dispensation de médicaments à risques.
Des groupes pharmacothérapeutiques à risques d'effets indésirables par interactions
Dans certains groupes pharmacothérapeutiques, la plupart des substances exposent à des effets indésirables par interactions.
Ce sont notamment : les antiarythmiques, les anticoagulants, les antiépileptiques, les antirétroviraux, les antidépresseurs, les sulfamides hypoglycémiants, les bêtabloquants, les digitaliques, les sympathomimétiques, les vasoconstricteurs dérivés de l'ergot de seigle, les triptans, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les hypolipidémiants, les antifongiques azolés, les antituberculeux, les immunodépresseurs, etc.
Les risques spécifiques de certains médicaments isolés
À l'intérieur d'un groupe thérapeutique n'appartenant pas à la liste des groupes à risques, certaines substances peuvent exposer à un risque particulier d'effets indésirables par interactions.
Le médicament à risques, qu'on serait susceptible de prescrire, peut souvent être remplacé par un autre médicament, équivalent mais avec un risque moindre d'interactions. Par exemple, parmi les antibiotiques macrolides, le risque d'interactions d'ordre pharmacocinétique est moindre avec la spiramycine.
En pratique de dispensation, le pharmacien n'est pas à l'origine du choix de la substance à délivrer. Il a par contre intérêt à développer sa propre formation professionnelle et sa vigilance, ainsi que celles de toute son équipe, pour repérer les risques importants dans le but d'alerter le(s) prescripteur(s) et le patient (a).
Connaître les situations à risques
Au-delà des médicaments à risques qui caractérisent des situations cliniques exposant à des effets indésirables par interactions médicamenteuses (épilepsie, migraine, tuberculose, etc.), il existe des circonstances de prescription ou de dispensation au cours desquelles les risques augmentent.
Polymédicamentation
La polymédicamentation est la situation à risque la plus évidente : le risque d'interactions augmente de manière rapide avec le nombre de substances consommées.
Pour le soignant, la lutte contre la polymédicamentation passe par la hiérarchisation des objectifs thérapeutiques (en sachant qu'il est parfois illusoire, voire dangereux, de chercher à "tout traiter" en même temps), puis par une réévaluation régulière de la balance bénéfices-risques de la poursuite de chaque médicament de l'ordonnance. Lorsque l'objectif thérapeutique est atteint, et qu'il peut être maintenu sans l'aide du (ou des) médicament(s), il est inutile d'exposer plus longtemps le patient aux effets indésirables, y compris par interactions.
À l'officine, la lutte contre la polymédicamentation passe par l'information des patients en matière d'automédication, par un usage rationnel des médicaments dits de conseil, et par la vérification de l'ensemble des ordonnances en cours, émanant de différents prescripteurs pour un même patient.
Patients âgés
Les polypathologies fréquentes chez les patients âgés motivent souvent la prescription conjointe de plusieurs médicaments. Les principales étapes du devenir des médicaments dans l'organisme sont souvent modifiées en raison du vieillissement. Les patients âgés sont ainsi souvent atteints d'une insuffisance rénale patente ou latente, à évaluer, à surveiller régulièrement, et à prendre en compte (b).
La sensibilité aux effets indésirables des médicaments augmente souvent avec l'âge, notamment les effets indésirables neuropsychiques.
La moins grande souplesse des mécanismes physiologiques de compensation rend en outre plus graves les conséquences d'un effet indésirable considéré comme bénin chez des adultes jeunes : par exemple, chez les patients âgés, une "simple" hypotension orthostatique peut entraîner une chute, elle-même à l'origine d'une fracture.
Insuffisance rénale, insuffisance hépatique
Toutes les affections susceptibles de modifier les paramètres pharmacocinétiques des médicaments administrés augmentent les risques d'effets indésirables liés à des interactions médicamenteuses.
C'est le cas de l'insuffisance rénale et de l'insuffisance hépatique.
Gare aux "aides à la décision"
L'intérêt bien pensé des patients est que la prescription et la dispensation des médicaments à risques d'effets indésirables par interactions, et plus généralement la prescription et la dispensation des médicaments dans des situations à risques, soient peu fréquentes, et qu'elles s'accompagnent en tout cas d'une grande vigilance collective.
