Depuis sa création en 2000, le dispositif d'accès aux soins des « étrangers en situation irrégulière », l'aide médicale de l'État (AME), n'a cessé de faire l'objet de restrictions ou de remises en cause au gré de la vie électorale française. Le débat politique sur son périmètre a été à nouveau ouvert fin 2019. C'est l'occasion de rappeler quelle réalité vivent ces personnes migrantes et exilées, avec ou "sans papiers", à partir de plusieurs enquêtes publiées par Santé publique France (1).
Violences vécues dans le pays d'origine, au cours du trajet et en France
Selon une enquête menée par le Samusocial de Paris auprès de plus de 3 000 personnes arrivées en France pour la première fois entre 2015 et mi-2018, 81 % des hommes et 75 % des femmes avaient vécu des violences : guerre, torture, maltraitance, viol, travail forcé, etc. Les signes de souffrance psychique étaient corrélés aux violences vécues (2).
Le Comité pour la santé des exilés (Comede) a recensé les violences chez près de 6 000 personnes qui ont fréquenté son centre de santé entre 2012 et 2017 (3). Des antécédents de violence ont été retrouvés chez 60 % des femmes et 63 % des hommes, dont des actes de torture (9 % des femmes et 18 % des hommes) et des violences de genre (30 % des femmes et 4% des hommes), dont des viols. La majorité des victimes de violence souffraient de troubles psychiques graves (3).
En Île-de-France, parmi 469 femmes migrantes "mises à l'abri" à l'hôtel en 2017, 75 % ont déclaré avoir été exposées à une forme de violence assez grave ou très grave au cours de leur vie. Parmi elles, 44 % ont déclaré y avoir été exposées dans leur pays d'origine, 16 % au cours du trajet et 46 % en France (4).
Une violence de plus : le refus de soins
L'enquête Enfams (Enfants et familles sans logement), réalisée en 2013 par l'Observatoire du Samusocial de Paris, a été menée auprès d'un échantillon de 801 familles sans domicile séjournant dans divers types d'hébergements d'urgence en Île-de-France (5). Selon une analyse publiée en 2019, parmi les 554 femmes bénéficiaires de l'AME (40 %) ou d'une assurance santé complémentaire pour les personnes à faibles ressources (alors dénommée CMU) (60 %) ayant répondu, un peu plus d'une femme sur cinq a rapporté un refus de soins du fait de la nature de son assurance santé. Les refus de soins étaient significativement plus nombreux chez les femmes nées à l'étranger, en situation administrative irrégulière, et disposant de l'AME. Comparées aux autres personnes, ces femmes avaient aussi été moins bien reçues par des membres du personnel médical (5).
Vivre en France ne met pas un terme aux souffrances des personnes migrantes, ni à leur insécurité. La remise en cause de l'accès aux soins de ces personnes, avec ses arrière-pensées, ses préjugés, et ses désinformations, est une violence de plus qui leur est infligée.