"Données en vie réelle" : intérêt à préciser

Les "données en vie réelle", générées à l'occasion des soins, sont souvent présentées comme un enjeu majeur pour la qualité des soins (a)(1). Elles sont utilisées pour le suivi des traitements. Depuis quelques années, elles sont même promues à l'appui de demandes d'autorisation de mise sur le marché (AMM) de médicaments. Début 2022, quel est leur intérêt dans ce contexte ?

Des études de qualité insuffisante

Une équipe internationale a étudié la qualité d'études en vie réelle et comparé leurs résultats à ceux d'essais cliniques randomisés portant sur les mêmes médicaments (2). Sur les 50 médicaments antitumoraux autorisés entre 2010 et 2015 par les agences européenne et étatsunienne du médicament (EMA et FDA) dans des tumeurs solides (pour un total de 57 indications), ces chercheurs ont recensé 293 études en vie réelle pour 45 indications (2). Seules 6 études étaient basées sur des registres nationaux du cancer ; 112 émanaient d'un seul centre de soins ; 242 étaient rétrospectives ; 103 portaient sur moins de 50 patients (2).

Selon le score dit de Newcastle Ottawa évaluant la qualité des études de cohorte, 230 études étaient de qualité médiocre (78 %) et 63 étaient de qualité moyenne (22 %). Les principales limites de ces études concernaient la sélection des patients, l'évaluation et le contrôle des facteurs de confusion, et la rigueur de l'évaluation des critères d'évaluation (2).

De grands écarts par rapport aux essais

Les chercheurs ont comparé les médianes de survie globale obtenues dans les études en vie réelle à celles issues de l'essai clinique principal sur lequel reposait chaque AMM. La comparaison a pu être faite entre 224 études et 37 essais cliniques, pour des médicaments évalués selon des protocoles thérapeutiques proches. Les différences observées étaient très variables, allant de -32 mois à +21 mois. 63 % des études en vie réelle concluaient à des gains de survie inférieurs à ceux des essais. Les études de moins bonne qualité montraient des survies plus longues que dans les essais correspondants (2).

Les auteurs ont conclu que les études en vie réelle sont de qualité insuffisante pour être utilisées à l'appui de décisions d'AMM ou de remboursement. Et que souvent les bénéfices observés dans les essais cliniques ne se retrouvent pas dans les études en vie réelle (2).

Selon l'EMA aussi, la valeur de preuve des études en vie réelle reste à préciser

Une équipe de l'EMA a recherché les études en vie réelle présentes dans les 158 dossiers de demande d'AMM déposés auprès de l'EMA en 2018 et 2019 (3). De telles études ont été retrouvées dans 63 dossiers, dont 20 en pré-AMM, parmi lesquels 25 % en tant qu'élément de preuve principal (3). Mais des cadres de l'EMA reconnaissent que la valeur de preuve des études en vie réelle reste à établir, et qu'ils y travaillent (4). Louable objectif, surtout quand ces études sont d'ores et déjà prises en compte par l'EMA elle-même en appui à certaines AMM.

©Prescrire

Notes

a- Les données dites en vie réelle peuvent être extraites des dossiers informatisés de patients, de registres, d'études observationnelles, d'objets connectés, d'internet, etc. Elles ont l'avantage de porter sur des patients non sélectionnés et sont utiles pour identifier des effets indésirables rares, documenter une efficacité à long terme, etc. Elles ont l'inconvénient de ne pas être randomisées, ce qui biaise largement les comparaisons entre groupes étudiés (réf. 1).

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- Bégaud B et coll. "Les données de vie réelle, un enjeu majeur pour la qualité des soins et la régulation du système de santé - L'exemple du médicament" Rapport au Ministre de la santé 2017 : 105 pages.

2- Boyle JM et coll. "Real-world outcomes associated whit new cancer medicines approved by the Food and Drug Administration and European Medicines Agency : a retrospective cohort study" Eur J Cancer 2021 ; 155 : 136-144.

3- Flynn R et coll. "Marketing authorization applications made to the European medicines agency in 2018-2019 : what was the contribution of real-world evidence ?" Clin Pharmacol Ther 2022 ; 111 (1) : 90-97.

4- Arlett P et coll. "Real-world evidence in EU medicines regulation : enabling use and establishing value" Clin Pharmacol Ther 2021 ; 111 (1) : 21-23.