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Thème : Transparence

La transparence est à la mode, mais les agences de santé, les firmes de santé et leurs relais ne la pratiquent guère. Si l'opacité reste la règle, la non-qualité des soins restera l'ordinaire.

OMS : faites ce que je dis… mais pas ce que je fais

Des recommandations émises par l'organisation mondiale de la santé (OMS) ne répondent pas aux critères de qualité prônés par l'OMS.

 

Une des missions-clés de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est l’élaboration et la promotion de politiques et de pratiques visant à améliorer la santé, partout dans le monde. L’OMS publie chaque année un grand nombre de recommandations de pratique clinique, de santé publique ou de politique sanitaire, et elle jouit souvent d’une image d’autorité suprême en matière de santé (1).

L’OMS n’applique pas ses propres règles. Il y a loin aujourd’hui de cette image à la réalité. Ainsi par exemple des recommandations inappropriées en matière d’hypertension artérielle ont dû être révisées par l’OMS après avoir été sévèrement mises en cause sur la base d’une argumentation solide (2). Et, face aux critiques, l’OMS a dû revoir toute sa procédure d’actualisation de la liste des médicaments essentiels pour adopter une méthode plus rigoureuse et plus transparente (3,4).

Ces insuffisances auraient pu n’être que des faux pas isolés dans une démarche allant globalement dans le bon sens. Mais une enquête bien documentée montre au contraire que la plupart des recommandations émises par l’OMS ne répondent pas aux critères de qualité exigibles aujourd’hui en matière d’élaboration de recommandations (5).

Une enquête minutieuse. Des auteurs spécialisés dans l’évaluation de la qualité des recommandations sanitaires ont cherché à savoir si l’OMS appliquait les règles de bonnes pratiques considérées aujourd’hui comme indispensables en matière d’élaboration de recommandations, et notamment la transparence sur la méthode et le recours à des synthèses méthodiques des données disponibles, pondérées par leurs niveaux de preuves. La méthode officielle de l’OMS repose sur cette approche depuis 2003 (6).

Pour leur étude, les auteurs ont interviewé 21 directeurs (ou leurs délégués), entre septembre 2003 et février 2004, de 16 départements de l’OMS qui produisent des recommandations, et ils ont analysé en détail 4 rapports contenant des recommandations thérapeutiques majeures de l’OMS, sur les antirétroviraux, la tuberculose, le paludisme et la santé des enfants (5).

Leur constat est consternant : au moment où les entretiens ont été réalisés, pratiquement aucun directeur n’avait appliqué ni prévu d’appliquer les propres règles de l’OMS, et certains n’en voyaient même pas l’intérêt. Ils procédaient comme avant l’ère de l’EBM (evidence-based medicine), en s’appuyant sur des avis d’experts, avec tout ce que cela implique de manque de transparence dans leur sélection, de faiblesse dans les justifications des recommandations, et de conflits d’intérêts potentiels, corporatistes ou industriels (a)(5).

Ce constat est de nature à jeter un discrédit durable sur l’OMS et ses publications. Il n’est pas nié par l’organisation, qui a reconnu officiellement les défauts pointés, et a promis de mieux faire à l’avenir (1).

Biais potentiels et influences extérieures. Le recours à des synthèses méthodiques pour étayer des recommandations présente de nombreux avantages : ces synthèses réduisent les diverses sources de biais méthodologiques, sont reproductibles et vérifiables par d’autres équipes (5). Elles limitent aussi le risque de biais dû aux conflits d’intérêts des experts sollicités (7).

Certains directeurs de départements de l’OMS se sont déclarés conscients des limites de leurs recommandations, déplorant un manque de moyens et de temps. Les auteurs de l’étude font remarquer que l’OMS pourrait faire déjà beaucoup mieux avec ses moyens disponibles, en adoptant de bonnes méthodes de travail. Les auteurs soulignent aussi que cette organisation des Nations unies dépend lourdement de financements extérieurs, au-delà de la contribution obligatoire des États (5).

Cette dépendance de l’OMS de financements extérieurs, parfois de nature privée, s’est accrue au cours des dernières années pour atteindre 72,4 % en 2006-2007 (8). Elle est d’autant plus regrettable que certaines activités de l’OMS dépendent essentiellement de tels financements extérieurs (b). Pire encore, l’OMS permet que des membres de son personnel soient directement rémunérés par des sponsors extérieurs, des firmes pharmaceutiques par exemple (9,10).

Un des mots d’ordre des derniers directeurs de cette organisation a été la promotion des partenariats public-privé pour résoudre les problèmes de santé mondiaux. Dans un tel contexte, le fait que l’OMS n’adopte pas des procédures transparentes et méthodiques d’élaboration de ses recommandations prend un caractère d’autant plus préoccupant.