Se méfier des livres et des bases de données non à jour et inexactes
Les livres concernant les interactions médicamenteuses rédigés en français sont rares. Les bases de données informatisées fournies sous forme de logiciels ou accessibles par internet sont plus nombreuses. Leurs performances sont inégales.
Aucune procédure de validation avant diffusion de ces instruments n'est obligatoire. L'utilisateur est réduit à explorer, tester et choisir l'outil qui lui convient le mieux ; et à le tester régulièrement en matière de mise à jour.
L'entretien thérapeutique est indispensable
Éviter les effets indésirables par interactions médicamenteuses doit être l'une des préoccupations quand on constitue son propre répertoire de médicaments et lors de sa mise à jour régulière.
En limitant volontairement ses prescriptions à quelques dizaines de médicaments couvrant l'ensemble des troubles rencontrés dans l'exercice quotidien, il est possible de bien connaître ceux que l'on prescrit, ainsi que leurs risques d'interactions.
Le problème devient plus compliqué dès que les patients sont suivis simultanément par plusieurs médecins. Il l'est aussi pour les pharmaciens qui doivent connaître l'ensemble des médicaments qu'ils sont susceptibles d'être amenés à délivrer ou à conseiller.
L'entretien thérapeutique, par les prescripteurs et par les pharmaciens, est indispensable pour connaître l'ensemble des médicaments que les patients consomment, sur prescription médicale, sur conseil pharmaceutique ou en automédication.
Cet entretien avec le patient (ou parfois son entourage) permet aussi de repérer les situations cliniques, les médicaments et les groupes pharmacologiques à risques.
Réfléchir avant d'agir et agir sur mesure
Avant d'ajouter un nième médicament à une ordonnance, mieux vaut mettre en balance, avec le patient, les risques encourus et les bénéfices prévisibles, ainsi que les autres solutions possibles. Et dans ce cadre, "penser interactions" est une nécessité.
Ne pas ajouter trop vite, ne pas retirer trop vite
L'erreur la plus évidente est bien sûr de prescrire ou dispenser "sans le savoir", et sans surveillance, deux médicaments à risque d'interaction majeure.
Mais une autre erreur, parfois tout aussi néfaste, est le déséquilibre brutal d'un traitement polymédicamenteux jusque-là équilibré et satisfaisant, à la suite du retrait d'un médicament, sous le prétexte qu'il est retrouvé dans une liste de médicaments à risque d'interactions.
Peser à chaque fois le pour et le contre
La prévention des effets indésirables par interactions ne se résume pas non plus à ne prescrire et ne dispenser que des médicaments sans risque d'interaction connue, mais dont l'efficacité n'est pas démontrée. La prévention des conséquences cliniques négatives des interactions ne se réduit pas à des comportements du type "tout ou rien" traduisibles par une machine informatique.
Quelquefois, finalement assez rarement, il faut absolument éviter une association dont les dangers dépassent largement les bénéfices prévisibles.
Beaucoup plus souvent, le risque n'est pas majeur, mais comme « le jeu n'en vaut pas la chandelle », il vaut mieux éviter l'association.
Quelquefois, l'association est justifiable, à condition de la mettre en œuvre sous une surveillance rapprochée.
C'est pour cela que la gestion des risques des interactions médicamenteuses relève surtout de la réflexion des professionnels de santé, et de celle des patients concernés, qui ont tout intérêt à être informés et associés au processus, et que cette gestion relève peu de processus informatiques.
a- Dans le cas de médicaments impliqués dans de nombreuses interactions, un moyen simple et utile, en plus ou à la place des dispositifs informatiques, consiste à les repérer par une technique de rangement adaptée (du type pastille de couleur sur le rayon par exemple).
b- Pour adapter la posologie des médicaments, la formule CKD-EPI corrigée en prenant en compte la surface corporelle réelle des patients est une formule adaptée pour estimer le débit de filtration glomérulaire chez la plupart des patients. La formule de Cockcroft-Gault est en général plus adaptée pour calculer les doses de médicaments chez les patients âgés ou ayant une faible masse musculaire.
©Prescrire – janvier 2024
Une démarche pour éviter les effets indésirables par interactions médicamenteuses
On parle d'interaction médicamenteuse quand l'administration simultanée de deux médicaments, ou plus, conduit à potentialiser ou à opposer les effets désirés ou indésirables d'au moins un de ces médicaments.
