Une des questions centrales du procès du Mediator° est celle de la nature amphétaminique anorexigène du benfluorex (Mediator°), présenté par la firme Servier dans le diabète et certaines hyperlipidémies. Nous reproduisons ici l'article de la revue Pratiques qui a souligné, dès 1977, la parenté du benfluorex avec les autres amphétaminiques anorexigènes de la même firme.
Sur la sellette : les laboratoires Servier pour le Mediator°
Cinquième au classement par le chiffre d'affaires, ils sont le champion français de la "promotion médicale", c'est-à-dire de la publicité, de la relance postale, de la visite médicale etc. (1er rang pour les dépenses consacrées à ce domaine en 1975).
Chaque médecin a d'ailleurs pu mesurer cette suprématie, en soupesant et en tâtant les luxueux papiers reçus en surabondance durant ce trimestre à propos du Mediator°.
« Il arrive qu'un nouveau médicament soit une découverte… » C'est là le mot d'ordre clef de ces laboratoires en vue de faire prescrire Mediator°. De quoi faire hésiter un régiment d'incrédules…
Et cela d'autant plus que les indications sont quasi universelles : « Contre les hyperlipidémies, qu'il s'agisse d'hypercholestérolémie, d'hypertriglycéridémie, d'hyperlipidémie mixte. »
« Chez les diabétiques, dans le diabète patent… en traitement d'appoint important, dans le diabète asymptomatique. »
« Chez tous les athéroscléreux potentiels ou avérés. »
Ça en fait du monde tout ça !
Ça en fait des centaines et des centaines de milliers de boîtes à vendre !
Et pas pendant deux jours !
Pendant des années !… Et à 28,10 F la boîte, ça fait du 84,30 F le mois de traitement !…
Pour cet enjeu financier si important, les laboratoires Servier méritent bien de passer un moment sur la sellette…
Ce produit est-il utile, est-il efficace ?
Là, bien sûr, dans les documents présentés, il y a des courbes. Elles montrent que chez les quelque dizaines (voire centaines) de malades étudiés, la glycémie, les lipides baissent plus ou moins selon les conditions d'expérimentation. Et finalement nous dit Servier « C'est à vous qu'il appartient maintenant de juger du progrès que représente Mediator° chez vos malades hyperlipidémiques, ou présentant un trouble de la tolérance au glucose, donc menacés ou déjà atteints par l'athérosclérose. »
ALORS LÀ, NON !
Cette phrase du « dévoué confrère » est une mystification, une subtile escroquerie, reposant sur une idée fausse, répandue autant dans le corps médical, que dans la profession pharmaceutique.
Non ! Nous les médecins de base, les prescripteurs de quartier, nous ne pouvons absolument pas « juger » un tel produit. Ni d'ailleurs un spécialiste de ville, un hospitalier, ou un Professeur Duduche.
De tels produits, pour des indications aussi floues que le diabète, les hyperlipidémies, l'athérome… etc., ne peuvent être jugés valablement qu'avec une méthodologie statistique et épidémiologique sur plusieurs années. Toute autre évaluation individuelle, à petite échelle, ou de courte durée, NE PEUT AVOIR AUCUNE VALEUR.
(…)
Alors, pour Mediator°, on n'est pas pressé…
On attendra encore quelque temps, voire quelques années…
Mais dans quelques années, quand on commencera à savoir un petit bout de vérité, ça en fera déjà des millions de boîtes de Mediator° vendues !… Et avec tout cet argent, les laboratoires Servier auront bien vécu… et aussi inventé « benflobis », pour lequel il faudra dix ans de plus pour affirmer quelque chose… et… avec tout cet argent…
Qui médit a tort… ?
Peut-être pas.
En tous cas, question information, en l'absence d'organisme d'information indépendant, on est loin du compte !…
Le 23 décembre 1976
Dr James LARNAQUE
Publication originale
Pratiques ou les Cahiers de la médecine utopique 1977 ; (13) : 28-31. Accessible, ainsi que d'autres documents intéressants à l'adresse https://pratiques.fr/MEDIATOR-33-ans-pour-que-les-autorites-sanitaires-de-notre-pays-reagissent
Créé en 1975, le "Syndicat de la médecine générale" a rapidement créé le mensuel "Pratiques ou les cahiers de la médecine utopique". Et c'est pour répondre aux besoins des 1 500 adhérents, appelés à boycotter la visite médicale, qu'est apparue la rubrique trimestrielle des nouveaux médicaments intitulée "À la recherche du temps perdu". Gilles Bardelay (alors généraliste à Saint-Denis-93) et Danielle Bardelay (pharmacien "polyvalent") animaient la commission médicament du syndicat et confectionnaient les articles de la rubrique, les signant de noms évocateurs. Fin 1979, afin de diffuser beaucoup plus largement l'information indépendante sur les médicaments, ils ont petit à petit constitué un groupe de médecins, pharmaciens, pharmacologues, qui a conçu et préparé la naissance de la revue Prescrire, dont le premier numéro a été publié en janvier 1981. Ils sont à la retraite depuis 2007.