Restaurer la crédibilité de l’OMS. Comme le promettent des responsables de l’OMS, il est temps que cette organisation renforce sa crédibilité dans le domaine des recommandations. D’autant que les pays démunis se reposent souvent largement sur elles (1).

Cette reconquête passe certainement par l’adoption des bonnes pratiques d’élaboration des recommandations. Mais elle passe aussi par une réduction de la dépendance financière de l’OMS par rapport à des intérêts privés, et l’augmentation de son budget propre financé par les États membres, en vue d’élaborer des recommandations libres de toute influence extérieure. Elle passe enfin par une transparence sur les conflits d’intérêts des experts extérieurs auxquels a recours l’OMS.

Enfin, cette enquête met à nouveau en garde les professionnels de santé et les décideurs en santé publique sur le risque qu’ils prendraient à modifier leurs pratiques sur la seule foi d’arguments d’autorité ou autres avis d’experts. Qu’elle soit “mondiale” comme l’OMS, ou “haute” comme la Haute autorité de santé (HAS) française, une organisation ne peut être crédible qu’en mettant réellement et rigoureusement en pratique des procédures de travail transparentes et méthodiques (11).

Puisse cette enquête donner du poids à tous les personnels de l’OMS qui se battent pour que leur organisation remplisse mieux sa mission d’intérêt public.

©Prescrire 2004

Rev Prescrire 2007 ; 27 (287) : 697-698.

Notes :
a- La méthode de recours exclusif aux experts est parfois désignée de manière ironique de “GOBSAT” (good old boys sat around a table), par opposition à l’EBM (réf. 7).
b- Signalons par exemple que le “Guide des politiques et des services de santé mentale - Politiques et plans relatifs à la santé mentale de l’enfant et de l’adolescent” a été réalisé avec « l’appui financier généreux des gouvernements d’Australie, d’Italie, de la Nouvelle-Zélande et des Pays-Bas ainsi que de la Fondation Eli Lilly & C°, et de la Johnson and Johnson Corporate Social Responsibility, Europe » (réf. 12). Lire aussi réf. 13.

Extraits de la veille documentaire Prescrire.
1- Hill S et Pang T “Leading by example : a culture change at WHO” Lancet 2007 ; 369 : 1842-1844.
2- Prescrire Rédaction “Les recommandations contestables et contestées de l’OMS dans l’HTA”  Rev Prescrire 1999 ; 19 (195) : 378-381.
3- Prescrire Rédaction “OMS : des médicaments essentiels, sauf pour les pauvres”  Rev Prescrire 2001 ; 21 (215) : 221.
4- Prescrire Rédaction “Médicaments essentiels : l’OMS redresse le cap” Rev Prescrire 2003 ; 23 (239) : 381-382.
5- Oxman AD et coll. “Use of evidence in WHO recommendations” Lancet 2007 : 369 : 1883-1889.
6- “Guidelines for Who guidelines” WHO 2003. Site whqlibdoc.who.int/hq/2003/EIP_GPE_EQC_2003_1.pdf consulté le 15 juin 2007 : 24 pages.
7- Nathwani D “From evidence-based guideline methodology to quality of care standards” J Antimicrob Chemother 2003 ; 51 : 1103-1107.
8- “Proposed programme budget 2006-2007 - notes on revisions to the proposed programme budget 2006-2007 since the 115th session of the executive board”. Site www.who.int consulté le 16 mai 2007 : 14 pages.
9- Correspondance entre Health Action International et l’OMS en 1999. Site  www.haiweb.org consulté le 16 mai 2007 : 4 pages.
10- “Guidelines on working with the private sector to achieve health outcomes” Report of the Executive board, 107e Session, 30 novembre 2000. Site internet http://www.who.int consulté le 29 juin 2007.
11- Prescrire Rédaction “Guides de pratique clinique : faire le tri, et savoir jeter”  Rev Prescrire 2007 ; 27 (282) : 304-306.
12- Organisation mondiale de la santé “Guide des politiques et des services de santé mentale - Politiques et plans relatifs à la santé mentale de l’enfant”. Site www.who.int consulté le 15 juin 2007.
13- Prescrire Editorial staff “The World Health Organization in the hot seat”. Site www.isdbweb.org consulté le 15 juin  : 9 pages.

N° 287 - p. 697-698 - Organisation mondiale de la santé
Le libellé de la référence 13 est en réalité :
13- Prescrire Editorial Staff  “Conflicts of interests. WHO performance under scrutiny” ISDB Newsletter 2007 ; 21 (1) : 17-20.

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