L'agalsidase ne concerne que quelques dizaines de patients en France,
mais les enseignements à tirer de son histoire valent pour
tous les patients et les soignants.
Sous-traitance de la recherche clinique
L'agalsidase est destinée au traitement substitutif au long
cours de la maladie de Fabry, une maladie due à un déficit
enzymatique qui touche environ 1 homme sur 50 000. Actuellement,
les pouvoirs publics sous-traitent aux firmes l'essentiel de la
recherche clinique en thérapeutique. Pour les intéresser
aux maladies rares, qui constituent un marché a priori peu
rentable du fait du petit nombre de malades concernés, la
réglementation européenne prévoit depuis quelques
années un statut particulier de "médicament orphelin"
destiné à ce type d'affections. Ce statut dispense
les firmes de divers frais avant d'obtenir une autorisation de mise
sur le marché (AMM), et leur permet de gagner dès
lors de l'argent par la vente du médicament. Une réglementation
similaire existe aux États-Unis d'Amérique depuis
1983.
Dans le cas de la maladie de Fabry, deux firmes ont été
attirées, au point d'entrer en concurrence frontale, chacune
développant en parallèle sa spécialité
pharmaceutique. Cette concurrence, mal encadrée, a causé
de nombreux dégâts.
Confusion autour de la dénomination
commune internationale
Dans les deux cas, la substance commercialisée est l'enzyme
humaine qui manque aux malades, produite par biotechniques. Les
assertions d'originalité revendiquées par chaque firme
ont conduit à la création de deux dénominations
communes internationales (DCI), agalsidase alfa et agalsidase bêta.
À la mi-2003, il est certes acquis que le mode de production
est différent, mais que des points de vue biochimique et
effet thérapeutique, les deux substances dénommées
"agalsidase" sont interchangeables. Il ne devrait exister
qu'une seule DCI.
Mépris des vrais besoins des patients
La rareté de la maladie limite fortement le nombre de personnes
susceptibles d'être incluses dans des essais comparatifs,
et doit particulièrement stimuler l'ingéniosité
des chercheurs pour mettre au point des protocoles intelligents
et pertinents. Mais la concurrence non encadrée entre les
firmes les a poussées à des essais évaluant
des posologies différentes sur des critères différents.
Le morcellement des connaissances peu ou pas comparables ajoute
à la confusion pour les patients et les soignants.
Opacité et légèreté
inadmissibles de l'Agence européenne du médicament
L'une des deux firmes a présenté un dossier faisant
état de résultats cliniques : réduction des
douleurs, préservation de la fonction rénale, au terme
d'un essai versus placebo. L'Agence européenne a entériné
ces résultats et les a rapportés sans contestation
ni analyse détaillée des données dans le rapport
d'évaluation qu'elle diffuse en annexe de chaque avis favorable
à l'octroi d'une AMM européenne par procédure
centralisée. Le médicament concurrent a reçu
une AMM quasi simultanément, et tous deux ont été
vendus à prix d'or (selon les prix catalogues, près
de 200 000 euros par an et par patient).
La revue Prescrire a publié sa synthèse sur la question,
à partir du rapport de l'Agence européenne, des publications
de la presse biomédicale, et des documents fournis par les
firmes. Plusieurs mois plus tard, l'Agence américaine du
médicament a rendu publique son analyse de ce dossier. À
l'inspection des données de chaque patient inclus dans l'essai,
les données concernant la douleur se sont révélées
mal recueillies, au point de les rendre non probantes. Le fait que
les résultats de l'essai apparaissent favorables en ce qui
concerne la fonction rénale s'est révélé
tenir à une donnée, apparue au moment précis
de la date d'évaluation prévue au protocole, donnée
aberrante et discordante par rapport aux données recueillies
jusque-là. Au point que les résultats en question
ne peuvent pas être tenus pour fiables.
Ceux qui, comme la Rédaction de la revue Prescrire, privilégient
les résultats cliniques par rapport aux résultats
sur des critères intermédiaires, notamment biologiques,
avaient été trompés dans leurs analyses et
leurs choix thérapeutiques.
Enseignements à tirer
Tous les acteurs du système de santé ont matière
à réflexion dans cette affaire.
Patients et soignants ont intérêt à exiger la
transparence maximale de la part des agences du médicament.
Ils ont intérêt aussi à ne pas se précipiter
pour examiner le dossier d'un nouveau médicament, ne pas
se contenter des données publiées par la presse biomédicale,
ni des données fournies par les firmes, et savoir réviser
leur jugement et leurs choix quand les données évoluent.
Les autorités sanitaires, si elles persistent à vouloir
sous-traiter la recherche clinique aux industriels, ont intérêt
à encadrer sérieusement les activités des firmes,
y compris la concurrence qui s'ensuit. Faute de quoi les économies
réalisées en dépenses de recherche sont dilapidées
en dépenses de prise en charge de traitements mal évalués
et mal adaptés. Cet encadrement passe par des agences du
médicament solides, ayant les moyens financiers et humains
de leur indépendance, les moyens et le temps d'un travail
au fond, et fonctionnant sans perdre de vue qu'elles doivent rendre
des comptes aux citoyens, avant tout.
Les firmes ont intérêt à jouer le jeu de la
qualité et du professionnalisme, si elles veulent disposer
d'un minimum de crédibilité chez les patients et les
soignants.
©La revue Prescrire 1er juillet 2003
Rev Prescr 2003 ; 23 (241) : 499.
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