Désastre du Mediator° et diffusion de la notion de conflit d'intérêts en santéRésuméEn France, la médiatisation du désastre du Mediator° en 2010-2011 a fait découvrir au grand public les situations de conflits d'intérêts de nombreux experts de l'Agence française du médicament. Le ministre chargé de la Santé a alors proposé de réformer l'Agence et de légiférer sur la transparence des liens d'intérêts de ses experts.Dans la pratique, en 2020, certains professionnels de santé ne perçoivent toujours pas ou dénient que l'influence des firmes de produits de santé est un obstacle à la qualité de l'expertise et des soins. Motif d'espoir, des étudiants semblent eux beaucoup plus lucides.Deux chercheurs ont analysé d'un point de vue socio-historique la notion de conflit d'intérêts et sa place centrale dans le désastre du Mediator° (benfluorex), survenu après d'autres crises sanitaires en France (1).Une problématique prise en compte progressivement Des crises sanitaires telles que les scandales de l'hormone de croissance, du sang contaminé, de la vache folle, se sont succédées durant les décennies 1980 et 1990. Elles ont contribué en France à la création d'une Agence du médicament (loi du 4 janvier 1993 relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicament). Dans ce cadre, dès 1994, une déclaration sur l'honneur des liens d'intérêts a été instituée pour les membres permanents de l'Agence, ainsi que pour les membres des commissions et groupes de travail. Rendues publiques par une décision ministérielle, ces déclarations ont été publiées en annexe du rapport annuel obligatoire de l'Agence. Il y était fait état de nombreux liens d'intérêts de la plupart des experts siégeant dans les diverses commissions. L'Agence a justifié la présence de ces experts aux réunions « par l'impossibilité de se priver du concours des meilleurs experts en raison des relations qu'ils entretiennent avec l'industrie pharmaceutique » (2).La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (alias loi Kouchner) a renforcé le principe de la déclaration des liens d'intérêts directs et indirects, leur publication, leur mise à jour et a instauré la non-participation des experts en cas de conflit d'intérêts. Mais ces mesures ont été peu mises en pratique à l'Agence du médicament (1). La Directive européenne 2004/27/CE, imposant aussi cette transparence et l'« impartialité » des experts, entre autres, a été très lentement transposée en France (3).Médiatisation croissante C'est ce compromis risqué que le grand public a découvert progressivement en France à partir de la publication du livre d'Irène Frachon "Mediator° 150 mg, combien de morts ?" en juin 2010. Ce livre cite un compte rendu de la Commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) de l'Agence du médicament dans lequel est mentionnée la présence d'experts en situation de conflit d'intérêts avec la firme Servier (1).La notion de conflit d'intérêts a pris une ampleur sans précédent avec le désastre du Mediator°. La médiatisation s'est effectuée lors d'une tribune du député Gérard Bapt dans Le Monde en août 2010, intitulée "Mediator : Combien de morts ?". Il y dénonçait les dysfonctionnements de l'Agence du médicament, son traitement des conflits d'intérêts et l'influence des firmes pharmaceutiques (1).La médiatisation s'est amplifiée en janvier 2011 lors de la parution d'un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) expliquant les dysfonctionnements de l'Agence par une situation « structurelle et culturelle » de conflits d'intérêts (a). Le grand public a pu ainsi prendre connaissance de l'influence des firmes pharmaceutiques sur les prises de décisions de l'Agence, au détriment des patients et de la santé publique (1).La transparence sur les liens d'intérêts comme solution à la crise Dans le courant de l'année 2011, deux missions parlementaires menées par le Sénat et l'Assemblée nationale ont constaté que la législation sur les liens d'intérêts n'était ni appliquée ni opérante (1). Les parlementaires ont proposé la prévention et la gestion des conflits d'intérêts comme solutions à la crise de confiance du public à l'égard du médicament et des acteurs de santé. Le ministre chargé de la Santé a convoqué les Assises du médicament puis proposé une loi réformant l'Agence du médicament en assurant notamment la transparence sur les liens d'intérêts des experts et des membres des commissions, et de leurs séances de travail (b)(4).Des liens d'intérêts persistent en 2020 Pour autant, les professionnels de santé ont-ils pris conscience que les liens d'intérêts et les relations avec des firmes influencent l'expertise et les décisions de soins, portent atteinte à leur crédibilité, à la confiance des patients et à la qualité des soins ? Beaucoup de professionnels semblent ne pas se sentir concernés par les dispositions sur la transparence et la gestion des conflits d'intérêts (1,5). Beaucoup n'ont pas changé leurs pratiques et acceptent, voire revendiquent, des liens d'intérêts (c)(6,7).Des motifs d'espérer des progrès Cependant, des avancées tangibles existent. La base Transparence Santé, malgré ses limites, permet de connaître les montants des avantages versés et les conventions conclues par les firmes aux professionnels de santé notamment (8).Un