Une évolution trop lente du conditionnement des médicaments : bilan 2022

Résumé

En 2022, Prescrire a analysé 190 conditionnements de médicaments. Une fois encore, quelques progrès sont à saluer, mais de nombreux défauts sont encore à déplorer.

L'identification correcte de certaines spécialités a été sécurisée par une mise en avant de la dénomination commune internationale (DCI) ainsi que par de bonnes différenciation et visibilité des dosages.

Quelques progrès pratiques ont été constatés, comme des formes prêtes à l'emploi pour des médicaments injectables, ou des formes orales présentées en plaquettes unitaires prédécoupées. Mais de trop nombreuses spécialités pharmaceutiques sont encore commercialisées en flacons-vrac.

L'évolution de conditionnements déjà connus comme sources potentielles d'erreurs a donné lieu à des corrections, mais trop partielles.

L'arrivée de copies génériques est une opportunité pour mettre sur le marché des conditionnements plus pratiques et plus sûrs. Mais, en 2022, cette occasion a été trop peu saisie.

Le conditionnement d'un médicament est un objet physique manipulé par les patients, leur entourage, les aidants et les soignants. Il importe qu'il soit bien conçu pour être facile à utiliser et ne pas être source de dangers liés à une éventuelle erreur. En 2022, Prescrire a analysé le conditionnement de 190 spécialités pharmaceutiques ayant fait l'objet d'un texte publié dans la rubrique "Rayon des nouveautés". Parmi ces conditionnements, quelles sont les caractéristiques à saluer ? Des défauts ont-ils été observés ? Les modifications des conditionnements repérées par Prescrire en 2022 ont-elles amené un progrès pratique et amélioré la sécurité d'emploi ?

Dénomination commune internationale et dosage : des éléments majeurs pour l'identification des médicaments

La dénomination commune internationale (DCI) est le vrai nom du médicament car c'est celui de la substance dite active. La DCI comprend le plus souvent un segment-clé qui permet de déduire dans une certaine mesure l'action pharmacologique et le profil d'effets indésirables du médicament. Sur l'étiquette du conditionnement dit primaire, c'est-à-dire celui au contact direct avec le médicament lui-même (flacon, ampoule, plaquette, etc.), et sur la boîte, la mention du dosage à la suite de la DCI, et parfois de la forme pharmaceutique, complète l'identification correcte d'une spécialité pharmaceutique et contribue à limiter certaines erreurs lors de la dispensation et de l'administration.

Prévention des erreurs de lecture de certaines DCI

Penser, communiquer et prescrire en DCI contribue à une bonne pratique professionnelle et à la sécurité des patients. Quand le nom commercial est un nom de fantaisie qui ne comporte pas la DCI, les patients sont exposés à la prise de la même substance dans des spécialités pharmaceutiques aux noms commerciaux différents. Ceci expose à des confusions entre spécialités, regroupées par exemple sous un nom de marque commun dans une gamme ombrelle.

Malgré tout, des confusions entre DCI elles-mêmes surviennent aussi, avec des conséquences parfois graves. Pour améliorer leur différenciation, l'emploi sur les conditionnements de caractères d'accroche, c'est-à-dire la mise en majuscules de certaines lettres des DCI est l'une des mesures recommandées par plusieurs agences du médicament (1à4). C'est le cas par exemple pour la dobutamine susceptible d'être confondue avec la dopamine. Au sein du nom commercial mentionné sur les éléments du conditionnement de la spécialité Dobutamine Sun° 5 mg/ml en solution pour perfusion en seringue préremplie, la DCI comporte ainsi des caractères d'accroche : DOBUTamine.

Le trastuzumab est un anticorps monoclonal antitumoral indiqué dans certains cancers du sein. Il est commercialisé seul ou conjugué à un agent cytotoxique, formant ainsi la trastuzumab emtansine ou le trastuzumab déruxtécan. À toutes les étapes du soin, une attention particulière doit être portée afin de ne pas confondre les spécialités contenant ces formes différentes de trastuzumab. De telles confusions ont entraîné des erreurs de doses mortelles pendant les essais cliniques (5). Sur la boîte et sur l'étiquette du flacon du trastuzumab déruxtécan (Enhertu°), la DCI est bien visible grâce à l'emploi de caractères gras et d'un surlignage orange contribuant à l'identification correcte de ce médicament.

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Enhertu° (trastuzumab déruxtécan)

Minimisation voire absence de la DCI : encore en 2022

Parmi les spécialités pharmaceutiques analysées en 2022, nous avons constaté encore trop de DCI minimisées, voire absentes d'éléments du conditionnement primaire. Par exemple, sur la plaquette de Xonvéa° (doxylaminepyridoxine), les DCI sont mentionnées une seule fois au dos, en très petits caractères. Et les DCI sont tout simplement absentes sur les dosettes des collyres Xiop° (latanoprost) et Zagrapa° (kétotifène).

