En médecine, pour toutes sortes de décisions, on se repose facilement sur les recommandations d'organismes d'évaluation, comme la Haute autorité de santé (HAS) française, ou de sociétés de spécialistes, dites savantes. Les "recos", comme on dit familièrement, sont faites pour ça : guider les praticiens, éviter les décisions incongrues voire aberrantes. C'est bien commode, et c'est rassurant, surtout quand elles s'appuient sur une documentation solide et récente, en tenant compte des niveaux de preuves des données, loin de l'influence des lobbys. On se dit plus ou moins confusément qu'en suivant les "recos", on ne risque guère de se tromper ; et que si le choix retenu s'avérait dommageable au patient, la responsabilité serait en bonne partie celle des auteurs des "recos".
On ressent particulièrement le besoin de "recos" pour choisir un traitement pour une femme enceinte. On ne veut pas de nouveau désastre comme ceux du thalidomide, du diéthylstilbestrol (DES) ou du valproate de sodium (Dépakine° ou autre), qui ravagent des vies entières de victimes et de leurs proches. Cependant, dans les notices et autres résumés des caractéristiques de la plupart des médicaments, les agences du médicament et les firmes pharmaceutiques constatent que les données concernant les femmes enceintes sont maigres, et laissent patientes et soignants démunis.
Pourtant il faut bien soigner les femmes enceintes malades !
Alors on s'attend à une grande prudence dans les "recos" les concernant. Avec des analyses approfondies des problèmes posés. Des comparaisons des données quant aux risques pour la mère et l'enfant. Des demandes d'études solides, en particulier de pharmacoépidémiologie, et à long terme. Et avec de l'aide pour partager les décisions avec chaque future mère, face aux incertitudes qui engagent aussi son enfant.
Parce que si le médicament s'avère plus toxique que prévu, quelle que soit la conclusion des batailles juridiques, ce ne seront pas les auteurs des "recos" qui prendront en charge au quotidien la détresse des victimes.
Les recommandations engagent surtout ceux qui les suivent. Mais rien n'oblige à les suivre, surtout quand elles sont infondées ou imprudentes, aux dépens des patients. Et parfois, le service à rendre aux patients, c'est de ne pas suivre une "reco". Par exemple, pour ce qui est en 2018 des "recos" françaises au sujet de la fosfomycine trométamol (Monuril° ou autre) pendant le premier trimestre de grossesse. Ces "recos" sont trop loin des données d'évaluation : lire aussi "Fosfomycine trométamol chez les femmes enceintes : beaucoup d'inconnues".