Diverses agences d'évaluation ont fait du port des équipements de protection individuelle par les agriculteurs un élément-clé permettant d'autoriser la mise sur le marché de pesticides dont la toxicité est reconnue. Pourtant, plusieurs études relativisant l'efficacité de ces protections en conditions réelles s'accumulent (lire aussi "Pesticides agricoles : l'efficacité des équipements de protection individuelle largement surestimée "). Dans "Pesticides. Comment ignorer ce que l'on sait", le sociologue Jean-Noël Jouzel explore notamment ce paradoxe (1).
La production de données sur la toxicité des pesticides a été encadrée et formalisée dans les années 1970, aux États-Unis d'Amérique, pour limiter les controverses avec les firmes, les mouvements défendant les travailleurs migrants saisonniers, les associations environnementales et les acteurs de la santé publique. L'évaluation de la toxicité des pesticides avant mise sur le marché a été conçue à des fins de simplicité, de routine et de gain de temps : les effets d'un nouveau pesticide sont estimés par extrapolation des données disponibles pour des substances déjà existantes. L'absence d'expérimentation humaine explique que cette procédure ait été aussi acceptée par des mouvements défendant les travailleurs migrants aux États-Unis (1).
Cette approche se base surtout sur les résultats fournis par les firmes. Principalement nourrie d'études toxicologiques, elle laisse de côté des données produites en dehors des procédures d'autorisation, notamment des études épidémiologiques menées depuis le début des années 1980 aux États-Unis. Ces études et des mesures d'exposition en conditions réelles de travail ont montré un lien entre certaines maladies et une exposition professionnelle à des pesticides, et l'importance de l'absorption cutanée (1).
En France, un réseau de toxicovigilance en milieu agricole n'a été mis en place qu'à partir des années 1990, sans prendre en compte, selon l'auteur, tous les résultats déjà disponibles aux États-Unis. De plus, les études épidémiologiques sont souvent discréditées, au motif qu'elles ne permettent pas de déterminer la toxicité de chaque pesticide, du fait de la diversité des expositions des travailleurs agricoles. Dans les procédures d'autorisation, les mesures d'exposition aux pesticides en conditions réelles ne sont pas prises en compte dès lors que le port des équipements de protection individuelle n'est pas conforme aux préconisations des notices (1).