collectif d'étudiants en médecine a publié en 2014 un livret destiné à sensibiliser les étudiants à l'influence des firmes et à la notion de conflit d'intérêts (8). Un syndicat d'étudiants en médecine, l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG), s'affranchit du financement des firmes pharmaceutiques pour l'organisation de son congrès annuel (10). Il n'y a pas de firme pharmaceutique parmi les partenaires de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) (11). L'Anemf a contribué à l'adoption par les conférences des doyens de médecine et d'odontologie d'une charte éthique et déontologique, et avec l'Isnar-IMG, elle suit son application dans le cadre du classement sur l'indépendance des facultés de médecine vis-à-vis des firmes, réalisé par le Formindep (12,13).Ces futurs professionnels de santé, engagés dans la lutte pour l'indépendance et contre les influences dans la formation initiale et dans les soins, montrent qu'il est possible de faire évoluer les pratiques et de rompre des liens d'intérêts.©PrescrireNotesa- Selon les auteurs de l'analyse socio-historique, le nombre d'articles consacrés au Mediator° dans la presse française a été de : 1 en septembre 2010 ; 17 en octobre 2010 ; 64 en novembre 2010 ; 56 en décembre 2010 ; 203 en janvier 2011 (réf. 1).b- Les Assises du médicament, ouvertes le 17 février 2011 par le ministre chargé de la Santé de l'époque, Xavier Bertrand, ont réuni majoritairement des représentants de firmes et de diverses institutions (réf. 14). Leur objectif était de « dégager les axes d'une réforme permettant de restaurer la confiance de la population dans le médicament, les dispositifs médicaux et les institutions chargées d'en garantir la sécurité » (réf. 15).c- Une étude a montré en France un lien entre le montant des avantages fournis par les firmes aux médecins généralistes et la qualité et le prix de leurs prescriptions. Nous reviendrons sur cette étude dans un prochain numéro (réf. 16).Extraits de la veille documentaire Prescrire1- Lellinger S et Bonah C "Benfluorex, intérêts et confinements : relecture du scandale du Mediator du point de vue des sciences humaines critiques" Laboratoire SAGE, UMR 7363, Université de Strasbourg : 22 pages.2-Prescrire Rédaction "Le point de vue de la Rédaction. Conflits d'intérêts à l'Agence du médicament" Rev Prescrire 1996 ; 16 (168) : 891.3-Prescrire Rédaction "Les agences du médicament annoncent leur volonté de transparence, mais on attend des faits" Rev Prescrire 2006 ; 26 (269) : 146.4- "Loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé" Journal Officiel du 30 décembre 2011 : 26 pages.5- Lellinger S "Innovation thérapeutique et accident médicamenteux. Socio-genèse du scandale du benfluorex (Mediator°) et conditions de reconnaissance d'une pathologie émergente : les valvulopathies médicamenteuses" Thèse de doctorat d'épistémologie et histoire des sciences et des techniques, Université de Strasbourg, Laboratoire SAGE, (UMR 7363), 2018 : 554 pages.6-Prescrire Rédaction "La firme Servier, un financeur de poids du monde médical" Rev Prescrire 2019 ; 39 (433) : 863.7-Prescrire Rédaction "BPCO : des pneumologues sous influence" Rev Prescrire 2019 ; 39 (426) : 292.8- Prescrire Rédaction "Liens d'intérêt : utilité des bases de données de type Transparence Santé" Rev Prescrire 2019 ; 39 (426) : 305.9- La Troupe du Rire "Pourquoi garder son indépendance face aux laboratoires pharmaceutiques ? Livret pour étudiants stressés, pressés comme des citrons, mais avides de comprendre" 2014 : 36 pages. Présenté dans : Rev Prescrire 2015 ; 35 (383) : 704.10- "Historique de l'ISNAR-IMG - ISNAR-IMG". Site www.isnar-img.com consulté le 11 septembre 2019 : 1 page.11- "Nos partenaires". Site www.anemf.org consulté le 9 septembre 2019 : 2 pages.12- Fuhrman J "La Conférence des doyens se dote d'une Charte sur l'éthique et la déontologie". Site www.anemf.org consulté le 11 septembre 2019 : 2 pages.13- Scheffer P et coll. "Conflict of interest policies at french medical schools : starting from the bottom" PLoS One 2016 ; 12 (1) : e0168258: 13 pages.14-Prescrire Rédaction "Politique du médicament en France : de bonnes mesures annoncées, à compléter, et surtout à faire appliquer" Rev Prescrire 2011 ; 31 (335) : 697-700.15- Couty E et Lesueur T "Rapport de synthèse des Assises du médicament" Ministère des Solidarités et de la Santé, 23 juin 2011 : 49 pages.16- Goupil B et coll. "Association between gifts from pharmaceutical companies to french general practitioners and their drug prescribing patterns in 2016 : retrospective study using the french transparency in healthcare and national health data system databases" BMJ 2019 ; 367 : I6015 : 9 pages.Les agences du médicament annoncent leur volonté de transparence, mais on attend les faitsLa firme Servier, un financeur de poids du monde médicalBPCO : des pneumologues sous influenceLiens d'intérêt : utilité des bases de données de type Transparence SantéLu pour vous - Pourquoi garder son indépendance face aux laboratoires pharmaceutiques ? Livret pour étudiants stressés, pressés comme des citrons, mais avides de comprendrePolitique du médicament en France : de bonnes mesures annoncées, à compléter, et surtout à faire appliquer
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