Lévothyroxine : des troubles prévisibles causés par un changement de formulation

Résumé

Suite à un changement de formulation des comprimés de Lévothyrox° en France en mars 2017, des milliers de patients traités par cette spécialité ont signalé l'apparition de divers troubles.

Les études de pharmacocinétique et de qualité pharmaceutique, et les précédentes situations de remplacement d'une spécialité à base de lévothyroxine par une autre, montrent les faiblesses de l'ancienne formulation, les avantages de la nouvelle, et le fait qu'il était prévisible que certains patients soient affectés pendant plusieurs semaines ou mois par le passage de l'une à l'autre.

Les premiers résultats de l'enquête de pharmacovigilance portant sur plus de 5 000 cas notifiés dans la base de données française de pharmacovigilance entre fin mars et mi-septembre 2017, ne montrent pas de nouveau signal particulier avec la nouvelle formulation Lévothyrox°.

La lévothyroxine (Lévothyrox° ou autre) est une hormone thyroïdienne utilisée chez des patients atteints d'hypothyroïdie ou quand il est utile de freiner la sécrétion de TSH (thyroid-stimulating hormone) par l'hypophyse (1,2).

Suite à un changement de formulation des comprimés de Lévothyrox° en France en mars 2017, des milliers de patients ont signalé souffrir de divers troubles qui leur ont paru en lien avec la prise de la nouvelle spécialité (3,4). Ce changement avait été demandé par l'Agence française du médicament (ANSM) en 2012, pour réduire les fluctuations de la teneur en lévothyroxine dans les comprimés, au fil du temps et d'un lot de fabrication à un autre (3,4).

Quels sont les principaux facteurs pharmacologiques qui ont contribué à cette vague de notifications d'effets indésirables par les patients ?

Peu d'écart entre dose optimale et surdose ou sous-dose

La marge thérapeutique de la lévothyroxine est étroite, ce qui rend nécessaire un ajustement individuel précis de la posologie, parfois par paliers de 12,5 microg, avec une surveillance attentive des signes cliniques et du dosage de la TSH plasmatique (1). Sauf atteinte de l'hypophyse, la TSH plasmatique s'élève quand la dose de lévothyroxine est trop faible, et elle baisse quand la dose est trop forte.

Par ailleurs la demi-vie d'élimination de la lévothyroxine est d'environ 6 jours à 7 jours. Lors d'un changement de posologie, un nouvel équilibre s'installe dans un délai d'environ 5 demi-vies d'élimination (5). Il est conseillé de doser la TSH après environ 6 à 12 semaines de prise à posologie stable de lévothyroxine (5).

Une sous-dose de lévothyroxine se manifeste par des symptômes d'hypothyroïdie : fatigue, sensibilité au froid, constipation, prise de poids, sécheresse de la peau, humeur dépressive, douleurs musculaires ou articulaires, etc. Une surdose se manifeste par des symptômes d'hyperthyroïdie : palpitations, tremblements, troubles du sommeil, anxiété, irritabilité, intolérance à la chaleur et transpiration abondante, faiblesse musculaire, etc. (5).

La TSH plasmatique est parfois élevée en l'absence d'hypothyroïdie : convalescence d'une affection grave, présence d'anticorps faussant le dosage tels que le facteur rhumatoïde, etc. (5).

Un problème ancien

Les fluctuations de la teneur en lévothyroxine des médicaments sont connues depuis des décennies (6). Ainsi, en 2006, l'Agence étatsunienne des médicaments (Food and Drug Administration, FDA) a constaté que, selon les spécialités, les lots et le délai écoulé depuis leur fabrication, la teneur en lévothyroxine variait d'environ +  5 % à – 13 % par rapport au dosage théorique, alors même que la date de péremption n'était pas atteinte (6). Une diminution de 10 % de la teneur en lévothyroxine de comprimés dosés à 150 microg correspond à une baisse de 15 microg des doses quotidiennes (1,6). Dans ces conditions, un patient qui passerait par exemple de comprimés dosés à 150 microg mais en contenant en réalité 132 microg (– 12 %), à des comprimés dosés à 150 microg mais en contenant en réalité 156 microg (+ 4 %), croirait prendre une quantité stable de lévothyroxine, alors qu'en réalité l'apport aurait augmenté de 24 microg par comprimé.

Il a souvent été observé que remplacer une spécialité à base de lévothyroxine par une autre expose à des déséquilibres : en France en 2010, en Nouvelle-Zélande en 2008, au Danemark en 2009, etc. (1,7,8,9).

Une bioéquivalence, mais une variabilité selon les personnes

En 2012, l'ANSM a demandé que les variations de teneur en lévothyroxine entre comprimés soient limitées à plus ou moins 5 % de la valeur théorique, jusqu'à la date de péremption, au lieu de plus ou moins 10 % (10). Lors de l'arrivée en mars 2017 sur le marché français de la nouvelle formulation de Lévothyrox° correspondant à cette demande, l'ANSM a affirmé la bioéquivalence entre les anciens et les nouveaux comprimés sur la base de deux études de pharmacocinétique (10).

L'une a été effectuée à partir de prises uniques de 600 microg de lévothyroxine par environ 200 "volontaires sains", chaque volontaire prenant successivement les deux formulations (11). En termes de moyennes et de répartition autour des moyennes des concentrations plasmatiques d'hormone T4, la nouvelle formulation est apparue très proche de l'ancienne. Cependant ces moyennes recouvrent une grande variabilité selon les personnes. Par exemple, la concentration plasmatique maximale de T4 a été comprise entre environ 75 et 156 ng/ml selon les personnes avec l'ancienne formulation, versus entre 74 et 251 ng/ml avec la nouvelle (11). Chez quelques volontaires, les courbes en fonction du temps sont apparues différentes selon la formulation.