Certaines interactions médicamenteuses ont des conséquences cliniques graves. D'autres n'ont que des effets anodins.
En vue d'adopter des attitudes pratiques simples qui minimalisent le risque d'interactions délétères, quelques données de base méritent d'être connues.
Nous n'abordons pas ici, ni dans le reste de cet ouvrage, les associations qui renforcent l'effet positif global. Cet effet peut être renforcé par une interaction d'ordre pharmacocinétique. C'est par exemple ce qui est recherché lorsque l'on associe de faibles doses de ritonavir avec un autre inhibiteur de la protéase du HIV. Le ritonavir inhibe le métabolisme et augmente la biodisponibilité de la substance associée, d'où un effet antirétroviral accru. L'effet thérapeutique peut aussi être renforcé par une interaction d'ordre pharmacodynamique. C'est ce qui se passe quand on associe inhibiteur de la transcriptase inverse du HIV et inhibiteur de la protéase du HIV, le traitement visant à inhiber deux enzymes différentes du virus.
Deux mécanismes d'interaction
Les interactions médicamenteuses relèvent de deux mécanismes : l'un pharmacodynamique, l'autre pharmacocinétique.
Interaction pharmacodynamique : effets divergents ou additions d'effets convergents
Les interactions d'ordre pharmacodynamique sont plus ou moins communes aux substances d'un même groupe thérapeutique. Elles concernent des médicaments ayant des propriétés pharmacodynamiques ou des effets indésirables communs, complémentaires ou antagonistes vis-à-vis d'un même système physiologique.
Ces interactions sont relativement prévisibles en fonction des connaissances des principaux effets des médicaments. Il s'agit par exemple :
- de l'addition d'effets indésirables atropiniques ;
- de l'addition d'effets bradycardisants communs à de nombreux médicaments (antiarythmiques, bêtabloquants, digitaliques, inhibiteurs de la cholinestérase, etc.), majorant la possibilité de torsades de pointes quand il existe un autre facteur de risque, notamment une hypokaliémie ;
- de l'augmentation du risque hémorragique en cas de prise conjointe de plusieurs médicaments qui ont des actions différentes mais additives sur la coagulation ;
- de l'addition des effets indésirables musculaires des statines et des fibrates ;
- de l'antagonisme d'action des hypotenseurs et des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sur la pression artérielle ;
- etc.
Interaction pharmacocinétique : perturbation du devenir de certains médicaments
Les diverses étapes du devenir d'un médicament dans l'organisme d'un patient dépendent des capacités du patient d'absorption, de distribution, de métabolisme (hépatique et autre), d'élimination rénale, etc.
Ces capacités sont très variables d'une personne à l'autre, notamment selon l'équipement enzymatique et selon l'âge. Certains patients se trouvent ainsi plus exposés que d'autres.
Les interactions d'ordre pharmacocinétique dépendent des caractéristiques physicochimiques propres à chaque substance médicamenteuse. On ne peut pas les généraliser d'une substance à une autre à l'intérieur d'un même groupe pharmacothérapeutique.
Elles peuvent survenir à toutes les étapes du devenir du médicament dans l'organisme.
Absorption perturbée
Les interactions d'ordre pharmacocinétique concernant l'absorption conduisent parfois à une modification de la biodisponibilité d'un médicament, par modification soit de la vitesse d'absorption, soit de la quantité totale absorbée.
Certains médicaments influencent l'absorption d'autres médicaments. Certains causent la formation de complexes moins solubles (chélation du médicament) ; certains perturbent le transit ; les inhibiteurs de la glycoprotéine P augmentent l'absorption intestinale des substrats de ce transporteur ; les inhibiteurs des transporteurs d'anions organiques (OAT ou OATP) diminuent l'absorption intestinale des substrats de ces transporteurs, ce qui entraîne des conséquences cliniques surtout avec les substrats qui sont peu métabolisés dans l'organisme.
Distribution perturbée
Une substance médicamenteuse circule dans le sang sous deux formes : une forme liée aux protéines plasmatiques, inactive, et une forme libre, dissoute dans le plasma, seule active. Par compétition, certains médicaments peuvent déplacer d'autres médicaments de leur liaison aux protéines plasmatiques, augmentant ainsi la quantité de leur forme libre, et donc leur activité. Mais d'autres phénomènes (augmentation du métabolisme ou de l'élimination) compensent souvent l'effet du déplacement de la liaison protéique, qui d'autre part est atténué en cas de grand volume de distribution.
