L'hôpital va mal en France, et cela fait des années que la crise est annoncée, puis vécue au quotidien, sans que les mesures prises semblent à la hauteur des enjeux.
Des alertes trop longtemps ignorées
Le livre "Les fossoyeurs" a réveillé début 2022 la société française sur la situation des résidents dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), notamment les plus luxueux gérés par le secteur privé (lire aussi "Editorial. Pavés (dans la mare)" et "morphine en comprimés orodispersibles (Actiskenan°)" (1). L'ouvrage "La casse du siècle" n'était pas parvenu en 2019 au même résultat pour les hôpitaux (2). Ni "Urgences : hôpital en danger" (lire aussi "Urgences. Hôpital en danger") (3). Pourtant, la dégradation de la situation y est décrite en détail, avec des risques de plus en plus importants de baisse de qualité des soins par insuffisance de personnel soignant stable, qualifié, reconnu (3).
La Haute autorité de santé (HAS) est sortie de sa réserve dans une lettre ouverte pour exprimer ses inquiétudes quant à la dégradation de l'accès à des soins de qualité en France : un signal fort et inhabituel pour une agence officielle (4).
Le sombre constat de la HAS
La lettre de la HAS comporte de nombreux diagnostics et propositions concernant tous les acteurs de santé, qu'ils exercent en ville, à l'hôpital, ou dans le secteur médicosocial. Pour ce qui concerne l'hôpital : « Le premier enjeu concerne les ressources humaines ». « Dans les établissements, ces pénuries [de personnel] compromettent inévitablement la qualité des soins et des accompagnements ». « Le temps d'accès aux soins urgents est parfois trop long, conduisant à des pertes de chances pour les patients ». « La ressource humaine est une composante essentielle des soins et des accompagnements et le restera, même si les technologies sont amenées à jouer un rôle croissant dans le système de santé. Les rémunérations et plans de carrière doivent permettre d'attirer et de retenir un personnel qualifié et motivé, essentiellement dans le public ». « Dans les établissements hospitaliers, des recommandations d'encadrement pourraient être formulées pour bon nombre de services dépourvus de normes, ainsi que des indicateurs de stabilité des équipes soignantes, pour inciter à ne recourir qu'exceptionnellement à la polyvalence ou aux intérimaires » (4).
Nécessaires reconnaissance et investissement publics
Les effets de la dégradation des conditions de travail des soignants sur la qualité des soins en France sont de plus en plus visibles. Au plus fort de la crise du covid-19, les hôpitaux ont tenu bon grâce à la motivation et à la conscience professionnelle et éthique des soignants, au prix d'un burn-out systémique (5). Mais pour combien de temps encore ?
Il est temps que collectivement, les responsables politiques et tout un chacun reconnaissent que le système de soins nécessite davantage d'investissement public, que la solution miracle n'est pas dans le développement du secteur privé à but lucratif, ni dans un management inspiré de l'industrie, ni dans la télémédecine ou autres technologies.
Le Ségur de la santé, en 2020, a prévu notamment de réinjecter quelques milliards d'euros dans les hôpitaux et des revalorisations salariales. La HAS incite à poursuivre ces efforts. Signe qu'elle aussi doute que cela soit suffisant pour redresser le système de santé.