L'Association américaine de psychiatrie (APA) élabore depuis 1952 les versions successives du DSM (de l'anglais diagnostic and statistical manual of mental disorders), qui vise à proposer une définition pour chaque trouble psychiatrique (1).
Des critiques récurrentes
Conçu à l'origine pour être un simple manuel de classification objective de symptômes psychiatriques, le DSM a progressivement été considéré comme la référence mondiale en psychiatrie (1). Plusieurs aspects de son élaboration ont toutefois été critiqués : le caractère arbitraire de la création ou de la suppression de certains troubles mentaux ; la multiplication des caractéristiques présentées comme des troubles mentaux, dont le nombre est passé de 180 dans la 2e version publiée en 1968 (DSM-II) à 350 dans la 4e version publiée en 1994 (DSM-IV) ; la mainmise des firmes pharmaceutiques sur son élaboration et sa diffusion, poussant à une médicamentation excessive de la santé mentale (2à6).
La présence de conflits d'intérêts chez des membres de l'APA en charge du DSM a été mise en évidence dès 2006 (DSM-IV), particulièrement dans les situations où des médicaments sont proposés (2). Une équipe d'universitaires étatsuniens a montré que la situation avait peu changé dans l'élaboration de la 5e version révisée (DSM-5-TR), publiée en 2022 (6).
Toujours beaucoup trop de liens d'intérêts
Les auteurs ont recherché dans la base de données étatsunienne Open Payments les liens d'intérêts des médecins étatsuniens membres des groupes de travail DSM de l'APA. Parmi ces 92 membres, environ 60 % avaient eu un lien d'intérêts avec au moins une firme au cours des 3 années précédant l'élaboration du DSM-5-TR : il s'agissait de 53 des 86 membres des groupes de travail, et de 2 membres décisionnaires sur 6 (soit un tiers) (6). Des résultats qui n'ont guère évolué depuis l'élaboration du DSM-5 publié en 2013, sauf pour les membres décisionnaires, qui étaient alors deux tiers à avoir des liens d'intérêts (2,6). Au total, les 92 médecins ont reçu des avantages à hauteur de 14 millions de dollars de 2016 à 2019, avant que ne débutent leurs travaux sur le DSM (6).
Comme dans les études précédentes, les liens d'intérêts concernaient davantage les situations dans lesquelles les firmes commercialisent des médicaments. Un tiers des liens retrouvés concernaient des financements pour des congrès ou des situations où les médecins étaient en situation de "leaders d'opinion" (6).
Une influence néfaste sur les soins en santé mentale
Les auteurs soulignent que de tels liens d'intérêts nuisent à la fiabilité d'élaboration de cet ouvrage, devenu une référence mondiale (2,6). Surtout, ils sont de nature à élargir la médicalisation et la médicamentation de l'existence en multipliant les situations psychiques incluses dans le DSM, et en élargissant les critères diagnostiques (6). Ils prennent l'exemple de l'hyperactivité avec déficit de l'attention, dont la modification des critères diagnostiques dans le DSM-5 a conduit à une pratique de surdiagnostic bien documentée (4,6).
Ce constat de l'influence persistante des firmes pharmaceutiques dans l'élaboration du DSM incite à rappeler à la prudence et à l'esprit critique les soignants qui s'y réfèrent.