En pratique, les médicaments dont une modification de la liaison aux protéines plasmatiques a un effet clinique tangible sont très peu nombreux.
Métabolisme perturbé : inducteurs et inhibiteurs enzymatiques
Des interactions d'ordre pharmacocinétique peuvent intervenir entre médicaments métabolisés par les mêmes systèmes enzymatiques. En cas de compétition métabolique entre deux médicaments, il existe un risque d'accumulation de l'un ou des deux médicaments, avec apparition de signes de surdose.
Certains médicaments ou certaines substances sont "inhibiteurs enzymatiques". Ils freinent le métabolisme d'autres médicaments, ce qui entraîne une accumulation de ces médicaments et augmente le risque d'effets indésirables dose-dépendants.
Inversement, quand le médicament pharmacologiquement actif est un métabolite, les inhibiteurs freinent la formation de ce métabolite actif : l'efficacité diminue.
Les inhibiteurs enzymatiques sont souvent spécifiques d'une ou plusieurs enzymes ou isoenzymes, dont ils diminuent l'activité. En présence d'un inhibiteur enzymatique, un médicament suit parfois une ou des voie(s) de métabolisation jusque-là secondaire(s) ; on parle de voie(s) de compensation.
+ Lire la fiche P1 "Le cytochrome P450"
Certains médicaments sont inducteurs enzymatiques
Les inducteurs enzymatiques accélèrent le métabolisme d'autres médicaments, et diminuent de ce fait leurs effets. Mais quand le métabolite est la forme pharmacologiquement active du médicament, ou est toxique, les inducteurs augmentent les effets indésirables liés à la dose du médicament sensible à l'effet des inducteurs.
Le plus souvent, les inducteurs enzymatiques ne sont pas spécifiques d'une isoenzyme, mais activent de très nombreux systèmes enzymatiques de métabolisation des médicaments, de conjugaison et de transport.
+ Lire la fiche P2 "Les inducteurs enzymatiques"
Transports cellulaires perturbés
La glycoprotéine P est de plus en plus souvent impliquée dans le mécanisme d'interactions médicamenteuses. Cette glycoprotéine joue un rôle de "pompe", située dans les membranes cellulaires, qui expulse certains médicaments vers l'extérieur de la cellule et, en particulier, diminue leur absorption intestinale. Les "pompes" de ce type sont encore relativement mal connues.
+ Lire la fiche P5 "La glycoprotéine P"
Des systèmes de transport des anions ou des cations organiques (nommés en abrégé OAT, OATP, OCT) sont aussi impliqués dans des interactions médicamenteuses ; ils facilitent l'entrée du médicament dans la cellule : par exemple, au niveau intestinal, ils facilitent l'absorption ; au niveau rénal, ils facilitent l'élimination urinaire.
Ce mécanisme explique probablement certaines des interactions d'ordre pharmacocinétique observées, dont aucun mécanisme n'a été mis en évidence jusque-là.
Des interactions d'ordre pharmacocinétique peuvent intervenir lors des deux étapes de l'élimination rénale : la filtration glomérulaire, et surtout l'excrétion tubulaire active.
+ Lire la fiche P4 "Rein et médicaments"
Au niveau tubulaire rénal, des protéines de transport (OAT, OATP, OCT) favorisent l'excrétion du médicament dans la lumière tubulaire, permettant son élimination urinaire. Elles sont sources d'interactions médicamenteuses, notamment par compétition entre substrats.
+ Lire la fiche P6 "Des systèmes de transport d'anions ou de cations organiques"
Connaître les médicaments et les situations à risques d'effets indésirables par interactions
De nombreuses interactions potentielles sont décrites à partir d'études in vitro, mais seules quelques-unes d'entre elles comportent des conséquences cliniques tangibles, indésirables, établies par des observations de patients.
Retenir par cœur des listes alphabétiques d'interactions médicamenteuses, même réduites aux interactions médicamenteuses cliniquement significatives et classées selon le niveau de risque, est quasi impossible sans risque d'erreur, en particulier en situation de soins.
