Résumé
Le procès pénal relatif au désastre du Mediator° doit s'ouvrir fin septembre 2019 à Paris, pour une durée de six mois.
Des personnes physiques et des personnes morales ont à répondre de divers délits, notamment "blessures et homicides involontaires".
Il est notamment reproché à la firme Servier d'avoir dissimulé les effets anorexigènes du médicament et certains de ses effets indésirables, et à l'Agence française du médicament d'avoir tardé à suspendre l'autorisation de mise sur le marché.
Dix ans après le retrait du marché français de Mediator° (benfluorex), un amphétaminique qui a causé plusieurs centaines de morts, le procès relatif au volet pénal de ce désastre doit s'ouvrir le 23 septembre 2019, au tribunal de grande instance de Paris, pour une durée de six mois (a)(1). Qui sont les prévenus ? Que leur est-il reproché ?
Le texte qui suit s'appuie sur l'ordonnance de renvoi signée par les juges d'instruction et ne préjuge pas de l'issue du procès quant aux responsabilités des différents prévenus.
Des personnes morales mises en cause
La société-mère et neuf filiales de la firme Servier ainsi que l'Agence française du médicament (Afssaps à l'époque, pour Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) sont mises en cause (2).
La firme Servier
Dix sociétés de la firme Servier sont prévenues à divers titres (2). L' « obtention indue d'autorisation » fait référence au fait d'avoir obtenu un renouvellement de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) du benfluorex pour des indications liées aux troubles métaboliques, en particulier le diabète, en dissimulant ses effets anorexigènes. La firme devra aussi répondre de « tromperie sur les qualités substantielles et les risques inhérents à l'utilisation du Mediator° avec mise en danger de l'homme ». Elle est aussi jugée pour « blessures et homicides involontaires par violations manifestement délibérées », notamment pour n'avoir pas informé les patients et les médecins de tous les effets indésirables du benfluorex, alors que les dangers étaient connus et que des cas de valvulopathies et d'hypertension artérielle pulmonaire liés à son usage avaient été signalés (2,3). La firme Servier est aussi poursuivie pour « escroquerie ». Il lui est reproché d'avoir trompé les assureurs maladie obligatoire et complémentaires pour le remboursement de la spécialité Mediator°. Un autre grief, le « trafic d'influence », fait référence à la rémunération d'un scientifique qui, selon l'enquête, est intervenu auprès d'une sénatrice en vue d'influencer le travail d'une mission d'information du Sénat sur le désastre du Mediator° (lire aussi plus loin) (2).
L'Agence française du médicament
Il est reproché à l'Agence des « homicides involontaires par négligence » et des « blessures involontaires par négligence », notamment pour avoir tardé à suspendre l'AMM du benfluorex, et ne pas avoir prévenu patients et médecins de ses effets anorexigènes et de ses effets indésirables. Selon l'enquête, l'Agence, en ne prenant pas les mesures permettant d'éviter la situation, a causé involontairement des blessures et des morts (2).
Des personnes physiques mises en cause
Il s'agit principalement de responsables de la firme et de membres de l'Agence française du médicament à l'époque des faits.
Des responsables de Servier
Deux hauts responsables du groupe ont été renvoyés devant le tribunal, l'un (Jean-Philippe Seta) pour les mêmes motifs que la firme mentionnés ci-dessus, l'autre (Christian Bazantay) pour complicité d'un délit reproché à un directeur de l'évaluation des médicaments à l'Agence du médicament (lire plus loin) (2). Jacques Servier, président-fondateur du groupe, lui aussi mis en cause, est mort en 2014 (2).
Des membres de l'Agence française du médicament
Un ancien directeur de l'évaluation des médicaments à l'Agence française du médicament (Jean-Michel Alexandre) est prévenu de « participation illégale d'un fonctionnaire dans une entreprise précédemment contrôlée », pour avoir été rémunéré pour du conseil par la firme Servier moins de trois ans après son départ de l'Agence, où il était chargé du contrôle des firmes pharmaceutiques, dont la firme Servier. Le même motif vise un ancien président de la commission d'AMM de l'Agence (Charles Caulin). Trois anciens experts de cette même commission d'AMM (Jean-Roger Claude, Michel Detilleux, Bernard Rouveix) sont poursuivis pour « prise illégale d'intérêts », en raison de leurs liens avec la firme Servier pour des prestations de consultants (2). Une prise illégale d'intérêts était aussi reprochée à un ancien responsable de l'évaluation des médicaments (Eric Abadie), mais il est décédé en 2019.
D'autres membres des autorités de santé
Un ancien membre de la Haute autorité de santé (HAS) et de la Direction générale de la santé (Jacques Massol) doit répondre de « participation illégale d'un fonctionnaire ou d'un agent d'une administration publique pendant cette période dans une entreprise précédemment contrôlée » et de « prise illégale d'intérêts » pour avoir conseillé la firme Servier moins de trois ans après une mission de service public (2). Pour des prestations similaires, un ancien chargé de mission auprès notamment du Comité économique des produits de santé (CEPS, comité économique du médicament à l'époque) (François Lhoste) doit répondre de « prise illégale d'intérêts » (2).
Des sociétés de la firme Servier et d'autres personnes sont jugées pour avoir été complices ou avoir recelé les délits reprochés aux membres des autorités de santé ou de l'Agence du médicament (2).
Un scientifique et une sénatrice
Un ancien directeur général de l'Inserm (Claude Griscelli) est jugé pour « trafic d'influence » pour avoir transmis à une sénatrice (Marie-Thérèse Hermange) des éléments susceptibles de modifier l'appréciation d'une mission d'information sénatoriale sur le Mediator°. Il était alors rémunéré par la firme Servier comme consultant (2). L'ex-sénatrice devra répondre de « complicité du délit de trafic d'influence » (2).
En somme
Les juges d'instruction font état d'une « différence majeure » entre les « fautes à caractère intentionnel » de la firme Servier et les faits reprochés à l'Agence, « du registre de la faute de négligence, non intentionnelle » (2). Comme lors de tout procès, les audiences devront permettre d'établir la responsabilité des uns et des autres. Plus de 4 100 plaignants attendent des réponses (2).
Notes
a- Des procédures ont aussi été engagées au civil, devant la justice administrative ainsi qu'auprès de l'Oniam (Office national d'indemnisation des accidents médicaux) (réf. 2,4à6).