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Thème : Transparence

La transparence est à la mode, mais les agences de santé, les firmes de santé et leurs relais ne la pratiquent guère. Si l'opacité reste la règle, la non-qualité des soins restera l'ordinaire.

Essais cliniques en France : trop de résultats non publiés

Une solution : un registre international des protocoles de recherche, d'accès facile pour les professionnels de santé et le public.

Que deviennent les projets de recherche dont les protocoles ont été approuvés en France par les Comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale (Ccpprb) (a) ? Les travaux ont-ils tous démarré ? Ont-ils été terminés ? Ont-ils donné lieu à publication scientifique ? La nature des résultats a-t-elle influencé la décision de publier ?

Une équipe lyonnaise, en lien avec la Conférence nationale des Comités a réalisé une étude rétrospective auprès d’un échantillon de 25 Comités, tirés au sort parmi les 48 existants (1).

Un échantillon représentatif des recherches approuvées en France. Cette étude est la première d’envergure nationale (1). Tous les Comités sollicités ont participé. Les auteurs ont étudié 976 protocoles approuvés en 1994, à partir des fichiers des Comités et des réponses données par les investigateurs responsables des protocoles approuvés en 1994 (1).

Les investigateurs ont été notamment interrogés sur le financement et la durée de l’étude, le nombre de sujets inclus, la survenue d’effets indésirables, le statut de l’étude (non initiée, abandonnée, en cours, achevée), les raisons d’un éventuel abandon, la nature des résultats et l’existence de publications.

Deux tiers des investigateurs ont répondu. Sur les 976 questionnaires envoyés, 305 n’ont pas été retournés (31 % de non-réponses), et 22 retournés étaient ininterprétables (2 %). L’analyse a porté finalement sur 649 protocoles. Dans cette étude, le protocole était le plus souvent un projet de recherche évaluant un médicament (68 % des cas), au financement privé (73 % des cas) et de dimension nationale (82 % des cas) (1).

Une majorité d’études terminées… et non publiées. 581 des 649 protocoles (90 %) étudiés par les auteurs lyonnais ont été démarrés (b). 501 des 581 recherches commencées (86 %) étaient achevées (c). 190 des 501 recherches achevées (38 %) ont donné lieu à une publication de leurs résultats dans une revue scientifique. Ont aussi été publiés les résultats préliminaires de 7 des 16 études en cours, ainsi que ceux de 8 des 64 études interrompues (1).

Au total, selon les investigateurs, 6 à 8 ans après leur approbation par un Comité de protection des personnes, 62 % des recherches achevées n’avaient fait l’objet d’aucune publication.

Trop de résultats "négatifs" non publiés. Il y a biais de publication lorsqu’un promoteur, un auteur ou une revue décide de ne pas publier une étude parce que ses résultats sont "négatifs", autrement dit ne corroborent pas l’hypothèse testée, voire infirment cette hypothèse (2,3).

Avec un recul de 6 à 8 ans, les auteurs lyonnais ont calculé qu’une étude avait eu 4,6 fois plus de chances d’être publiée lorsque ses résultats venaient confirmer son hypothèse principale. Les investigateurs concernés ont donné comme principale raison (26 % des cas) de non-publication d’une étude achevée, un résultat considéré comme "inintéressant", loin devant le rejet du manuscrit par une revue (5 % des cas) (1).

Une solution : un registre international des protocoles de recherche. La non-publication délibérée des résultats d’une étude dissimule à la communauté scientifique, aux patients et aux institutions concernées, des informations ayant une valeur scientifique à part entière. Le biais de publication introduit un déséquilibre quasi invisible dans les données qui fausse les résultats des synthèses de connaissances et, par conséquent, les décisions des professionnels de santé. En général, il conduit à surestimer l’efficacité d’un nouveau médicament ou d’un test diagnostique (3).

Les auteurs ont réclamé, à l’instar d’un nombre croissant d’institutions dans le monde, l’inscription systématique de tous les protocoles dans un registre des recherches menées sur un humain, indispensable pour surveiller le devenir des études (d)(1,4).