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Xonvéa° (doxylamine + pyridoxine)

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Xiop° (latanoprost)

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Zagrapa° (kétotifène)

Prévenir les erreurs de doses des formes injectables par l'expression en quantité totale de substance

Sur la boîte et l'étiquette d'un médicament injectable, l'expression du dosage en quantité totale de substance active par volume total dans le conditionnement est à mettre en avant par rapport à l'expression de la concentration en quantité de substance dans 1 ml, pour éviter des erreurs. Par exemple, pour le diclofénac en solution injectable (Diclofénac Delbert°) : 75 mg/3 ml plutôt que 25 mg/ml. Cette expression permet de prendre pleinement conscience de la dose effectivement contenue dans le récipient, qu'il s'agisse d'une poche à perfusion, d'un flacon ou d'une ampoule. En complément d'une mise en avant de l'expression du dosage en quantité totale de substance active par volume total dans le conditionnement, la mention de la concentration en quantité de substance dans 1 ml en caractères de moindre importance aide à préparer la dose (1,6).

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Diclofénac Delbert° (diclofénac)

Autres exemples, sur les conditionnements des spécialités injectables Armisarte° (pémétrexed), Dobutamine Sun°, Midazolam Viatris° et Oyavas° (bévacizumab), l'expression de la quantité de substance par volume total, bien différenciée et plus visible que l'expression de la concentration, apporte un gain de sécurité pour les patients.

Ceci n'a pas été fait sur les conditionnements des différents dosages de Midazolam Accord°, dont les mentions sur l'étiquette des ampoules et sur la face principale de la boîte mettent en avant la concentration de la solution en quantité de substance dans 1 ml, même pour les flacons de 5 ml et 10 ml.

Des médicaments plus sûrs et plus pratiques à utiliser en 2022 ?

Un conditionnement de qualité vise à assurer la sécurité d'emploi des médicaments et une utilisation pratique. Parmi les conditionnements de médicaments analysés en 2022, quelques progrès sont à noter, mais aussi des régressions.

Des médicaments injectables prêts à l'emploi

Les formes prêtes à l'emploi évitent une étape de préparation et sont à préférer car elles constituent une barrière de sécurité contre des erreurs de dose. La spécialité Irinotécan Sun° est la première présentation d'irinotécan injectable déjà diluée en poche prête à l'emploi. Les autres spécialités d'irinotécan sont commercialisées en flacons de solution à diluer, ce qui contraint à mobiliser une équipe spécialisée pour préparer la dose, avec une étape de dilution à risque d'erreurs.

La Dobutamine Sun° est un autre exemple de solution injectable prête à l'emploi bienvenue, ici destinée à être utilisée dans un pousse-seringue. Il s'agit de la première présentation de dobutamine prête à l'emploi, permettant aux soignants de gagner un temps précieux dans un contexte d'urgence.

En décembre 2022, l'Agence française du médicament (ANSM) a publié sur son site des recommandations pour limiter les erreurs de doses parfois mortelles avec les solutions concentrées de chlorure de potassium. Ces solutions concentrées nécessitent d'être diluées avant injection. Malheureusement, depuis mi-2020, il ne reste plus de solution prédiluée de chlorure de potassium commercialisée en France, alors que leur emploi est utile pour limiter les erreurs et les dangers mortels liés aux solutions concentrées (7,8).

Absence de dosages adaptés imposant d'injecter la dose préconisée en plusieurs fois

Certains médicaments examinés par Prescrire en 2022 sont commercialisés avec des dosages qui obligent à réaliser de 2 à 4 injections au même moment de la journée pour administrer la dose préconisée (9). C'est le cas de la solution injectable Adtralza° (tralokinumab) 150 mg en seringues préremplies. La boîte de 4 seringues d'Adtralza° contient 2 boîtes de 2 seringues préremplies. Sur le rabat de la boîte de 2 seringues figure un pictogramme « répéter » et la mention « Ensuite, utilisez les deux seringues. Pour une dose de 300 mg, deux seringues de 150 mg sont nécessaires. Injectez la première seringue, et ensuite la seconde ». Pour la dose initiale de 600 mg de tralokinumab, il est nécessaire d'injecter le contenu des 4 seringues.

Sur la boîte de 2 seringues préremplies de Tysabri° (natalizumab), les mentions « Utiliser 2 seringues de 150 mg » et « Dose complète = 300 mg » sont accompagnées du visuel de 2 seringues reliées par le signe « + ». Des mentions similaires sont présentes sur la boîte des seringues ou des stylos préremplis de Bimzelx° (bimékizumab).