Il vaut mieux avoir l'esprit alerté dans les circonstances à risques accrus d'effets indésirables par interactions : face à une situation clinique à risques, lors de la prescription ou de la dispensation de médicaments à risques.
Des groupes pharmacothérapeutiques à risques d'effets indésirables par interactions
Dans certains groupes pharmacothérapeutiques, la plupart des substances exposent à des effets indésirables par interactions.
Ce sont notamment : les antiarythmiques, les anticoagulants, les antiépileptiques, les antirétroviraux, les antidépresseurs, les sulfamides hypoglycémiants, les bêtabloquants, les digitaliques, les sympathomimétiques, les vasoconstricteurs dérivés de l'ergot de seigle, les triptans, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), les hypolipidémiants, les antifongiques azolés, les antituberculeux, les immunodépresseurs, etc.
Les risques spécifiques de certains médicaments isolés
À l'intérieur d'un groupe thérapeutique n'appartenant pas à la liste des groupes à risques, certaines substances peuvent exposer à un risque particulier d'effets indésirables par interactions.
Le médicament à risques, qu'on serait susceptible de prescrire, peut souvent être remplacé par un autre médicament, équivalent mais avec un risque moindre d'interactions. Par exemple, parmi les antibiotiques macrolides, le risque d'interactions d'ordre pharmacocinétique est moindre avec la spiramycine.
En pratique de dispensation, le pharmacien n'est pas à l'origine du choix de la substance à délivrer. Il a par contre intérêt à développer sa propre formation professionnelle et sa vigilance, ainsi que celles de toute son équipe, pour repérer les risques importants dans le but d'alerter le(s) prescripteur(s) et le patient (a).
Connaître les situations à risques
Au-delà des médicaments à risques qui caractérisent des situations cliniques exposant à des effets indésirables par interactions médicamenteuses (épilepsie, migraine, tuberculose, etc.), il existe des circonstances de prescription ou de dispensation au cours desquelles les risques augmentent.
Polymédicamentation
La polymédicamentation est la situation à risque la plus évidente : le risque d'interactions augmente de manière rapide avec le nombre de substances consommées.
Pour le soignant, la lutte contre la polymédicamentation passe par la hiérarchisation des objectifs thérapeutiques (en sachant qu'il est parfois illusoire, voire dangereux, de chercher à "tout traiter" en même temps), puis par une réévaluation régulière de la balance bénéfices-risques de la poursuite de chaque médicament de l'ordonnance. Lorsque l'objectif thérapeutique est atteint, et qu'il peut être maintenu sans l'aide du (ou des) médicament(s), il est inutile d'exposer plus longtemps le patient aux effets indésirables, y compris par interactions.
À l'officine, la lutte contre la polymédicamentation passe par l'information des patients en matière d'automédication, par un usage rationnel des médicaments dits de conseil, et par la vérification de l'ensemble des ordonnances en cours, émanant de différents prescripteurs pour un même patient.
Patients âgés
Les polypathologies fréquentes chez les patients âgés motivent souvent la prescription conjointe de plusieurs médicaments. Les principales étapes du devenir des médicaments dans l'organisme sont souvent modifiées en raison du vieillissement. Les patients âgés sont ainsi souvent atteints d'une insuffisance rénale patente ou latente, à évaluer, à surveiller régulièrement, et à prendre en compte (b).
La sensibilité aux effets indésirables des médicaments augmente souvent avec l'âge, notamment les effets indésirables neuropsychiques.
La moins grande souplesse des mécanismes physiologiques de compensation rend en outre plus graves les conséquences d'un effet indésirable considéré comme bénin chez des adultes jeunes : par exemple, chez les patients âgés, une "simple" hypotension orthostatique peut entraîner une chute, elle-même à l'origine d'une fracture.
Insuffisance rénale, insuffisance hépatique
Toutes les affections susceptibles de modifier les paramètres pharmacocinétiques des médicaments administrés augmentent les risques d'effets indésirables liés à des interactions médicamenteuses.
C'est le cas de l'insuffisance rénale et de l'insuffisance hépatique.
Gare aux "aides à la décision"
L'intérêt bien pensé des patients est que la prescription et la dispensation des médicaments à risques d'effets indésirables par interactions, et plus généralement la prescription et la dispensation des médicaments dans des situations à risques, soient peu fréquentes, et qu'elles s'accompagnent en tout cas d'une grande vigilance collective.