On ne sait pas dans quelle mesure ces variations ont des conséquences cliniques en prise quotidienne. Cela justifie de prévoir un ajustement posologique du fait de la grande variabilité de la posologie optimale selon les patients.

L'autre étude a comparé, chez environ 40 "volontaires sains", plusieurs types de prise unique de 600 microg de la nouvelle formulation, avec des moyennes des concentrations plasmatiques de T4 et des répartitions autour des moyennes très voisines (12).

Conformité des nouveaux comprimés satisfaisante

L'ANSM a publié en septembre 2017 un compte rendu détaillé d'analyses montrant la conformité aux spécifications de l'autorisation de mise sur le marché de la nouvelle formulation, avec notamment des teneurs très faibles en « impuretés » (13).

Enquête de pharmacovigilance : pas de nouveau signal avec la nouvelle formulation

Des résultats partiels d'une enquête de pharmacovigilance menée par l'ANSM en septembre 2017, ont été publiés le 10 octobre 2017 (2). Sur la période de fin mars à mi-septembre 2017, 14 633 cas ont été notifiés aux centres régionaux de pharmacovigilance, soit environ 0,6 % des patients exposés. L'analyse a porté sur les cas graves et ceux les plus documentés, soit 5 062 cas. Environ 92 % des notifications ont été effectuées par les patients. Environ 91 % des patients touchés étaient des femmes.

Outre leur nombre absolu, les effets indésirables notifiés n'apparaissent pas différents de ceux enregistrés avec l'ancienne formule de Lévothyrox°. Les effets indésirables les plus fréquents ont été : fatigues, maux de tête, insomnies, sensations vertigineuses, douleurs articulaires et musculaires, chutes de cheveux. Ils semblent en rapport avec un déséquilibre thyroïdien, sans nouveau signal particulier avec la nouvelle formulation d'après ces premières données (2,5).

Remise à disposition temporaire de l'ancienne formulation

Début octobre 2017, a été remise à disposition temporaire en France l'ancienne formulation de Lévothyrox° (sous le nom Euthyrox°), uniquement pour les patients intolérants à la nouvelle formulation. D'autres spécialités sont annoncées (14). Ces nouveaux changements laissent présager des troubles lors du passage d'une spécialité à une autre.

En somme

La confiance des patients envers les médicaments, les firmes pharmaceutiques et les agences du médicament a été largement entamée par les révélations concernant le benfluorex (ex-Mediator° ou autre), le rofécoxib (ex-Vioxx°), les contraceptifs oraux de 3e génération, et tant d'autres. Les agences ont fort à faire pour remédier à cette situation, en s'appliquant à fournir une information adéquate aux patients et aux soignants, avec une large mise à disposition des données d'évaluation.

Dans le cas du Lévothyrox° en France en 2017, ces données mettent en lumière les faiblesses de l'ancienne formulation, les avantages de la nouvelle, et le fait qu'il était prévisible que certains patients traités soient affectés pendant plusieurs semaines ou mois par le remplacement de l'une par l'autre. Les premières données de l'enquête de pharmacovigilance menée par l'ANSM et rendues disponibles mi-octobre 2017 vont dans ce sens.

©Prescrire

Extraits de la veille documentaire Prescrire

1- Prescrire Rédaction "Remplacement d'une spécialité à base de lévothyroxine par une autre : précautions à prendre" Rev Prescrire 2011 ; 31 (330) : 260.

2- ANSM "Point d'actualité sur le Levothyrox et les autres médicaments à base de lévothyroxine - Communiqué" + "Enquête de pharmacovigilance Levothyrox - Rapport du 10/10/2017" 11 octobre 2017 : 69 pages.

3- Prescrire Rédaction "Lévothyrox° : des milliers de signalements en lien avec un changement de formulation" Rev Prescrire 2017 ; 37 (408) : 756.

4- Merck - ANSM "Lettre aux professionnels de santé - Levothyrox (levothyroxine) comprimés sécables nouvelle formule : suivi des patients à risque pendant la période de transition" 27 février 2017 : 2 pages.

5- Prescrire Rédaction "Hypothyroïdies chez les adultes. De la lévothyroxine selon la clinique et la biologie, mais non pour toute élévation de la TSH" Rev Prescrire 2015 ; 35 (379) : 355-362.

6- FDA "Stability of levothyroxine sodium products Attachment 1 + attachment 3 + slides" 2006 : 46 pages.

7- Danish Medicines Agency "Annual report. Large increase in the number of side effects reported for Eltroxin in 2009" 16-18.

8- Medsafe "Safety information. Eltroxin formulation change-Monitor patients and adjust dosing if necessary. Advice from Medsafe 26 juin 2008" : 2 pages.

9- "Vivre sans thyroïde. Forum de discussion pour patients". Site www.forum-thyroide.net consulté le 25 septembre 2017.

10- Merck Santé SAS "Pharmacokinetic assessment of a generic application. Levothyrox". Site ansm.sante.fr consulté le 26 septembre 2017 : 23 pages.

11- Merck KGaA "Bioequivalence trial of new levothyroxine formulation versus old formulation" : 98 pages.

12- Merck KGaA "Dosage form proportionality of levothyroxine new formulations (…) in fasted state" : 92 pages.

13- ANSM - Direction des contrôles "Bulletins d'analyse" 31 août 2017 : 24 pages.

14- ANSM "Les patients disposeront de nouveaux médicaments à base de lévothyroxine en pharmacie à partir d'octobre 2017 - Communiqué" 27 septembre 2017 + "Diversification de l'offre de spécialités à base de lévothyroxine - Point d'information" 2 octobre 2017 : 4 pages.