Une action concrète pour les Comités de protection des personnes. Pour qu’un tel appel se concrétise, l’approbation des protocoles de recherche par les Comités de protection des personnes devrait être conditionnée à leur enregistrement préalable et obligatoire dans un registre d’essais cliniques conforme aux exigences de l’Organisation mondiale de la santé (5). En France, un décret récent du 26 avril 2006 relatif aux recherches biomédicales organise l’inscription par les autorités publiques des protocoles de recherche dans des répertoires, sauf opposition motivée des promoteurs (6). Ce décret est loin de répondre aux attentes de transparence : seules les demandes d’informations provenant d’associations de malades et d’usagers du système de soins sont recevables, si elles ne sont pas jugées « abusives, en particulier par leur nombre, leur caractère répétitif ou systématique » (6).

©Prescrire 2006

Rev Prescrire 2006 ; 26 (274) : 533-534.

Notes  :
a- En 2004, les Comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale (Ccpprb) sont devenus Comités de protection des personnes (CPP) (réf. 7).
b- Parmi les raisons de non-démarrage invoquées : le veto du financeur (21 cas), des problèmes de recrutement des patients (15 cas), des raisons techniques et de faisabilité (9 cas), l’absence de financement (8 cas) (réf. 1).
c- Parmi les raisons de non-achèvement invoquées (64 cas recensés) : des difficultés de recrutement (28 cas), les résultats d’une analyse intermédiaire des données de l’étude (13 cas), la survenue d’effets indésirables (8 cas) et une décision du financeur (8 cas) (réf. 1).
d- Il existe actuellement au moins deux registres internationaux, qui répondent à tous les critères définis au niveau de l’Organisation mondiale de la santé : l’International Standard Randomised Controlled Trial Number Register (http://www.controlled-trials.com/isrctn) et le registre des National Institutes of Health (http://www.clinicaltrials.gov) (réf. 4 et 5). En Europe et pour les essais de médicaments seulement, les promoteurs ont déjà obligation d’inscrire leurs projets dans la European Clinical Trials Database (EudraCT, http:// eudract.emea.eu.int) de l’Agence européenne du médicament, mais ce registre n’est pas actuellement accessible au public. Par ailleurs, les principales revues de publications biomédicales ont décidé en 2005 de ne plus publier les résultats d’essais non enregistrés dans un registre d’essais public avant l’inclusion du premier patient (réf. 8). Nous reviendrons sur la question des registres d’essais cliniques dans un futur numéro.

Extraits de la veille documentaire Prescrire.
1- Decullier E et coll. “Fate of biomedical research protocols and publication bias in France : retrospective cohort study” BMJ 2005 ; 331 : 19-22.
2- Prescrire Rédaction “Trop d’essais cliniques négatifs non publiés” Rev Prescrire 1999 ; 19 (196) : 465-466.
3- Prescrire Rédaction “Les biais de publication” Rev Prescrire 1994 ; 14 (146) : 718-720.
4- Krleza-Jeric K “Clinical trial registration : the differing views of industry, the WHO, and the Ottawa Group” PLoS Med 2005 ; 2 (11) : 1093-1097.
5- World Health Organization “International Clinical Trials Registry Platform”. Site internet http://www.who.int/ictrp consulté le 20 avril 2006 (sortie papier disponible : 2 pages).
6- “Décret n°2006-477 du 26 avril 2006 modifiant le chapitre Ier du titre II du livre Ier de la première partie du code de la santé publique relatif aux recherches biomédicales (dispositions réglementaires)” Journal Officiel du 27 avril 2006 : 23 pages.
7- Prescrire Rédaction “Essais cliniques : de nouvelles règles pour la protection des personnes” Rev Prescrire 2005 ; 25 (267) : 858-863.
8- De Angelis CD et coll. “Cet essai clinique est-il entièrement inscrit ? Déclaration du Comité international des rédacteurs de revues médicales” CMAJ 2005 ; 172 (13) : online 1-3.

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