Se méfier des livres et des bases de données non à jour et inexactes
Les livres concernant les interactions médicamenteuses rédigés en français sont rares. Les bases de données informatisées fournies sous forme de logiciels ou accessibles par internet sont plus nombreuses. Leurs performances sont inégales.
Aucune procédure de validation avant diffusion de ces instruments n'est obligatoire. L'utilisateur est réduit à explorer, tester et choisir l'outil qui lui convient le mieux ; et à le tester régulièrement en matière de mise à jour.
L'entretien thérapeutique est indispensable
Éviter les effets indésirables par interactions médicamenteuses doit être l'une des préoccupations quand on constitue son propre répertoire de médicaments et lors de sa mise à jour régulière.
En limitant volontairement ses prescriptions à quelques dizaines de médicaments couvrant l'ensemble des troubles rencontrés dans l'exercice quotidien, il est possible de bien connaître ceux que l'on prescrit, ainsi que leurs risques d'interactions.
Le problème devient plus compliqué dès que les patients sont suivis simultanément par plusieurs médecins. Il l'est aussi pour les pharmaciens qui doivent connaître l'ensemble des médicaments qu'ils sont susceptibles d'être amenés à délivrer ou à conseiller.
L'entretien thérapeutique, par les prescripteurs et par les pharmaciens, est indispensable pour connaître l'ensemble des médicaments que les patients consomment, sur prescription médicale, sur conseil pharmaceutique ou en automédication.
Cet entretien avec le patient (ou parfois son entourage) permet aussi de repérer les situations cliniques, les médicaments et les groupes pharmacologiques à risques.
Réfléchir avant d'agir et agir sur mesure
Avant d'ajouter un nième médicament à une ordonnance, mieux vaut mettre en balance, avec le patient, les risques encourus et les bénéfices prévisibles, ainsi que les autres solutions possibles. Et dans ce cadre, "penser interactions" est une nécessité.
Ne pas ajouter trop vite, ne pas retirer trop vite
L'erreur la plus évidente est bien sûr de prescrire ou dispenser "sans le savoir", et sans surveillance, deux médicaments à risque d'interaction majeure.
Mais une autre erreur, parfois tout aussi néfaste, est le déséquilibre brutal d'un traitement polymédicamenteux jusque-là équilibré et satisfaisant, à la suite du retrait d'un médicament, sous le prétexte qu'il est retrouvé dans une liste de médicaments à risque d'interactions.
Peser à chaque fois le pour et le contre
La prévention des effets indésirables par interactions ne se résume pas non plus à ne prescrire et ne dispenser que des médicaments sans risque d'interaction connue, mais dont l'efficacité n'est pas démontrée. La prévention des conséquences cliniques négatives des interactions ne se réduit pas à des comportements du type "tout ou rien" traduisibles par une machine informatique.
Quelquefois, finalement assez rarement, il faut absolument éviter une association dont les dangers dépassent largement les bénéfices prévisibles.
Beaucoup plus souvent, le risque n'est pas majeur, mais comme « le jeu n'en vaut pas la chandelle », il vaut mieux éviter l'association.
Quelquefois, l'association est justifiable, à condition de la mettre en œuvre sous une surveillance rapprochée.
C'est pour cela que la gestion des risques des interactions médicamenteuses relève surtout de la réflexion des professionnels de santé, et de celle des patients concernés, qui ont tout intérêt à être informés et associés au processus, et que cette gestion relève peu de processus informatiques.
a- Dans le cas de médicaments impliqués dans de nombreuses interactions, un moyen simple et utile, en plus ou à la place des dispositifs informatiques, consiste à les repérer par une technique de rangement adaptée (du type pastille de couleur sur le rayon par exemple).
b- Pour adapter la posologie des médicaments, la formule CKD-EPI corrigée en prenant en compte la surface corporelle réelle des patients est une formule adaptée pour estimer le débit de filtration glomérulaire chez la plupart des patients. La formule de Cockcroft-Gault est en général plus adaptée pour calculer les doses de médicaments chez les patients âgés ou ayant une faible masse musculaire.
©Prescrire – janvier 2024