Ces mentions de précautions quant à la nécessité d'injecter la dose en plusieurs fois limitent peut-être des erreurs, mais la commercialisation de dosages mieux adaptés aux posologies préconisées, y compris dans de nouvelles indications pour une spécialité déjà existante, serait une option plus pratique pour les patients.

Des formes orales sèches : quelques plaquettes de bonne qualité mais encore des flacons-vrac

Plusieurs médicaments commercialisés en 2022 présentés en formes orales sèches (comprimés, gélules) sont conditionnés dans des plaquettes de bonne qualité. Par exemple, les plaquettes de Calquence° (acalabrutinib) sont unitaires, c'est-à-dire que le dos de chaque alvéole comporte la DCI, le dosage, la date de péremption et le numéro du lot. De plus, un pictogramme représentant un soleil ou une lune figure sur les alvéoles afin d'aider à repérer les moments de prise dans la journée.

L'association à doses fixes Biktarvy° (bictégraviremtricitabine + ténofovir alafénamide) est présentée en boîte de 30 comprimés qui contient 5 plaquettes non unitaires, en plus de la présentation en flacons-vrac, malheureusement toujours commercialisée. Quatre de ces plaquettes sont des semainiers, tandis que sur la cinquième, qui ne contient que 2 alvéoles, figure un espace permettant de noter les jours de la semaine correspondant à la prise. Cette présentation est un progrès, compte tenu des risques liés aux flacons-vrac, notamment l'ingestion du contenu par un enfant en cas de renversement lors de la manipulation du flacon.

Les progrès constatés en 2022 sont nuancés par la persistance sur le marché de présentations en flacons-vrac pour des substances pourtant très toxiques par ingestion comme l'hydroxycarbamide (Siklos°), un cytotoxique, et de régressions comme le passage de plaquettes de comprimés à des flacons-vrac pour Kaletra° (lopinavirritonavir), une combinaison de 2 antirétroviraux.

Des opportunités à mieux saisir pour faire évoluer les conditionnements

Les conditionnements des médicaments évoluent peu, ou trop lentement. Il arrive que des erreurs survenues au cours d'essais cliniques motivent des modifications du conditionnement avant la commercialisation d'un médicament (10). Plus fréquemment, ce sont des alertes liées à des erreurs ou des défauts repérés après la commercialisation qui amènent les agences du médicament à demander aux firmes pharmaceutiques des changements sur les conditionnements. L'arrivée de copies génériques est aussi une opportunité pour améliorer la qualité et la sécurité des soins en proposant un conditionnement de meilleure qualité que celui de certains princeps. Mais cette occasion n'est que trop peu saisie.

Des évolutions incomplètes pour des formes buvables multidoses

Le conditionnement des formes buvables multidoses devrait assurer une mesure précise de la dose, par exemple avec une seringue pour administration orale pratique à utiliser, et protéger des intoxications involontaires à l'aide d'un bouchon-sécurité sur le flacon pour limiter le risque d'ingestion par un enfant.

La seringue pour administration orale de Zinnat° (céfuroxime), auparavant graduée en kilogrammes de poids corporel de l'enfant, est désormais graduée en millilitres. Une seringue orale graduée en mg aurait été un meilleur choix pour mesurer les doses préconisées exprimées en milligrammes de substance dans le résumé des caractéristiques (RCP). La DCI est toujours minimisée sur la boîte et sur l'étiquette du flacon, et aucune dénomination ne figure sur la seringue pour administration orale.

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Zinnat° (céfuroxime)

Les mentions sur le conditionnement de la solution buvable Bactrim° (sulfaméthoxazole + triméthoprime) sont devenues plus précises, et indiquent les concentrations de chacune des substances en mg/ml. Mais des défauts persistent comme la cuillère-mesure (moins précise qu'une seringue pour administration orale), et l'absence d'un bouchon-sécurité sur le flacon.

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Bactrim° (sulfaméthoxazole + triméthoprime)

Sur les boîtes et étiquettes des flacons de Contramal° et Topalgic°, les ajouts de mentions qui rappellent d'administrer la solution buvable exclusivement avec le compte-gouttes, et qui précisent la quantité de tramadol par goutte, ne sont pas suffisants pour empêcher les surdoses. Le maintien d'une solution fortement concentrée dans un dispositif imprécis tel qu'un flacon compte-gouttes est regrettable. Faire le choix d'une solution plus diluée et équiper le flacon d'une seringue pour administration orale graduée en milligrammes aurait été une amélioration bienvenue pour limiter le risque d'intoxication.

