Certains médicaments en développement clinique plus ou moins avancé ne sont pas vite munis d'autorisation de mise sur le marché (AMM). Au motif d'éviter ces "échecs", l'Agence européenne du médicament (EMA) propose aux firmes des "conseils scientifiques" pour les aider à constituer leur demande d'AMM (1). Pourquoi le développeur d'un médicament à balance bénéfices-risques favorable documentée par des essais cliniques de qualité aurait-il besoin de conseils scientifiques de l'EMA pour obtenir une AMM ?
Des conseils secrets
On s'attend plutôt à ce qu'une agence publique fixe des exigences pour les essais cliniques, par exemple utiliser tel critère, telle méthode, comparer le médicament à tel traitement, etc. Par des recommandations écrites détaillées, publiques et transparentes, non par des conseils personnalisés confidentiels.
En 2015, Prescrire et le Collectif Europe et Médicament ont souligné le risque que ces conseils scientifiques personnels, secrets et parfois payants, font peser sur l'impartialité et la crédibilité de l'EMA (1). En 2017, le Médiateur européen souligne un manque de transparence de ces conseils scientifiques, et a publiquement demandé au directeur de l'EMA de répondre à une liste de questions sur l'existence de procédures pour limiter le risque de biais induit par ces pratiques (2).
Une prime à l'AMM
En 2016, 582 demandes de conseils scientifiques ont été adressées à l'EMA. Plus de la moitié des 81 AMM européennes (dont 27 nouvelles substances) ont été accordées après que les firmes ont bénéficié d'un conseil scientifique de l'EMA, concernant des essais cliniques, des études précliniques ou des éléments de qualité pharmaceutique (3).
Ces conseils sont très utilisés dans le cadre des AMM conditionnelles, c'est-à-dire des AMM délivrées précocement avec demande d'un complément d'évaluation après l'AMM. On note ainsi que sur les 30 AMM conditionnelles délivrées par l'EMA entre 2006 et 2016, 18 ont fait l'objet de conseils de l'Agence. 71 % des demandes d'AMM conditionnelle qui ont suivi les conseils scientifiques de l'EMA ont abouti à une AMM, contre 40 % de celles qui ne les ont pas suivis (4).
Une agence en situation d'être juge et partie
Ces chiffres peuvent s'interpréter de différentes façons. Du fait de l'opacité des procédures, ils soulèvent la question d'éventuels compromis et influences, dus à une trop grande proximité entre les personnels des firmes et ceux de l'EMA.
Le Médiateur européen s'en est inquiété et demande la transparence sur ces activités (2). À juste raison. La crédibilité de l'EMA dans son rôle de protection des patients est en jeu. L'opacité entretient la suspicion sur une autorité de santé qui protégerait en priorité les firmes, au lieu de la santé publique.