Des consultants à tout faire

Le choix de confier au cabinet de conseil McKinsey l'élaboration de la campagne de vaccination contre le covid-19 en France a beaucoup surpris (1). Pourtant la sous-traitance d'activités d'intérêt public à des consultants privés est fréquente et ancienne (2).

Une efficacité contestée dans les hôpitaux

Les cabinets de conseil (McKinsey, Boston Consulting Group, Accenture, Capgemini, parmi les plus connus) ont été chargés par des gouvernements successifs d'un rôle important dans le système hospitalier français. Ils en ont inspiré des réformes et sont consultants dans la gestion de nombreux hôpitaux (2à5).

La Cour des comptes a cependant estimé que cette sous-traitance est décevante : nombre de rapports de mission « se contentent de copier des informations connues » ; « les études financières sont peu approfondies et leurs appréciations parfois erronées » ; « en matière de conseil stratégique, la qualité des travaux est souvent faible, les préconisations très générales » (2). Et cette sous-traitance affaiblit les établissements en appauvrissant leurs compétences internes (2).

Une efficacité remarquée dans le commerce pharmaceutique

Le cœur de métier des cabinets de conseil consiste à aider leurs clients du secteur privé à maximiser leurs profits. Dans le domaine pharmaceutique, le cabinet McKinsey se présente comme ayant « contribué au développement de huit des dix principales marques de médicament sur prescription et à la conduite de huit des dix plus grosses opérations de fusion-acquisition du secteur » (6).

Autre "exploit", comme cela a été révélé à l'occasion de procès aux États-Unis d'Amérique, McKinsey a été un instigateur du marketing des producteurs de médicaments opioïdes, dont la firme Purdue et son Oxycontin° (oxycodone) (7). L'épidémie d'overdoses aux opioïdes de prescription a tué environ 250 000 personnes dans ce pays entre 1999 et 2019 (8). Les juges reprochent notamment à McKinsey d'avoir conseillé de développer les ventes des opioïdes les plus dosés ; d'avoir œuvré à empêcher l'Agence étatsunienne des médicaments (FDA) de lutter contre ces hautes doses ; d'avoir suggéré de promouvoir les opioïdes comme rendant les patients plus optimistes et moins stressés ; ou encore d'avoir proposé des stratégies pour neutraliser l'émotion du grand public à la vue de familles ayant perdu un adolescent d'une overdose (7).

McKinsey a minimisé ces accusations, mais a quand même accepté de payer près de 600 millions de dollars pour arrêter les poursuites (7).

Disparition des "serviteurs de l'État" ?

Quel rôle a joué McKinsey dans la campagne de vaccination contre le covid-19 en France, pour quelle efficacité ? Avait-on besoin de donner à un tel acteur une responsabilité en santé publique, plutôt qu'à des personnes qui ont à cœur l'intérêt du service public et de la société ?

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Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- Braun E et Momtaz R "Use of consultancies for vaccines rollout sparks controversy in France" 6 janvier 2021. Site www.politico.eu consulté le 9 mars 2021 : 5 pages.

2- Cour des comptes "Le recours aux marchés publics de consultants par les établissements publics de santé" 23 avril 2018 : 7 pages.

3- Petitjean O "Covid-19 : ces consultants au cœur de la "défaillance organisée de l'État"" 5 juin 2020. Site www.bastamag.net consulté le 9 mars 2021 : 5 pages.

4- Polle B "Enquête - Hôpitaux publics et consultants privés : quinze ans de mariage dans la douleur" 28 août 2019. Site www.consultor.fr consulté le 9 mars 2021 : 4 pages.

5- Pierru F "Le mandarin, le gestionnaire et le consultant" Actes Rech Sci Soc 2012 ; (194) : 32-51.

6- "Industrie pharmaceutique et dispositifs médicaux". Site www.mckinsey.com consulté le 9 mars 2021 : 2 pages.

7- Dyer O "McKinsey agrees to pay $574m to US States to settle opioid claims" BMJ 2021 ; 372:n360 : 1 page.

8- "Opioid overdose" 6 janvier 2021. Site internet cdc.gov/drugoverdose consulté le 29 avril 2021 : 1 page.