Conditionnement d'une copie générique : dommage de ne pas faire mieux que le princeps

La DCI tacrolimus n'est pas mise en avant sur la boîte et les plaquettes de la spécialité Conferoport° (tacrolimus) en gélules à libération prolongée, copie d'Advagraf°. La prise de tacrolimus à libération prolongée nécessite souvent la prise de plusieurs gélules en une seule fois par jour, ce qui est mentionné sur la boîte d'Advagraf°, mais pas sur les boîtes de Conféroport°. L'absence de cette mention expose à des erreurs de prise.

Le choix d'un nom commercial de fantaisie a aussi été fait pour le gel Closalis° (dexaméthasonecalcipotriol), copie de Daivobet°. Les DCI sont très peu visibles sur la boîte et le tube de gel. Sur la boîte, aucun pictogramme "grossesse" ne met en garde contre l'utilisation de ce médicament chez les femmes enceintes, alors qu'un pictogramme de danger est présent sur la boîte de Daivobet°. Il n'est pas cohérent que deux spécialités appartenant au même groupe générique n'accordent pas le même niveau d'information aux patientes enceintes ou pouvant le devenir.

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Closalis Gé° (dexaméthasone + calcipotriol)

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Daivobet° (dexaméthasonecalcipotriol)

D'autres copies comportent encore des noms de fantaisie au lieu de la DCI, tels Divalcote° (valproate semisodique), Leptax° (lévétiracétam), Izixate° (méthotrexate), ces deux derniers prêtant à confusion, respectivement avec les noms commerciaux Lepticur° (tropatépine) et Inhixa° (énoxaparine).

En somme : des progrès trop limités pour être à la hauteur des enjeux

Parmi les conditionnements analysés par la Rédaction de Prescrire en 2022, quelques évolutions positives qui améliorent la praticité ou la sécurité, notamment par une meilleure identification des spécialités, sont à saluer. Quelques régressions et surtout beaucoup d'opportunités ratées pour améliorer les différents aspects d'un conditionnement sont toutefois à regretter. Une approche globale est nécessaire pour obtenir un conditionnement abouti, pratique et sûr. Le conditionnement des médicaments ne semble pas être un sujet de préoccupation majeure pour les firmes pharmaceutiques, qui se limitent souvent à des changements minimaux quand un conditionnement doit être modifié. Pourtant c'est aux firmes de réaliser des conditionnements de qualité pour les nouvelles spécialités, y compris les copies, et aussi pour sécuriser les conditionnements dont des défauts ont été mis en évidence. Il appartient aux agences du médicament d'en vérifier la bonne réalisation et d'être globalement plus exigeantes, sans se satisfaire de rénovations de façade qui laissent des failles béantes dans la sécurité des soins.

Synthèse élaborée collectivement par la Rédaction

sans aucun conflit d'intérêts

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Extraits de la recherche documentaire Prescrire

1- ANSM "Harmonisation de l'étiquetage des ampoules et autres petits conditionnements de solutions injectables de médicaments. Version n° 3" décembre 2022 : 13 pages.

2- ISMP "FDA and ISMP Lists of mook-alike drug names with recommended tall man letters" 2016. Site www.ismp.org : 6 pages.

3- ISMP "ISMP updates its list of drug names with tall man (mixed case) letters based on survey results". In : "ISMP Medication Safety Alert ! Acute Care" 26 janvier 2023 ; 28 (2) : 4 pages.

4- Lambert BL et coll. "Beyond mixed case lettering : reducing the risk of wrong drug errors requires a multimodal response" BMJ Qual Saf 2023 ; 32 (1) : 6-9.

5- Prescrire Rédaction "Commercialisations effectives : Kadcyla° poudre pour solution à diluer pour perfusion IV, Tivicay° comprimés" Rev Prescrire 2015 ; 35 (377) : 187.

6- "Réponse de Prescrire à la consultation sur les recommandations EMEA/208304/2009 (juin 2009)" 28 mai 2009 : 5 pages.

7- Prescrire Rédaction "Potassium injectable prédilué prêt à perfuser : une barrière de sécurité à remettre à disposition" Rev Prescrire 2022 ; 42 (463) : 339-340.

8- ANSM "Prévenir les erreurs avec le chlorure de potassium injectable" Dossier thématique décembre 2022 : 3 pages.

9- Prescrire Rédaction "L'année 2022 du médicament, en bref" Rev Prescrire 2023 ; 43 (472) : 146-147.

10- Prescrire Rédaction "Erreurs médicamenteuses au cours des essais cliniques : à notifier et à étudier pour mieux sécuriser les soins" Rev Prescrire 2022 ; 42 (462) : 277-278.