Trop souvent, des substances chimiques dangereuses sont remplacées par d'autres dont la toxicité n'a pas été évaluée, ou pas assez, et qui s'avèrent à long terme autant voire plus nocives pour la santé ou l'environnement. Nombreux sont les exemples de ces « substitutions regrettables », notamment parmi les phtalates et les bisphénols (1).
DEHP : remplacé par d'autres phtalates peut-être encore plus toxiques
Les phtalates sont des additifs utilisés dans les matières plastiques (1,2). Le di(2-éthylhexyl)phtalate (alias DEHP), un perturbateur endocrinien toxique pour la reproduction, a été progressivement remplacé par d'autres phtalates estimés a priori moins nocifs. Une étude prospective étatsunienne chez environ 5 000 données couplées mère-enfant a montré que l'exposition prénatale à divers phtalates utilisés dans les emballages alimentaires en remplacement du DEHP est associée à une augmentation du risque de prématurité, qui pourrait être même plus élevé qu'avec le DEHP (2).
Bisphénol A : remplacé par d'autres bisphénols, qui sont aussi des perturbateurs endocriniens
Utilisé principalement pour la fabrication de plastiques (tel le polycarbonate), le bisphénol A est un perturbateur endocrinien qui a fait l'objet de plusieurs interdictions en France et en Europe (3). Il a été remplacé dans divers pays par d'autres bisphénols, notamment les bisphénols B, F et S qui se sont avérés être eux aussi des perturbateurs endocriniens (1,3).
En Europe, report sine die de la « grande détox »
Lorsque les industriels ont à rechercher une alternative à une substance dangereuse, parmi les diverses options possibles (technique de remplacement, conception de produit différente, etc.), le plus simple pour eux est souvent d'utiliser une substance chimiquement similaire (1à3).
Dans le cadre de sa stratégie "zéro pollution", la Commission européenne a publié en 2022 une feuille de route d'interdiction de certaines des substances chimiques les plus dangereuses (4,5). Une liste, destinée à être mise à jour, précise les groupes de substances à restreindre en priorité : composés perfluorés, retardateurs de flamme, bisphénols, PVC et ses additifs, etc. (5). Le processus prévoit une approche qui contribuerait à éviter des substitutions regrettables : l'évaluation et la réglementation par groupe de substances plutôt que par substance (2,4). Cette « grande détox » devrait conduire à l'éviction de milliers de substances d'ici 2030 (6).
Mais sous la pression des industriels de la chimie, la révision du règlement européen dit Reach sur les produits chimiques, nécessaire notamment pour mettre en œuvre cette stratégie, a été reportée sine die (7). La population restera donc exposée pendant longtemps encore à ces substances dangereuses.